Les catholiques de gauche se mobilisent contre le FN
Par Alexis Delcambre et Olivier Faye (Le Monde)
« Extrême droite : écouter, comprendre, agir ». C’est le titre d’un numéro d’une centaine de pages de la revue Projet [1], qui doit être diffusé avec le quotidien catholique La Croix à partir du vendredi 7 octobre.
Révélée par RTL le 28 septembre, l’initiative a suscité de vives réactions du Front national (FN) et notamment de la députée du Vaucluse Marion Maréchal-Le Pen : « Ce journal n’est que le fossile d’un catholicisme d’extrême gauche aujourd’hui battu en brèche par le réel. »
La Croix n’est pourtant pas à l’initiative de la démarche. Celle-ci a été lancée par la revue Projet, créée il y a plus de cent ans par les jésuites. Elle a le soutien de dix mouvements chrétiens : Action catholique des milieux indépendants ; CCFD-Terre solidaire ; Chrétiens en forum ; Scouts et guides de France ; Secours catholique-Caritas France…
Cordon sanitaire rompu
Début 2015, ceux-ci ont identifié le besoin de s’arrêter sur la progression des idées d’extrême droite dans la société et chez les catholiques. « Chez les pratiquants et encore plus chez les non-pratiquants, il y a un trouble lié à la dimension sociale du discours désormais tenu par le FN », rappelle le rédacteur en chef de la revue, Jean Merckaert.
L’année 2015 a témoigné de cette progression du parti d’extrême droite dans l’électorat catholique. Au premier tour des élections régionales, il aurait recueilli 24 % des voix des pratiquants réguliers, 25 % des pratiquants occasionnels et 34 % chez les catholiques non pratiquants, selon un sondage IFOP pour Pèlerin Magazine. Chez les catholiques pratiquants, sa performance s’est rapprochée de la moyenne nationale (27,7 %), alors qu’auparavant ils étaient moins perméables que d’autres électorats.
Projet a donc jugé utile de « donner des clés sur l’extrême droite pour entendre, comprendre, agir et savoir réagir aux discours désarçonnant que l’on entend un peu partout ». Une collecte a été lancée sur la plate-forme Ulule et près de 42 000 euros recueillis pour financer la production de la revue, son impression et sa diffusion avec La Croix.
L’éditorial affirme qu’« en France, comme ailleurs en Europe, l’extrême droite est un leurre, mais les ingrédients qui font son succès sont bien là ». En se gardant de formuler des « condamnations », il appelle à retisser des liens locaux pour « éloigner les sentiments d’abandon ou d’impuissance ».
L’initiative a conduit La Croix à expliciter sa démarche. Le journal assume ses liens avec Projet : l’un des articles du numéro spécial est une republication d’un article du quotidien, et son ancienne directrice et toujours chroniqueuse, Dominique Quinio, préside les Semaines sociales de France, l’une des dix organisations associées à la publication.
Pour autant, « la responsabilité éditoriale de la publication incombe à Projet », précise Guillaume Goubert, le directeur de La Croix. La rédaction s’est assurée qu’elle était « La Croix-compatible », avant d’accepter de la diffuser à ses 74 000 abonnés ainsi qu’en kiosque.
M. Goubert réfute toute « prise de position » ou tout « engagement » : « Nos lecteurs sont des grandes personnes et nous leur donnons du grain à moudre », fait-il valoir.
« Manifeste anti-Front national »
L’annonce de la publication de cette revue a été mal vécue au FN. Marion Maréchal-Le Pen a annulé sa participation prévue, le 29 septembre, à l’émission « Face aux chrétiens », qui associe La Croix à la chaîne de télévision catholique KTO et aux radios RCF et Radio Notre-Dame.
« Ces gens nous prennent pour des imbéciles, s’est justifiée l’élue dans la revue Causeur. Ils m’invitent sans même m’informer de cette initiative que j’apprends par voie de presse et ils tentent de s’en justifier en parlant de “dialogue autour du FN”, alors qu’il s’agit évidemment d’un manifeste anti-Front national. »
L’entourage de la députée du Vaucluse, qui met régulièrement en avant sa foi, fait savoir qu’elle participera à la prochaine manifestation de La Manif pour tous, le 16 octobre.
Une manière de montrer qu’elle serait en prise avec la base catholique « réelle ». En 2011, Marine Le Pen se définissait, quant à elle, comme une « catholique de parvis » et enjoignait aux « curés » de « rester dans leur sacristie ».
[1] On peut se reporter à l’extrait présenté dans le numéro précédent de la revu Projet : http://nsae.fr/2016/10/04/lettre-dinformat…0-septembre-2016/,