Le retour de la frontière : exclusion ou protection ?
Par Morvan Burel (Mémoire des luttes)
En une année, la frontière est revenue au centre du débat public. Impensable, alors même que le mouvement enclenché depuis le début des années 1990 avait placé cette notion totalement en marge.
La mondialisation avait en effet ringardisé ce qui apparaissait comme quelque chose d’un autre âge, celui des États, des contrôles, des barrières. Le rideau de fer était brisé, le mur de Berlin était renversé. L’Europe s’unifiait. Parallèlement, les idéologies politiques disparaissaient, pour laisser place à la domination, qui paraissait ne jamais devoir connaître de fin, du capitalisme mondialisé, et de son corollaire, le libre-échange.
Face à la disparition des régimes et de l’utopie communistes, la gauche plaçait au centre de ses valeurs l’ouverture au monde, les échanges, faisait de la construction européenne un objectif politique en soi.
Les droits de douane disparaissaient, au gré de la signature des accords de libre-échange, sous l’impulsion de l’OMC et grâce à l’investissement très actif de l’Union européenne (UE) dans ce domaine. Au sein de l’UE, justement, le marché unique a fait disparaître tout droit de douane et même toute formalité douanière avec l’aboutissement du marché unique. Les frontières physiques elles-mêmes étaient rangées au rayon des antiquités sur le continent au 1er janvier 1993.
Développement des technologies de l’information, instantanéité de la communication : la frontière, définitivement, n’appartenait plus au 21e siècle et seuls quelques nostalgiques, forcément nationalistes, pouvaient le regretter.
Et pourtant. Aujourd’hui, la frontière est dans tous les discours, toutes les prises de positions politiques, à la faveur d’une triple crise : crise des migrations, crise sécuritaire et crise du libre-échange. L’UE, qui a fait de la disparition des frontières son identité, est au centre de ces trois crises.
Malheureusement, la frontière revient de la pire des façons, dans les discours les plus nauséabonds, par la seule droite la plus dure. Ce sont les mouvements de population qui sont interrogés, et non pas les mouvements de marchandises et de capitaux incontrôlés.
Pétrifiée par ces débats, toujours sans idéologie de rechange, la gauche reste en retrait, incapable de dessiner un discours sur la frontière qui protège, à rebours du discours libéral-sécuritaire de la droite et du PS.