Par Colette Gluck
Notre vécu n’est que celui du « colibri » du conte indien rapporté par Pierre Rabhi. Mais dans la situation actuelle, encore aggravée par l’accord honteux UE/Turquie, notre expérience nous fait vivre toute la richesse de la solidarité humaine. La communauté Point 1, réunie en septembre pour réfléchir à la manière de venir en aide aux demandeurs d’asile arrivés dans la ville et vivant à la rue, a créé le 19 octobre 2015, avec chrétiens et non-chrétiens, un groupe d’appui à des associations sensibles à notre problématique. Dès ce jour-là, un nombre suffisant de personnes s’étaient engagées à verser 20 euros par mois, un an minimum, pour que le financement d’un appartement F3 soit possible.
Le bail a été signé par la conférence Saint Vincent de Paul de Rouen en lien avec un couple et quatre enfants, Roms de Serbie, vivant en caravane depuis leur arrivée fin mars. FTDA (France Terre d’Asile) les avait fait inscrire comme demandeurs d’asile à la préfecture, avait veillé au dépôt de leur récit de vie pour l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), mais ne les avait pas logés car ils étaient en « procédure accélérée » (c’est-à-dire ressortissants d’un pays dit « sûr »). Nos amis Roms ont donc pu s’installer au chaud début novembre, dans le soulagement et l’émotion de tous.
Notre groupe d’appui, dénommé « Point Accueil Migrants » (PAM) puisqu’ouvert au-delà de la communauté Point 1, a décidé d’accompagner cette famille au quotidien, en partenariat avec la Société Saint Vincent de Paul (SSVP), inhabituel pour nous mais peu à peu « rôdé ». Nous nous sommes partagé les responsabilités : pour SSVP, vie matérielle quotidienne et scolarisation des petits ; pour PAM, aide à la scolarisation des grands en collège, alphabétisation des parents et prise en charge, avec la Cimade et un avocat en aide juridictionnelle, de leur dossier d’appel à la Cour Nationale d’Asile ; en effet l’OFPRA a refusé leur droit au séjour malgré les persécutions dont la famille a été victime. La convivialité est assurée par les deux groupes, en évitant de multiplier les personnes « aidantes » pour ne pas « noyer » la famille dans les visites et la dépendance. Dès le refus de l’OFPRA, l’aide à l’asile a disparu et c’est la paroisse voisine qui a demandé l’engagement de ses membres pour financer la vie quotidienne avec l’appui de la Banque alimentaire. Cela a été facilité par le fait que cette famille orthodoxe s’est intégrée dans la paroisse catholique du quartier, qui a accueilli parents et enfants avec joie.
Puis des personnes nouvelles ont proposé à PAM de financer un second logement, dont le bail a été signé par Welcome Rouen Métropole, association non confessionnelle créée fin 2015. En principe, Welcome organise l’hébergement des demandeurs d’asile chez l’habitant, avec « rotation » des accueils ; mais PAM a fait inscrire dans les statuts la possibilité de louer un appartement, seule solution pour une famille nombreuse. L’une d’elles est accueillie et accompagnée depuis début avril dans ce nouveau logement que nous avons meublé.
Presque toutes les familles réfugiées sans toit sont déjà déboutées du droit d’asile, donc sans papiers. En les logeant, nous nous engageons sur le long terme, au-delà du seul paiement du loyer puisque ces personnes, sans droit au travail, n’ont aucune ressource. Nous pensions que nos appartements ne seraient que des gîtes provisoires en attendant un logement en CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) par FTDA. Il a fallu nous adapter… en espérant que d’autres personnes pourraient relayer les premières et que le délit de solidarité vis-à-vis des sans papiers ne serait pas remis au goût du jour.
En bref, pour la première fois, notre communauté est engagée collectivement dans une action de longue durée. Le partenariat concret avec d’autres associations et d’autres personnes est enrichissant ; et par ailleurs, notre expérience semble stimulante. Des paroisses s’étant engagées à leur tour, des liens ont été noués avec des catholiques plus « ecclésiaux » que nous. Avec les non-chrétiens embarqués avec nous, nous sommes davantage en terrain connu, mais certains copains avec lesquels nous avons l’habitude de militer trouvent que nous faisons de la « pêche à la ligne » au lieu de garder nos forces pour mettre l’État devant ses responsabilités.
Pour nous, l’un n’empêche pas l’autre et accueillir le mieux possible chaque personne ne peut que motiver davantage pour des luttes globales sur la question de l’immigration car, en ce moment, celles-ci sont également indispensables.