Accueil des réfugiés : les villes s’organisent contre « l’Europe de la honte »
Par Jean-Jacques Régibier
Réunis à Bruxelles pour « Solidarcities », des dizaines de maires venus de toute l’Europe ont durement critiqué l’attitude de l’Union européenne et des États pour leur lâcheté face à la crise des réfugiés. À cette déroute de l’UE, ils opposent leurs multiples expériences pour accueillir les migrants, seul remède selon eux, pour faire barrage à la xénophobie et au racisme.
« Aucun être humain n’est illégal ! » tonne Spiros Galinos, le maire de Lesbos. Il parle de sa fierté d’être le maire de cette île grecque qui a accueilli, malgré la crise économique provoquée par l’Europe, plus de 850 000 réfugiés (10 fois la population de l’île !), venus de Turquie sur des embarcations de fortune. Beaucoup d’entre eux ne doivent leur vie que d’avoir été secourus par les marins de Lesbos et les gardes-côtes grecs. « Nous avons réparé la dignité de la Grèce qui a été foulée aux pieds par l’Union européenne, nous avons montré l’exemple », poursuit le maire de cette île devenue le symbole du dévouement des populations civiles que rien n’avait préparé à cette épreuve, à l’aide aux réfugiés. On prendra la mesure de cet effort gigantesque déployé pratiquement sans aide extérieure par les populations de Lesbos, en rappelant un simple chiffre : rien qu’au mois d’octobre 2015, ce sont 48 000 réfugiés (plus de la moitié de la population totale de l’île) venus essentiellement de Syrie – et parmi eux, un quart d’enfants – qui sont arrivés sur les côtes de l’îlegrecque. Spyros Galinos dit : « nous nous sentons comme l’haltérophile qui doit soulever un poids insupportable. »
Des exemples de citoyens se portant au secours des réfugiés, offrant leur aide de multiples manières, il y en a beaucoup d’autres en Europe, mais on n’en parle très peu. C’est pour briser ce silence que des dizaines de maires de villes et de villages d’Europe, mais aussi des militants d’ONG, des réfugiés et des députés européens, se sont retrouvés mardi à Bruxelles à l’initiative de la Gauche Unitaire européenne pour « Solidacities », à la fois dans le but de partager leurs expériences et de préparer l’avenir, mais aussi pour faire entendre leur colère.
Colère contre l’Europe, colère aussi contre les gouvernements des états qui, à l’exception notable de l’Allemagne, font tout pour se débarrasser du « problème » des migrants, qui n’est rien d’autre – les mots ont dans cette conjoncture une importance décisive – que la plus grande crise humanitaire qu’a connue l’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Car c’est bien en tant que crise humanitaire – tous les intervenants l’ont souligné – et non pas en tant que « lutte » contre l’immigration clandestine comme on l’entend souvent dans la bouche des représentants des états, que doit être traité l’afflux de migrants – ne serait-ce d’abord que parce que les lois internationales et les constitutions des pays l’exigent.
Spyros Galinos l’explique: « c’est précisément parce que l’Europe traite cette “crise” (beaucoup n’aiment pas le mot) des réfugiés comme une menace larvée, que tous les xénophobes et les racistes peuvent en faire leur cheval de bataille. Le résultat, c’est que les grandes valeurs fondatrices de l’Europe (paix, solidarité, respect des droits humains, égalité, etc..), se sont transformés en leur contraire : sur la question des migrants, seuls ceux qui veulent les renvoyer chez eux et dénoncent les dangers qu’ils font courir à l’Europe sont audibles. » « On doit protéger l’Europe de ce retour en arrière, » prévient-il.
Comme en 1938
Pour l’association Migreurop, spécialisée dans les droits des migrants et l’analyse des politiques migratoires de l’Union européenne, Claire Rodier n’hésite pas à faire un rapprochement entre la situation actuelle et celle de la fin des années 1930 avec laquelle elle voit « beaucoup de résonnance. » Elle rappelle l’épisode largement oublié de la conférence d’Evian en 1938. Contexte: après la création du « Grand Reich », les migrants juifs originaires d’Autriche et d’Allemagne affluent, notamment vers les États-Unis, mais le pays ne délivre que très peu de visas. Roosevelt décide d’organiser une conférence internationale pour régler le problème. La plupart des pays européens se font tirer l’oreille pour y participer, certains pays (Pologne, Roumanie, Hongrie…) n’envoient que des observateurs, tous exigent qu’on ne leur demande pas d’augmenter leur « quotas » de migrants. Résultat : la conférence est un fiasco total.
On connaît malheureusement l’effroyable suite de l’histoire.
Claire Rodier s’interroge sur deux chiffres paradoxaux : « en 2015, 750 000 migrants sont arrivés en Europe, en 2016, ce nombre chute à 317 000, mais il y a plus de morts. Pourquoi ? Les causes de départ n’ayant pas diminué, ce sont les mesures dissuasives mises en place par l’Europe qui l’expliquent, rendant les tentatives de ceux qui choisissent malgré tout le chemin de l’exil, de plus en plus dangereuses. »
Car c’est bien effet la dissuasion qui caractérise la politique de l’Europe vis-à-vis des réfugiés et des migrants en 2016. Plusieurs intervenants en ont détaillé les modalités de son renforcement, tout au long de l’année : activation du « processus de Khartoum » qui permet à l’Europe de mettre à distance les migrants en sous-traitant avec l’Afrique (Soudan, Érythrée, Libye), pays que fuient précisément les migrants pour cause de guerre ou de répression/accord qui a fait de la Turquie, contre financement, le pays qui retient les réfugiés venant de Syrie et d’Irak/accord avec l’Afghanistan passé en toute discrétion début octobre pour le renvoi de 80 000 Afghans dans leur pays, là encore contre promesses financières/retour du contrôle aux frontières et construction de murs anti-migrants, en Hongrie ou à Calais/renforcement de Frontex qui permet de déployer aux frontières de l’Europe des moyens d’intervention pour empêcher que les migrants les franchissent/maintien du règlement de Dublin inutile, etc. Autant de mesures qui ont pour conséquence de rendre les périples des migrants et des réfugiés de plus en plus difficiles, et donc de plus en plus dangereux, comme les chiffres de 2016 le montrent.
