Les Laïcs d’Osorno demandent un évêque irréprochable
par Régine et Guy Ringwald
Osorno, petite ville du sud du Chili continue à refuser l’évêque Juan Barros. Nous nous étions fait l’écho [1] des événements qui avaient entouré l’installation de ce nouvel évêque : il avait fallu avoir recours à la force publique, et il n’avait pas pu distribuer la communion…
C’est que Juan Barros avait fait partie de l’entourage rapproché de Fernando Karadima qui est au centre d’un énorme scandale de pédophilie. Au point qu’il a fait l’objet d’un film qui est passé en salles au Chili (maintenant disponible en ligne ou en DVD) [2]. Barros est formellement accusé d’avoir été témoin des agissements de Karadima et d’avoir fait disparaître les lettres de dénonciation envoyées à l’archevêché de Santiago. Nous avions aussi relaté les éclaboussures parvenues au Vatican [3] et de ce qu’on continue à considérer comme une erreur du Pape François sur le sujet [4].
Les laïcs d’Osorno continuent à réclamer la mise à l’écart ou la démission de Juan Barros, mais il est soutenu par l’Archevêque émérite de Santiago (qui fait partie du groupe des neufs, commission chargée de conseiller le Pape François pour la réforme de la Curie), le Cardinal Errazuriz, et par son successeur le Cardinal Ezzati.
L’article que nous publions aujourd’hui, paru sur le site de « Reflexion y Liberacion » (Chili) et repris par « Religion Digital » (Espagne) élargit le débat au problème que constitue le fait d’imposer un évêque à un peuple qui n’en veut pas. Les excès du pouvoir clérical sont de moins en moins supportables par des chrétiens de plus en plus « citoyens ».
Indignation dans le Diocèse d’Osorno :
Les laïcs demandent un évêque irréprochable.
Tôt ou tard, le Vatican devra assumer ses erreurs afin de permettre un juste dénouement à « l’affaire Barros ». Il est déplacé et imprudent que la hiérarchie impose un évêque.
par Jaime Escobar – « Reflexion y Liberacion », 19 mai 2016
La « Première Rencontre des Laïcs et Laïques » qui a eu lien en juin dernier dans la ville d’Osorno concluait sur l’idée force ; « Dieu parle du Sud » et mentionnait dans sa déclaration finale : « Nous sommes convaincus que l’évêque Juan Barros Madrid ne remplit pas, et ne peut pas remplir, son rôle de pasteur qui consiste à unir et non à diviser le troupeau. Il est déplacé et imprudent que la hiérarchie de l’Eglise impose un évêque incapable d’écouter, d’accueillir et de prendre en considération la communauté d’Osorno qui lui avait fait connaître sa douleur, sa blessure dans sa dignité alors que la vocation de l’Eglise et d’être experte en humanité.
La même organisation nous convoque maintenant pour une « Seconde Rencontre de Laics », le 21 mai. Nous participerons de nouveau à cette journée où des représentants de diverses communautés et paroisses analyseront combien l’Eglise d’Osorno a souffert et continue à souffrir durant cette longue période de temps, blessée, divisée et sans écoute de la part d’une hiérarchie fermée et peu disposée au dialogue. Le fait déterminant est que Juan Barros se maintienne impavide à la tête de ce Diocèse comme dans une belle histoire de service, d’accompagnement dans le cadre d’une mission d’évangélisation exemplaire reconnue par tous.
En tant qu’organe de presse, la revue « Réflexion et Libération », unie à d’autres communautés, personnalités et moyens de communication, nous avons, dès le début, soutenu activement et sans crainte leur juste revendication. Nous avons œuvré à faire connaître leurs diverses actions créatives et non-violentes devant une telle nomination -inopportune et provocatrice, certes venue de Rome, mais concoctée sous l’influence secrète et scellée par le nonce apostolique au Chili, Ivo Scapolo. Il s’agit de la répétition du «modus operandi» adopté lorsque Fernando Karadima était maître et seigneur de la Paroisse « El Bosque », et au temps de la sinistre « Pia Sociedad Sacerdotal » aujourd’hui heureusement dissoute.
