La Tanzanie peut faire gagner l’Afrique contre l’UEFA (Union européenne des financiers associés) ! Un bénéfice imprévu du Brexit ?
Par Jean Gadrey
Voici une très bonne nouvelle, reçue de mon ami Jacques Berthelot, un expert sur ces questions. Elle ne passera dans aucun JT. Si la Tanzanie, qui vient de renoncer à signer un « accord de partenariat économique » (APE) entre l’UE et l’Afrique de l’Est, tient bon face aux inévitables pressions, ce sera la meilleure nouvelle de l’année pour les peuples africains, et peut-être au-delà.
J’ai plusieurs fois parlé de ces funestes APE que l’UE cherche à imposer dans nombre de pays et grandes régions du Sud, en particulier en Afrique de l’Ouest pour l’un d’eux, en Afrique de l’Est pour un autre. Ce sont des Tafta et des Ceta en pire, des machines de guerre économique du néocolonialisme néolibéral dominé par les multinationales et la finance [1].
La Tanzanie ouvre une voie
Or on vient d’apprendre que la Tanzanie ne signera pas l’APE « Afrique de l’Est » le 18 juillet comme cela était prévu avec une cérémonie officielle à Nairobi. Si ce pays ne le signe pas, cet accord entre l’UE et cinq pays (Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie, pays le plus peuplé des cinq avec 52 millions d’habitants) sera enterré.
Et si cela se produit, ce qui n’est pas encore certain, mais assez probable, cela ne peut pas être sans conséquence sur l’APE encore plus gros avec l’Afrique de l’Ouest. Il concerne 16 pays, dont l’énorme Nigéria avec ses 182 millions d’habitants. Or justement le Nigéria semble déjà très réticent. L’exemple tanzanien pourrait contribuer à le faire basculer vers le refus.
Un bénéfice collatéral du Brexit ?
Pourquoi cette volte-face de la Tanzanie ? On peut penser que ce pays était déjà peu enthousiaste, mais le Brexit a probablement aidé à transformer le doute en refus, ou fourni un bon prétexte. Si l’on en croit le Daily Nation du 9 juillet [2], le représentant de la Tanzanie a effectivement mis en avant le « turmoil » (tourmente) créé par le Brexit.
Mais de façon plus déterminante, il a également déclaré : « Nos experts ont montré que cet APE ne bénéficierait pas à nos industries locales. Au contraire, il conduirait à leur destruction vu que les pays riches domineront le marché ». Le Daily Nation mentionne aussi l’hostilité croissante d’universitaires et de mouvements sociaux à ces accords « néocoloniaux ».
Cela dit, il est vrai que la sortie du Royaume Uni de l’UE modifie les termes des échanges et des accords de « libre-échange » (ALE), et parfois dans de fortes proportions. Jacques Berthelot fait ainsi remarquer que, s’agissant du CETA entre l’UE et le Canada, le seul Royaume-Uni représente 43 % des importations de l’UE28 en provenance du Canada et 15 % des exportations de l’UE28 vers le Canada.
Quoi qu’il en soit, savourons la bonne nouvelle en espérant qu’elle va bel et bien aboutir à une défaite cinglante de l’UEFA…
Notes :
[1] Voir les quatre billets suivants, qui datent de 2014.– S’opposer à l’APE Europe-Afrique de l’Ouest (10 juillet 2014)
– STOP-APE : un appel aux organisations de la société civile et aux élus, en Europe et en Afrique (26 juillet 2014)
– Nouvelles du front : stopper l’APE entre l’UE et l’Afrique de l’Ouest (9 août 2014)
– Les APE à la portée de tous (19 octobre 2014)
[2] http://www.nation.co.ke/news/Tanzania-backs-out-of-EAC-deal-with-EU-over-Brexit/-/1056/3287032/-/s139waz/-/index.html Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères).
S’y ajoutent En finir avec les inégalités(Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale.
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.