Quelle laïcité aujourd’hui ?
Par Michèle Janss (Investig’action)
Parmi les combats d’idées qui font la une des médias, la question de la laïcité semble occuper une place de plus en plus centrale. Une mise au point s’impose.
La laïcité moderne plonge ses racines dans le Siècle des Lumières et la Révolution Française. Il s’agissait alors de combattre le pouvoir absolu de la royauté et de lutter contre l’emprise qu’avait le clergé sur quasi tous les niveaux d’organisation de la société.
L’espace politique deviendra idéalement le lieu où les conflits qui traversent la société seront posés, débattus et résolus rationnellement. La laïcité pose le principe de la capacité de l’homme à se gouverner par sa seule raison tout en laissant chaque individu, au sein de la société, libre de ses choix spirituels.
La laïcité comprise comme recours à la seule raison et à la discussion pour conduire la cité est une idée ancienne. On la trouve déjà chez Aristote quand il définit la politique comme recherche rationnelle du « bien commun ». Dans le monde musulman, on a légitimement comparé le califat à certains moments de son histoire à une « théocratie laïque » [1] en ce sens qu’il n’existe pas de clergé en Islam et que les plus hautes fonctions pouvaient être occupées par des non-musulmans. Les citoyens des autres confessions y étaient libres de pratiquer leur religion. Cette aspiration, loin d’être propre à l’Occident, se retrouve chez de nombreux peuples.
Si la laïcité est la garantie de l’accès de tous à ce libre débat, qu’en est-il aujourd’hui ? En réalité, l’idée de laïcité est devenue une sorte de coquille vide. La confiscation du débat n’est actuellement plus une menace qui vient du religieux, mais bien de l’énorme pouvoir de l’argent privé. Au sein même des institutions européennes, une place est réservée pour un nouveau clergé : les lobbyistes et représentants des transnationales. Le militantisme laïque est aujourd’hui gangréné par l’idéologie « néoconservatrice », atlantiste et ultra libérale.
La politique, devenue un spectacle, prépare la société à la sortie du politique. Le spectacle n’est pas un débat : il fascine, il n’a aucun fond éducatif. On le commente en donnant seulement l’illusion d’une liberté de parole. Dans cette même logique, les problèmes « sociétaux » sont mis en scène, mais masquent d’énormes problèmes d’inégalités sociales. En réalité, le libéralisme économique est devenu la nouvelle religion à laquelle les gouvernements, laïques ou non, sont soumis.
Le combat pour la laïcité ne peut pas consister à lutter contre l’emprise du religieux alors qu’il devrait protéger les choix spirituels de chacun. Il ne suffit pas à tracer les lignes d’un programme de progrès. Il s’accommode trop facilement des violences sociales, des inégalités et des guerres que l’OTAN mène, entre autres, dans le monde arabo-musulman. Pire, avec l’aide de « nouveaux réactionnaires », la laïcité est devenue un instrument d’oppression des classes populaires, en particulier musulmanes, dont l’histoire fait pourtant aussi partie de notre histoire européenne.
Ces populations ont combattu et versé leur sang durant la plupart des guerres occidentales du 20e siècle pour obtenir finalement peu de reconnaissance. Elles ont participé à l’essor industriel de ces 100 dernières années en tant que travailleuses immigrées et ont été soumises aux dures conditions du travail des mines, des chantiers et des usines. Ce qu’on leur demande aujourd’hui, c’est de se rendre « invisibles » au nom de la laïcité. On privilégie davantage l’assimilation, qui tend à faire disparaitre toute particularité religieuse ou culturelle, plutôt que l’intégration respectueuse de tous.
Dans les écoles, la laïcité « creuset de la formation à la citoyenneté » est remplacée par la laïcité « neutralité ». L’éducation au débat informé, à l’écoute respectueuse de points de vue différents, à la pensée autonome ne semble plus à l’ordre du jour. Les professeurs sont invités à rester « neutres » et les étudiants dociles.
Il est important de comprendre que toute société est composée d’individus ayant des points de vue différents et que c’est justement ce qui fait la richesse des débats d’idées. Chacun a le droit d’être reconnu, entendu et respecté. Ce sont la justice et l’égalité qui doivent aujourd’hui se retrouver au centre de nos préoccupations.
Note :
[1] Louis Massignon « Passion d’al-Hallâj » ; Louis Gardet « La cité musulmane, vie sociale et politique ».
Source : http://www.investigaction.net/quelle-laicite-aujourdhui/
Bonjour,
Cette “mise au point” appelle pour le moins, quelques autres mises au point…
“Le combat pour la laïcité ne peut pas consister à lutter contre l’emprise du religieux alors qu’il devrait protéger les choix spirituels de chacun” : le principe de laïcité, qui est un principe juridique, rappelons-le, a pourtant bien été créée afin de lutter contre l’emprise du religieux, lorsque celui-ci a prétention à vouloir s’immiscer dans la sphère de la décision politique et à vouloir imposer sa loi à la loi commune.
“avec l’aide de « nouveaux réactionnaires », la laïcité est devenue un instrument d’oppression des classes populaires, en particulier musulmanes(…). Ce qu’on leur demande aujourd’hui, c’est de se rendre « invisibles » au nom de la laïcité” : ce n’est pas la laïcité qui est un instrument d’oppression des “classes populaires musulmanes”, c’est l’interprétation fausse de celle-ci, à relent xénophobe, qui vise à exclure toute manifestation d’expression religieuse, principalement musulmane, dans l’espace public (cette interdiction n’est justifiée que dans l’espace des institutions publiques).
A l’inverse, l’approche discutable qui consiste à promouvoir une vision idéalisée de l’islam comme “religion des opprimés” comporte le risque de minimiser le danger du prosélytisme agressif mené par des groupes religieux intégristes.
“Dans les écoles, la laïcité « creuset de la formation à la citoyenneté » est remplacée par la laïcité « neutralité ». L’éducation au débat informé, à l’écoute respectueuse de points de vue différents, à la pensée autonome ne semble plus à l’ordre du jour. Les professeurs sont invités à rester « neutres » et les étudiants dociles.” : bien au contraire, c’est justement la loi de 2004, qui interdit les signes religieux ostentatoires dans l’espace scolaire qui permet à celui-ci de rester un « creuset de la formation à la citoyenneté ». En effet, comment éveiller l’individu à la pensée critique et élargir son horizon intellectuel et humain, si l’école est envahie par les affirmations identitaires ?
Amitiés
BREYSACHER Christophe