Le petit garçon syrien ensanglanté Omran Daqneesh : juste une nouvelle image?
Par Lina Sergie Attar [1]
L’image emblématique d’un petit garçon syrien ensanglanté dans une ambulance a suscité la compassion internationale, mais, demande Lina Sergie Attar, peut-elle aujourd’hui être plus que juste un hashtag ou moment viral et devenir un mouvement pour mettre fin à la guerre ?
” Il a l’air d’une statue.” Voilà ce qu’a dit ma fille de 11 ans quand elle a vu la vidéo du petit garçon de cinq ans, Omran Daqneesh, couvert de poussière grise et de sang frais, assis sur une chaise orange vif dans une ambulance.
Il est assis dans un silence total, regarde devant lui de ses yeux endormis.
La statue bouge. Il touche son front ensanglanté et étudie sa main avec confusion.
Puis le petit Omran fait ce que tout parent a vu faire à son enfant. Après avoir hésité un moment, il essuie sa main sur la chaise. Sauf que nos enfants ont fait la même chose avec du ketchup, de la crème glacée, du chocolat. Pas du sang.
Tradition annuelle
Le monde a été choqué une nouvelle fois par l’image d’un enfant syrien.
Omran a été sauvé avec sa famille par la Défense civile syrienne (également connue sous le nom des Casques blancs) après une attaque aérienne russe mercredi dans l’est d’Alep tenu par les rebelles, dont on rapporte qu’elle frappé sa maison.
Sa photo a été présentée en première page de tous les grands journaux internationaux, discutée dans les informations, et s’est répandue de façon virale sur les médias sociaux.
Il semble que la fin de l’été soit devenue une tradition annuelle pour le monde de se réveiller à la tragédie de la Syrie à travers les photos de ses enfants qui souffrent.
Il y a trois ans, ce sont les images d’enfants gazés de la Ghouta, banlieue de Damas, qui sont morts asphyxiés après une attaque par armes chimiques sur leurs quartiers – dont on a largement blâmé les forces du régime – alors qu’ils dormaient dans des abris souterrains.
Ils ressemblaient à des poupées de porcelaine parfaite, alignés en rangée, cireux et sans tache.
L‘an dernier, c’est la photo du bébé syrien Alan Kurdi qui a été rejeté sur une plage turque après s’être noyé en tentant d’atteindre la Grèce avec sa famille, alors qu’ils fuyaient la guerre comme des millions d’autres réfugiés.
Alan a capté le cœur et la compassion du monde entier avec son T-shirt rouge, son short bleu marine, et ses solides petites chaussures – tenue universelle d’un bambin – et il est devenu le symbole de la détresse des réfugiés.
Omran est l’icône syrienne de 2016.
Malheureusement, chaque année, ces images sont suivies par des millions de tweets, de likes et de shares ; ils suscitent l’indignation du public et une effusion de dons humanitaires à des organismes d’aide; puis, après quelques jours ou quelques semaines, l’image et la crise sont oubliées.
Le monde avance. Les raids aériens par le gouvernement syrien et ses alliés continuent à larguer des bombes de toutes sortes sur les civils; le soi-disant État islamique (EI) continue de terroriser les Syriens vivant sous son contrôle; le nombre de morts augmente et la crise des réfugiés continue de se développer.
La communauté internationale et l’ONU se tordent les mains. Et puis une année passe et arrive une autre image virale. Encore et encore.
Silence assourdissant
Les attaques à l’arme chimique, les déplacements massifs, les barils de bombes, les frappes aériennes, la famine forcée, la torture: tous les actes de guerre ignobles imaginables ont directement touché les enfants syriens depuis 2011.
Tout ce qu’ont connu des enfants comme Omran dans leur vie, c’est la guerre.
Pour des millions d’enfants syriens qui grandissent au cours de ce conflit exténuant, les réalités sont sombres et leur avenir encore plus sombre.
S’ils restent dans leurs maisons, ils sont les cibles désignées de bombes et de missiles. Ils peuvent souffrir de faim et de maladie s’ils vivent dans des zones assiégées. Ils ne peuvent pas avoir accès à l’école ni même l’accès à un passage sûr pour l’école.
S’ils partent avec leurs familles à travers les frontières de la Syrie dans un pays voisin, ils peuvent être forcés de travailler comme des enfants au travail pour soutenir leurs familles.
Aller au-delà des frontières des pays voisins pose des risques encore plus grands: la noyade sur le chemin de l’Europe; être pris au piège dans des camps de détention; et enfin, après avoir atteint des refuges, ils sont encore soumis à des campagnes de discrimination et de haine.
Les enfants syriens sont indésirables partout où ils vont.
Cette semaine, une image, un garçon, un moment, a été élevé au-dessus des dizaines de moments qui ont eu lieu tous les jours en Syrie au cours des cinq dernières années et demie.
Chaque jour, il y a tellement d’Omrans dont vous ne verrez jamais les images et dont vous ne saurez jamais les noms.
Et contrairement à la chance qu’a eue Omran, ces enfants ne survivent pas.
Ce n’est pas un moment de hashtag. Ce n’est pas un moment viral. C’est un moment qui doit devenir un mouvement pour mettre fin à la guerre.
Il ressemble à une statue. Il regarde la caméra, vers nous, dans un silence complet. Littéralement en état de choc. Comme s’il savait déjà que le silence est la seule réponse appropriée à ce qui vient d’arriver.
Le silence écrasant d’un enfant pour correspondre au silence assourdissant du monde que les Syriens ne connaissent que trop bien.
Note :
[1] Lina Sergie Attar est une écrivaine et architecte américano-syrienne. Elle est cofondatrice et PDG de la Fondation Karam, qui fournit une aide humanitaire aux Syriens.
Source de l’article : http://www.bbc.com/news/world-middle-east-37134986
Traduction par Lucienne Gouguenheim
Source de l’illustration : Frank C. Müller [CC BY-SA 4.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], via Wikimedia Commons