Dans un monde qui change retrouver le sens du politique
« Si nous parlons aujourd’hui, c’est parce que nous aimons notre pays, et que nous sommes préoccupés par sa situation ». Les évêques prennent la parole parce que les catholiques, citoyens à part entière au milieu de leurs contemporains, ne peuvent se désintéresser de ce qui touche à la vie en société, la dignité et l’avenir de l’homme. Ils s’adressent à tous les habitants de notre pays parce qu’il est fragilisé. Et que c’est ensemble que nous pourrons nous atteler à le refonder.
Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France publie une lettre en 10 points adressée aux habitants de France. Tout en proposant un constat et une analyse cette lettre pointe et suggère des voies pour redonner sens à notre société.
À l’aube d’une année électorale ce texte suscite des questions sur des sujets de fond et notamment sur la politique dans notre pays. Il ne s’agit pas de prendre parti mais de prendre le parti d’une société qui ferait une pleine place à l’Homme.
Extraits
- Retrouver le sens du politique
… La crise de la politique est d’abord une crise de confiance envers ceux qui sont chargés de veiller au bien commun et à l’intérêt général…
- Une société en tension
…La contestation est devenue le mode de fonctionnement habituel, et la culture de l’affrontement semble prendre le pas sur celle du dialogue…
- Ambivalences et paradoxes
…Le contrat social, le contrat républicain permettant de vivre ensemble sur le sol du territoire national ne semble donc plus aller de soi. Pourquoi ? Parce que les promesses du contrat ne sont plus tenues. Il a besoin d’être renoué, retissé, réaffirmé. Il a besoin d’être redéfini…
- Un contrat social à repenser
…Les valeurs républicaines de « liberté, égalité, fraternité » souvent brandies de manière incantatoire, semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains sur le sol national….
- Différence culturelle et intégration
…Il convient donc pour l’avenir de notre société de redéfinir ce que c’est d’être citoyen français, et de promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens…
- L’éducation face à des identités fragiles et revendiquées
…Plus que d’armure, c’est de charpente que nos contemporains ont besoin pour vivre dans le monde d’aujourd’hui…
- La question du sens
…Depuis une cinquantaine d’année, la question du sens a peu à peu déserté le débat politique…
- Une crise de la parole
…Entre le « ras-le bol » de ceux qui n’y croient plus et se désintéressent de la vie publique, et ceux qui, pleins de colère, veulent renverser la table et se tourner vers les extrêmes, la marge de manœuvre est de plus en plus étroite pour relégitimer la parole publique…
- Pour une juste compréhension de la laïcité
…La laïcité de l’État est un cadre juridique qui doit permettre à tous, croyants de toutes religions et non-croyants, de vivre ensemble…
- Un pays en attente, riche de tant de possibles
…Les enjeux écologiques et environnementaux sont en train de transformer en profondeur nos conceptions de la vie en société, et nous tournent vers des attitudes de simplicité, de sobriété, de partage…
Quelques commentaires dans la presse
1 – La leçon des évêques aux responsables politiques
L’aspect le plus frappant du travail des responsables de la CEF, et aussi celui qui fera sans doute le plus débat au sein même du catholicisme, concerne leur réflexion sur la nation, les identités, la citoyenneté, des thèmes qui sont aujourd’hui au centre du débat de la primaire de la droite et du centre, mais aussi à gauche. Le document de l’épiscopat prend résolument parti pour une redéfinition « de ce que c’est d’être citoyen français ».
Il constate que « l’idée d’une nation homogène, construction politique constituée souvent à marche forcée, en centralisant et unifiant de manière autoritaire » et qui « impliquait que les particularités communautaires et surtout religieuses ne soient pas mises en avant » a été « bousculée par la mondialisation ».
Elle doit nous conduire à redéfinir le pacte national de manière à pouvoir « gérer la diversité dans notre société ». Cela seul permettra l’insertion, dans la nation, des différences culturelles et religieuses, et des personnes issues de l’immigration qui « ont parfois du mal à se sentir partie prenante au contrat social », mais aussi l’émergence des « liens d’unité au cœur même de cette diversité ».
2- Messieurs les évêques, la République vous remercie
Il faut dire clairement : c’est un texte qui fait du bien. Certes le diagnostic général («la politique dans notre pays ne cesse de voir son discrédit grandir, provoquant au mieux du désintérêt au pire de la colère») n’est pas franchement neuf. Et les solutions pas vraiment renversantes. Mais ce texte a le grand mérite de rappeler l’ambition d’un «vivre ensemble» fraternel.
