« L’identité chrétienne de toujours n’existe pas »
Alors que certains utilisent l’identité chrétienne pour créer une frontière entre « eux et nous », le jésuite Alain Thomasset, professeur de théologie morale au Centre Sèvres et président de l’Association de théologiens pour l’étude de la morale (Atem), rappelle que cette identité est toujours ouverte. Entretien avec Isabelle Démangeât (La Croix).
Alain Thomasset, Président de l’ATEM et Eric Gaziau
La Croix : Qu’est-ce que l’identité chrétienne ?
Alain Thomasset : L’identité chrétienne n’est pas d’abord un ensemble de valeurs, de rites ou même de cultures, mais le fait de devenir comme le Christ, le suivre et l’imiter. Cette imitation est donc mouvante dans l’histoire, toujours à interpréter selon les appels du temps. De même que la « France de toujours » n’existe pas, « l’identité chrétienne de toujours » n’existe pas : elle s’ancre dans l’histoire, s’actualise, d’un point de vue individuel et collectif. C’est ainsi que je parlerais davantage d’« identités chrétiennes », au pluriel.
Pourquoi cette notion fait-elle débat aujourd’hui ?
A.T. : Il est moins facile d’être chrétien aujourd’hui en France qu’il y a cinquante ans. La société s’est sécularisée, le pluralisme s’est installé, l’insécurité est devenue récurrente… On comprend que certains chrétiens, réalisant qu’ils sont une minorité, se sentent menacés, sont tentés par le repli pour défendre leur identité. Ils agissent comme si elle était un entre-soi face à l’autre, alors que le christianisme est par essence universel et a vocation à se proposer à tous.
De la même manière, certains politiques s’emparent de cette notion comme moyen d’identification, pour rassembler ; ce qui permet « d’établir une frontière entre eux et nous ».
Mais la religion, si elle a un impact politique, n’est pas « utile » au sens politique du terme et ne le sera jamais. Elle est irrécupérable sur le plan politique parce qu’elle est là pour témoigner du Christ, et ce, toujours dans un excès : un excès d’amour, un excès de pardon.
Comment devons-nous, nous chrétiens, réagir face à ces différentes instrumentalisations de l’identité chrétienne ?
A.T. : Il faut, d’abord, déminer le discours en dénonçant ces instrumentalisations, mais aussi ne pas hésiter à intervenir dans le débat politique et social pour transmettre les positions qui nous sont inspirées par l’Évangile, et bien sûr manifester son identité par des actions : accueillir des réfugiés, défendre la famille, etc.
La question des signes distinctifs est également complexe. Même si nous n’avons pas à nous cacher et à cacher le fait que nous soyons chrétiens, il est important selon moi, dans une société plurielle, de discerner, selon les cas, ce que ces signes peuvent provoquer chez l’autre, de ne pas mettre en danger la paix civile et la fraternité vécue au quotidien.
Source de l’illustration : http://www.ethique-atem.org