Il sera intéressant d’écouter divers témoignages pour savoir comment le laïcat et les communautés abordent ce délicat problème de l’Eglise d’Osorno. Nous savons tous que la crise que traverse l’Eglise chilienne provient dans une certaine mesure de l’affaire Barros. En fait, ce n’est pas seulement un nombre important de fidèles qui proteste contre le maintien de Barros à la tête du diocèse, mais il y a un large secteur de citoyens, d’organisations sociales, de responsables de congrégations religieuses et même des évêques qui réclament une solution, et la nomination d’un nouveau Pasteur dans ce diocèse du Sud tant aimé.
Il est intéressant aussi de constater « in situ » que Rome suit de près l’affaire Barros. La preuve en est que lors de chaque visite d’évêques au Saint Siège, le sujet est évoqué d’une manière ou d’une autre. De même qu’il a été évoqué lors de la visite au Chili de l’influent Cardinal Gerhard Müller, Préfet de la Congrégation de la Doctrine de la Foi, une des personnalités les plus influentes au sein de la Curie Romaine, après le Pape bien sûr.
En réalité, malgré toutes les actions des Laïcs et des citoyens d’Osorno, de la solidarité internationale et de l’information régulière dans d’importants moyens de communication du monde, l’évêque titulaire d’Osorno reste imperturbable, comme le lui a enseigné son confère, « le petit père Karadima », participant comme si de rien n’était à toutes les assemblées plénières de l’épiscopat chilien. Cette situation objective nous conduit à méditer sur ce que signifie le fait, pour l’autorité ecclésiastique, d’imposer une décision qui ne repose que sur une manifestation d’autorité et sur la soumission à une discipline mal comprise.. Et c’est là que nous sommes confrontés à un des points les plus graves de la crise dans l’Eglise : sa perte de crédibilité, notamment chez les jeunes, et le rejet général du pouvoir et de la cléricalisation dans l’Eglise par une société qui n’en veut plus et qui pense, s’informe et assume ses droits dans les diverses domaines où elle s’exprime.
Lors de cette « IIème Rencontre des Laïcs d’Osorno » nous devons garder l’espérance que, tôt ou tard, le Vatican assumera ces erreurs coûteuses et permettra un juste dénouement de « l’affaire Barros », comme nous le disions il y a quelques mois dans notre réflexion « soutenir l’insoutenable » qui a eu des échos positifs au Chili et à Rome. De la même manière, nous le redisons aujourd’hui, considérant que c’est le Pape François lui-même – notre frère, évêque de Rome – qui tout récemment en diverses occasions a dénoncé avec insistante le cléricalisme qui se répand comme une trainée de poudre dans l’Eglise. Et, pour que l’on ne dise pas que ce sont des paroles en l’air ou des slogans, nous vous invitons chaleureusement , en abandonnant tous les préjugés, à relire avec discernement les paroles adressées par François au cardinal Marc Ouellet, Président de la Commission Pontificale pour l’Amérique Latine et les Caraïbes :
« Par exemple, je me souviens de cette fameuse phrase : « c’est l’heure des laïcs », mais on dirait que la montre s’est arrêtée…. Nous ne pouvons pas réfléchir au laïcat en ignorant une des plus grandes déformations que l’Amérique Latine ait à affronter – et à laquelle je vous demande de porter une attention particulière – le cléricalisme. Cette attitude non seulement annule la personnalité du chrétien mais tend à sous-estimer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a mis dans le coeur des fidèles. Le cléricalisme porte à une uniformisation du laïcat ; en le traitant comme simple « mandataire », il limite toutes les initiatives et tous les efforts et j’oserais dire les audaces nécessaires, pour porter la bonne nouvelle de l’évangile à tous les domaines de l’activité sociale et surtout politique. Le cléricalisme loin de donner de l’impulsion aux différentes contributions et propositions, éteint peu à peu le feu prophétique dont l’Eglise entière est appelée à témoigner dans le cœur de ses peuples. » (Lettre du pape François, Rome, le 28 avril 2016) [4]
Notes :
[1] http://nsae.fr/2015/10/12/crise-autour-de-la-nomination-de-leveque-dosorno-au-chili/ [2] Titre « El bosque de Karadima »https://www.cath.ch/newsf/chili-sortie-dun-film-sur-le-cure-pedophile-fernando-karadima/
[3] http://nsae.fr/2016/03/04/pedophilie-pour-la-tolerance-zero-encore-un-effort/ [4] http://nsae.fr/2016/05/11/lesprit-est-au-travail-parmi-les-laics-il-nest-pas-la-propriete-de-la-hierarchie/