Une expérience dans l’espérance
Par Colleen Gibson
L’effondrement démographique est un terrain malaisé pour y élaborer un motif d’espérance. Pourtant, c’est exactement ainsi que Marcia Allen, (sœur de Saint-Joseph), a commencé son discours de présidente, intitulé “Transformation – Une expérience d’espérance », lors de l’Assemblée de la Conférence de direction des religieuses américaines (LCWR), la semaine dernière (NDLR le 10 août).
Elle ne parlait pas de diminution ou de réduction des effectifs, comme les religieuses savent le faire. Elle n’a pas édulcoré les faits ou chaussé des lunettes roses. Non, dirigeante de la plus grande association de responsables de congrégations de religieuses catholiques aux États-Unis, elle a dit la vérité : les adhésions s’effondrent. « Nos membres sont pratiquement en train de s’évaporer ! » a déclaré Allen, statistiques à l’appui. L’association qui a été autrefois au service des dirigeantes de 150.000 à 181.000 membres le sera, en 2025, pour moins de 29.000 sœurs.
Je ne peux pas imaginer que quelqu’un dans la salle ait été choqué, mais, en lisant et relisant plus tard les propos d’Allen, j’ai été frappée par la clarté et le réalisme de ce qu’elle a dit et écrit. Ce qui pourrait sembler à première vue tragique m’a paru au contraire grandiose. On était dans la réalité – et quand nous faisons face à la réalité, qu’il s’agisse de nous-mêmes ou de systèmes dont nous faisons partie, il existe un potentiel de croissance. Si l’on discutait franchement de l’effondrement démographique sur une scène publique, c’est qu’il pourrait y avoir de l’espoir. Après tout, le sujet actuel était la transformation, et pas la désolation.
J’ai souvent dit que, jeune femme, je suis entrée dans la vie religieuse en connaissant très bien la réalité de la vie religieuse. Dans la mesure où je le pouvais, c’est vrai. Cependant, comme avec toutes les choses que nous rencontrons de l’extérieur, je ne pouvais savoir tant de choses. La réalité de l’effondrement est plus grave que je ne le réalisais et, à certains moments, il s’effectue d’une manière que je n’aurais jamais imaginée. Avec le temps, j’en suis venue à me colleter plus pleinement avec lui et à comprendre exactement ce que cela signifie pour moi et les femmes que j’appelle sœurs. Certains jours, il stimule l’espoir, d’autres jours, il apporte la reconnaissance, et encore plus souvent, il me fait me demander si le changement est possible.
Les mots poignants de Marcia Allen ont fait résonner en moi ces pensées et ces émotions. Et dans sa franchise à nommer la réalité, je reconnais que c’est, en fait, la réalité au-delà de laquelle nous devons aller.
Notre tâche est maintenant de ne pas développer une nouvelle façon de voir l’ancien. Nous ne sommes pas censées réorganiser ce que nous avons, de faire un nouveau plan ou de remodeler ce qui a été. La tâche à accomplir est de permettre un tout nouveau point de vue – de reconnaître un nouvel horizon.
La seule façon de voir un nouvel horizon, cependant, est de changer de point de vue. C’est comme si nous nous étions endormies au cours d’un voyage sur la route et que nous nous réveillions pour constater que le paysage urbain, que nous avions vu auparavant, avait cédé la place à des champs verts et un horizon plat. Peut-être en est-il de même pour l’espoir de la transformation de la vie religieuse, aussi. Pendant de nombreuses années, nous nous sommes dit que les chiffres augmenteraient et que le changement viendrait. Le changement, cependant, est venu d’une manière différente, et non pas sous la forme de vocations nouvelles et abondantes, mais dans l’impact inévitable du temps. Alors que nous l’avons attendu et construit dans l’espoir, l’effondrement a sonné le glas.
Tant de choses ont déjà changé, mais toujours, peu importe nos chiffres, nous choisissons le point de vue d’où nous regardons, et nous avons la possibilité de choisir un nouvel horizon. Pour voir, comme Allen le dit, «tout un horizon de possibilité, un paysage rempli de possibilités illimitées.” Nous ne pouvons pas simplement maintenir ce qui était, il faut élaborer des questions qui nous font aller au-delà de maintenant, en répondant aux besoins de l’avenir.
Atteindre ce nouvel horizon, cependant, nécessite de changer de position. Cela signifie aborder la vie religieuse d’une nouvelle façon, déconstruire les systèmes, et parier sur le cœur de nos fondations. Cela n’est pas facile. Personne n’a jamais dit que ce le serait.
Dans l’impuissance et le désespoir, nous pourrions crier : « Dites-moi où me tenir !” Mais personne ne le peut. Comme les Israélites dans le désert, nous errons. Depuis notre environnement et notre réalité, nous gardons nos yeux sur l’horizon, nous préparant à ce qui est à venir. Nous nous souvenons aussi que Dieu travaille dans l’obscurité. Le vent souffle dans la nuit pour séparer la mer Rouge; dans les ténèbres, l’Esprit plane au-dessus des eaux de la Création pour faire naître la vie.
Pour une adhérente récente à la vie religieuse, cette errance peut être fatigante, mais elle est aussi formatrice. Exactement comme Marcia Allen dit que la transformation est une expérience de l’espérance, ainsi est la vie religieuse aujourd’hui. C’est une expérience à laquelle nous nous prenons part, à laquelle nous nous donnons nous-mêmes tout entières. Dans la foi qui mène à l’espérance, nous traversons les paysages.
Et c’est là que les paroles d’Allen parlent particulièrement à la nouvelle réalité à laquelle nous sommes confrontés :
Après que tout le rationnel ait été tenté ; après que des solutions aient été formulées et aient échoué ; quand le vieux langage se transforme en cendres dans nos bouches, alors nous sommes réduites au silence. Et c’est là que l’espérance est avivée. Dans la croyance que quelque chose surgira des ravages de l’effondrement se forge l’espérance. Dans un horizon lointain, révélé obliquement dans la périphérie, la grande question qui commence déjà à émerge se formule dans un nouveau langage. Dans l’échange avec l’autre vous avez commencé à voir clairement ce que vous créez et pourquoi; ce qui veut dire, vous avez commencé à voir où commence l’exploration de réinventions.
Cela est aussi vrai pour les dirigeantes élues de la congrégation que pour les sœurs dans la vie quotidienne.
Dans le dialogue entre nous et avec Dieu, commence la réinvention. L’effondrement devient le moyen de la résurrection et la vie nouvelle fait surface dans un horizon que vous n’avez jamais vu auparavant.
Telle est la vie, cependant incertaine et imparfaite, que nous choisissons de vivre. C’est une expérience dans l’espérance, la recherche de nouveaux horizons et la conviction que la foi peut transformer le monde.
[Colleen Gibson est une sœur de Saint-Joseph de Philadelphie. Auteur du blog Wandering in Wonder, elle est actuellement directrice adjointe du ministère du campus à Chestnut Hill College à Philadelphie.]
Source : http://globalsistersreport.org/column/horizons/trends/experiment-hope-41786
Traduction par Lucienne Gouguenheim