Combien vaut votre patron ?
Par Christian Chavagneux (Alternatives Économiques)
Les rémunérations par millions de certains grands patrons du CAC 40 suscitent de plus en plus l’indignation publique. Mais quel serait le “bon” niveau de rémunération des dirigeants d’entreprise ? En fait, combien vaut un patron ? Sur le plan empirique, selon une enquête publiée par La Tribune le 21 avril dernier, un patron du CAC 40 touchait en moyenne 4,2 millions d’euros en 2015. Mais entre les 16,8 millions d’Olivier Brandicourt (Sanofi) et les 993 000 euros de Martin Bouygues, il existe un écart de 1 à 17.
Un travail plus ancien de l’Insee pour la CGPME indique que les patrons d’entreprise de moins de 20 salariés touchaient 51 000 euros par an en moyenne en 2010 et ceux de plus de 50 salariés 107 000. En général, les différences de rémunération selon les secteurs d’activité vont de 1 à 3.
Le problème concerne donc essentiellement les grands patrons. Ils gagnent en moyenne, en un an, près de deux siècles et demi d’années de travail d’un smicard. Mais aussi 120 années de travail d’un salarié moyen et 70 ans de travail d’un cadre. Des écarts jugés inacceptables.
Mauvaises raisons
Existe-t-il des raisons qui permettraient de justifier de telles différences de traitement ? Il y aurait un marché mondial du patron et, comme pour les grands sportifs et les vedettes, les meilleurs empocheraient de grosses mises. Mais c’est faux. Les dirigeants de grande entreprise restent fondamentalement des locaux. Il n’y a même pas de marché national des patrons : on voit rarement un dirigeant du CAC 40 passer d’une entreprise à l’autre.
L’autre grand argument consiste à montrer que la rémunération suit simplement “la taille de l’entreprise”. D’une part, ce n’est pas toujours vérifié, comme le montre l’enquête de La Tribune. D’autre part, on entend alors par “taille” la capitalisation boursière. Un patron qui licencie, pollue, délocalise, sous-paie ses employés, etc., mais qui accroît le cours de Bourse “mérite” donc d’être largement rémunéré. Ainsi, pour l’avocat Jean-Philippe Robé, ce que touche un dirigeant d’entreprise devrait être lié à sa capacité à créer de la valeur ajoutée plutôt que de la valeur actionnariale.
Quelles régulations ?
Face aux dérives actuelles, il apparaît clairement que l’autorégulation par le secteur privé ne fonctionne pas. Les actionnaires peuvent-ils représenter un contre-pouvoir ? Ils jouent de plus en plus ce rôle. À cet égard, on attend avec impatience les nouvelles règles que souhaite bientôt imposer en la matière le premier fonds souverain mondial, le fonds public norvégien, présent au capital de 9 000 entreprises dans le monde. Le gouvernement français avance dans ce sens en rendant les décisions des assemblées générales d’actionnaires contraignantes pour le conseil d’administration. Mais pour les AG qui valideront les salaires, ce qui reste le cas aujourd’hui dans la grande majorité des cas, cela ne changera rien.
D’autres pistes existent-elles ? La fiscalité en est une, mais le gouvernement n’est pas prêt à agir dans ce sens. Dans l’État du Rhode Island, aux États-Unis, les contrats publics donnent la préférence aux entreprises dans lesquelles les écarts de salaires ne sont pas trop élevés. Si le niveau socialement acceptable d’un salaire de grand patron reste difficile à mesurer, une chose est certaine : il est considéré aujourd’hui en France comme largement dépassé.