“Dernier Testament : dans ses propres mots”
Un nouveau livre d’entretiens du pape émérite Benoît XVI avec le journaliste Peter Seewald vient d’être publié. La traduction française est sortie sous le titre « Dernières conversations », aux éditions Fayard. Dans son introduction, Seewald précise que les entrevues ont été menées “peu de temps avant et après” la démission de Benoît en 2013.
Voici la traduction de quelques extraits de la présentation qu’en fait Joshua J. McElwee pour le National Catholic Reporter.
À propos d’Humanae Vitae
“Dans la situation où j’étais alors, et dans le contexte de la pensée théologique dans laquelle je me trouvais, Humanae Vitae de Paul VI était pour moi un texte difficile. Il est certainement clair que ce qu’il a dit était valide, mais pour nous à ce moment-là, et pour moi aussi, le raisonnement n’était pas satisfaisant», déclare Benoît XVI.
«Je cherchais un point de vue anthropologique global», poursuit-il. «En fait, c’est Jean-Paul II qui a complété le point de vue-loi naturelle de l’encyclique par une vision personnaliste.»
Le rôle du pape retraité dans l’interprétation ultérieure du Concile Vatican II
En 1968, le P. Joseph Ratzinger occupait la chaire de théologie dogmatique à l’université allemande de Tübingen. Il avait été auparavant conseiller théologique, à Cologne, du Cardinal Joseph Frings.
À un moment donné dans le livre, Benoît mentionne la rédaction d’un discours que Frings lui avait demandé de donner en 1961 à Gênes, en Italie, et qui a été vu à l’époque comme une feuille de route pour la réforme progressive de l’Église.
Seewald se renseigne sur ce discours de 1961 et le point de vue de Ratzinger lors du Concile, et lui demande : « À quel camp apparteniez-vous à cette époque ? Celui des progressistes ?”
“À cette époque, répond Benoît, progressiste ne signifiait pas que vous violiez la foi, mais que vous vouliez mieux la comprendre, et plus précisément, comment elle se vivait à ses origines.”
Benoît dit alors que les perceptions du Concile Vatican ont changé au fil des décennies.
«Les évêques ont voulu renouveler la foi, l’approfondir», affirme le pontife retraité. “Cependant, d’autres forces ont travaillé avec une force croissante, en particulier les journalistes, qui ont interprété beaucoup de choses d’une manière complètement nouvelle.”
«Finalement, les gens se disaient : ‘Oui, si les évêques sont capables de tout changer, pourquoi ne pouvons-nous le faire?’ La liturgie a commencé à se désagréger et dériver dans les préférences personnelles. »
“À cet égard, on voyait bien que ce qui était initialement souhaité prenait une direction différente », poursuit-il. “À partir de 1965, j’ai senti que ma mission était de préciser ce que nous voulions vraiment et ce que nous ne voulions pas.”
Seewald demande alors à Benoît XVI s’il a eu des “remords” d’avoir plaidé pour la réforme de l’Église au Concile.
« Le cardinal Frings a ressenti plus tard d’intenses crises de conscience. Mais il a toujours eu conscience que ce que nous avons effectivement dit et mis en avant était juste, et devait également être fait.”
“Nous avons traité les choses correctement, même si nous ne nous attendions pas aux conséquences politiques ni aux répercussions réelles», poursuit-il. “On pensait trop aux questions théologiques alors, et on ne réfléchissait pas à ce qui allait se passer.”
“En soi, ce fut un moment dans l’Église, où vous étiez simplement en attente de quelque chose de nouveau, d’un renouvellement, du renouvellement de l’ensemble», déclare Benoît. “Ce ne devait pas être quelque chose qui devait seulement sortir de Rome, mais une nouvelle rencontre de l’Église avec le monde entier. À cet égard, le temps était tout simplement proche.”
Promoteur d’une « réflexion prospective » en théologie
Plus avant dans le livre, Benoît se souvient de ses points de vue théologiques de jeune séminariste à la fin des années 1940 et au début des années 1950.
« Je voulais sortir du thomisme classique », dit le pape retraité, se référant à des écoles de pensée qui collent strictement aux enseignements du 13e siècle du théologien Saint-Thomas d’Aquin.
« Nous avons été avant-gardistes » dit Benoît, parlant de lui-même et de ses compagnons d’alors. Nous avons voulu renouveler la théologie à partir de la base, et ainsi donner à l’Église du renouveau et de la vitalité.”
“À cette époque, nous avions tous un certain mépris pour le XIXe siècle, c’était à la mode alors” poursuit-il. «Nous voulions une nouvelle ère de piété, qui se forme à partir de la liturgie, de sa sobriété et de sa grandeur, reposant sur les sources originales – et qui soit nouvelle et contemporaine précisément à cause de cela.”