L’expression a toujours fait ricaner les pisse-vinaigre. Mais à tous ceux (à gauche comme à droite) qui théorisent le risque de guerre civile, nos évêques affirment très calmement que la véritable exigence de nos politiques devrait être de répondre à cette seule question : «Comment gérer la diversité dans notre société ? Comment l’identité nationale peut-elle perdurer avec des revendications d’appartenances plurielles et des identités particulières ?»
L’Église ne réclame rien sauf que nos gouvernements se hissent enfin au niveau de l’ambition républicaine «liberté, égalité et fraternité». Des valeurs souvent «brandies de manière incantatoire» et qui «semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains sur le sol national». Curieuse époque, où l’Église catholique devient la première avocate de notre République sociale.
Mais nos évêques n’en restent pas là. Ils ont même le courage d’administrer une leçon de républicanisme à une grande partie de la droite, embarquée dans son affolante surenchère identitaire et antimusulmane. Aux racines chrétiennes de la France glorifiées à chaque meeting par Nicolas Sarkozy, les évêques ont la sagesse de répondre : «La foi chrétienne coexiste avec une grande diversité de religions et d’attitudes spirituelles. Le danger serait d’oublier ce qui nous a construits ou à l’inverse de rêver à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une Église de purs.»
Tout en revendiquant la légitimité de ce débat sur l’identité, les évêques de France mettent tout de suite en garde : «Il ne faudrait pas que les recherches et affirmations d’identités débouchent sur des enfermements identitaires.» Alors, Messieurs les évêques, veuillez pour une fois accepter que la gauche laïcarde, libertaire et insolente vous dise sincèrement, sans aucune arrière-pensée, merci.
http://www.liberation.fr/france/2016/10/13/messieurs-les-eveques-la-republique-vous-remercie_1521811
3- Les évêques sonnent la charge contre le repli identitaire
Bien décidée à peser dans le débat présidentiel, l’Église catholique dénonce implicitement les excès d’une partie de la droite dans son combat contre le communautarisme musulman.
La croisade obsessionnelle de la droite décomplexée contre le communautarisme musulman n’est pas du goût de l’Église catholique. On s’en doutait un peu depuis que le père bénédictin Philippe Verdin a laissé éclater sa colère fin septembre. «On atteint des abysses de bêtises», s’était-il exclamé dans un entretien à l’Obs où il dénonçait «la vaine et débile polémique» sur le burkini. L’auteur de ce coup de gueule n’est pas n’importe qui : en 2004, Philippe Verdin cosignait avec Nicolas Sarkozy un livre d’entretien sur le fait religieux.
Ce jeudi, c’est au tour de l’archevêque de Marseille, Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France, de faire entendre sa réprobation. «Interdire les signes religieux, c’est encourager les courants fondamentalistes. C’est ressenti comme une provocation et comme la négation d’une foi personnelle», explique-t-il dans un entretien au Monde. Au-delà de Sarkozy, cette charge vise tous les candidats – comme Bruno Le Maire ou Jean-François Copé – qui envisagent de durcir la législation contre le port du voile islamique.
Comportements partisans et démagogiques
Comme en échos aux incantations sarkozystes sur les Gaulois et l’impératif d’assimilation, les évêques rappellent que la mondialisation a «bousculé» l’idée de «nation homogène». Ils jugent «très important» que la société s’empare de la question de l’identité nationale, «à la fois pour percevoir ce qui a construit et forgé notre pays, mais aussi pour prendre la mesure de la richesse que des identités plurielles peuvent lui apporter».
«Qu’on le veuille ou non, la société est devenue pluraliste, plurielle», ajoute Georges Pontier, qui juge vaines les tentatives de retour «à une supposée identité fermée, éternelle, que tout le monde aurait partagée dans le passé». «On dirait du Juppé», n’a pu s’empêcher de penser, à la lecture de ces lignes, un proche du maire de Bordeaux. On n’est pas loin, de fait, de l’intégration respectueuse des identités défendue pas le père de «l’identité heureuse».
Effarés par la dégradation du débat politique, les évêques dénoncent «les comportements partisans et démagogiques», «les ambitions personnelles démesurées», «les manœuvres et calculs électoraux». Cela serait devenu, concluent-ils, «insupportable».