Benoît dit que, au moins au début, il a préféré le quatrième siècle, celui de Saint-Augustin, à Saint-Thomas. «La lutte personnelle qu’exprime Augustin m’a vraiment parlé. Les écrits de Thomas étaient en gros des manuels et en quelque sorte impersonnels.” “Augustin bataille avec lui-même, et continue de le faire après sa conversion,» poursuit-il. “Et c’est convaincant et beau.”
« Nous ne nous règlementons pas votre foi, nous servons votre joie.”
Seewald interroge alors Benoît sur cette devise portée sur l’invitation à la première messe célébrée par lui après son ordination sacerdotale.
La réponse de Benoît se lit comme ayant pu venir de son successeur, François.
“Dans le cadre d’une compréhension contemporaine du sacerdoce, non seulement avons-nous conscience que le cléricalisme est erroné et que le prêtre est toujours un serviteur, mais nous avons également fait de grands efforts intérieurs pour ne pas nous placer sur un piédestal élevé », affirme l’ancien pontife.
« Je n’aurais même pas osé me présenter comme ‘le révérend’ », dit Benoît. “Être conscient que nous ne sommes pas des seigneurs, mais plutôt des serviteurs, était pour moi quelque chose de non seulement rassurant, mais aussi de personnellement important, comme la base sur laquelle je pouvais recevoir l’ordination.”
“La déclaration sur l’invitation a exprimé une motivation centrale pour moi», poursuit-il. «Ce fut un motif que j’ai trouvé dans divers textes dans les leçons et les lectures de l’Écriture Sainte, et qui exprime quelque chose de très important pour moi.”
La rupture avec Küng
Benoît XVI parle également de ses relations avec les théologiens célèbres de son époque. Il dit ceux qu’il a appréciés ; la plupart étaient français, le jésuite Henri de Lubac et le père jésuite suisse Hans Urs von Balthasar.
Interrogé sur sa relation avec le célèbre théologien suisse Hans Küng, le précédent pape déclare : “Son parcours théologique a simplement pris un autre chemin, et il est devenu de plus en plus radical.” “Je ne pouvais pas m’associer à cela, je n’y suis pas autorisé », poursuit Benoît. «Pourquoi suis-je alors identifié par lui comme un ennemi, je ne sais pas.”
Seewald demande à Benoît à quel moment il a décidé de “choisir un autre camp” que celui de Küng sur les débats théologiques de l’époque.
«Je voyais que sa théologie n’était plus l’interprétation de la foi de l’Église catholique, mais dérivait vers ce qu’elle pourrait et devrait être, selon sa propre valeur », répond Benoît. «Pour moi, cette théologie était incompatible avec celle d’un théologien catholique.”
Dominus Iesus
Plus loin dans le livre, Seewald interroge Benoît au sujet de son temps à la tête de la Congrégation du Vatican pour la doctrine de la foi, sous le pape Jean-Paul II. À propos de la déclaration de la congrégation en 2000, Dominus Iesus, qui a entraîné la controverse en déclarant que les églises protestantes ne sont pas « églises au sens propre », il demande si Benoît a écrit le document lui-même. «Je n’ai, de façon délibérée, jamais écrit moi-même aucun des documents de la congrégation, pour que mon opinion ne soit pas affichée ; sinon, j’aurais été tenté de diffuser et d’appliquer ma propre théologie privée ».
“Un tel document devait se construire organiquement, à partir de la base des bureaux compétents responsables », poursuit-il. “Bien sûr, j’étais un collègue de travail, et je faisais des reformulations critiques, etc. Mais je n’ai pas écrit tous les documents moi-même, y compris Dominus Iesus».
Le Catéchisme de l’Église de 1992
«De plus en plus de gens se demandaient alors: ‘? Est-ce que l’Église a encore un ensemble homogène de doctrines’. Ils ne savaient plus ce que l’Église croit réellement.”
“Il y avait des tendances très fortes, avec des gens vraiment bien aussi, qui disaient : on ne peut plus écrire de catéchisme. Je leur ai dit: ‘Soit nous avons encore quelque chose à dire, dans ce cas, on doit être capable de le décrire – ou nous n’avons rien à dire’. Je me suis fait ainsi champion de cette idée, avec la conviction, que nous devons être en mesure de dire ce que l’Église croit et enseigne aujourd’hui”.
Source : https://www.ncronline.org/news/vatican/benedict-reveals-dissatisfaction-paul-vis-humanae-vitae
Traduction par Lucienne Gouguenheim