Villes et villages au secours des migrants
« On entend le cri des personnes qui se noient dans la mer », dit David Llistar, de la municipalité de Barcelone, expliquant que la capitale de la Catalogne a reçu très vite 16 000 courriels d’habitants proposant d’accueillir et d’héberger des réfugiés. Barcelone, qui travaille déjà avec Lesbos et Lampedusa, veut créer une « masse critique » de villes européennes qui prendront en charge les migrants de la Méditerranée. « Nous sommes les premières administrations à avoir entendu le cri des migrants », complète David Llistar, « nous devons faire preuve de créativité pour réaliser leur rêve et faire contrepoids à cette Europe de la honte. »
Ann Margharete Livh, la maire adjointe de Stockholm, explique comment à l’automne 2015, la gare centrale de la capitale de la Suède a été envahie de réfugiés qui ne savaient pas où aller et se sont retrouvés à dormir dans la rue. « Mais la gare s’est aussi remplie de centaines de volontaires qui apportaient de la nourriture et proposaient un hébergement, » rapporte-t-elle, rappelant là aussi la faillite du gouvernement suédois, là où la ville dirigée par les Verts et des partis de gauche, a pris en charge elle-même l’accueil des réfugiés, en construisant des logements (600), ou en en restaurant d’autres. « Ces logements n’ont pas été pris à d’autres », explique-t-elle, « les familles de Stockholm accueillent les réfugiés, ça marche très bien. »
Mais il n’y a pas que les grandes villes pour donner l’exemple.
Un habitant de Camini, un village de Calabre qui compte moins de 800 habitants, au bord de la mer ionienne, explique comment son village a accueilli 80 réfugiés venant de Libye ou du Liban.
« Nous avons ouvert des maisons qui étaient fermées. Nous n’avions que 8 enfants à l’école, maintenant, nous en avons 50, on a démontré que nous aussi les gens du Sud, dans cette région de Calabre durement frappée par la crise, nous pouvions aider des migrants ! » s’enthousiasme H. Zulzolo. Le maire de Camini, Giuseppe Alfarano, complète : « l’accueil des migrants, c’est une façon d’affronter le dépeuplement des villages et d’enrichir les citoyens, ça permet aussi de reconstruire un futur pour les jeunes de chez nous. Maintenant, tout le monde a du travail. On a remis en route les services essentiels, les boutiques ont rouvert, l’artisanat se développe, on a retapé tout le centre historique, les enfants jouent dans les rues, les gens travaillent dans les champs, c’est un monde riche de couleurs, un monde pacifique. La fusion entre les différentes ethnies est possible. C’est l’espoir de notre survie dans cette civilisation, » a-t-il conclut, très applaudi.
Comme tous les intervenants, le directeur de cabinet du maire de Grande-Synthe a lui aussi pointé, « la défaillance des états » dans la crise migratoire, et face à cette situation, l’importance de la réponse locale. Si le maire de Grande-Synthe, Damien Carême, a décidé de construire, avec l’appui de Médecins Sans Frontières, un camp d’accueil aux normes, c’est tout simplement parce des migrants vivaient sur place dans « des conditions innommables dans un camp de la honte » explique Olivier Caremelle, rappelant que la ville avait dû non seulement pallier aux manques de l’état, mais même s’opposer au gouvernement et au préfet qui, dans un premier temps, ne voulaient pas entendre parler de ce camp.
Même constat à Madrid pour Rommy Arce qui dénonce elle aussi la politique de refus des migrants du gouvernement espagnol, base selon elle, d’une véritable « discrimination institutionnelle et de tous les arguments racistes. Il faut mettre un frein à ce retour nationaliste.» « Nous demandons qu’on débloque l’arrivée des réfugiés », ajoute-t-elle, « nous avons les moyens et l’organisation qu’il faut pour les accueillir. »
Une analyse partagée par toutes les villes européennes (Gand, Valence, Thessalonique, Saragosse, Paris, Irun, etc.) qui commencent à faire entendre leurs voix et à prendre conscience de leur force parce que, comme l’explique le député européen Vert Ernest Urtasun (Espagne), « la ville est le premier niveau d’accueil des migrants quand l’état est incapable de réagir. »
Les villes estiment donc avoir gagné le droit de décider de recevoir des migrants, et que l’on ouvre les frontières pour cela.
Giovanni Manoccio, le maire d’une autre petite commune de Calabre, Acquaformosa, qui revit grâce à l’accueil des migrants, rappelant que « nous allons continuer à privilégier les ponts plutôt que les murs », a tenu à rappeler la phrase d’un prêtre qui lui avait dit il y a longtemps, « quelque chose de très important » : « ce sont les damnés de la terre qui sauveront l’humanité. »
Peppone ne devait pas être loin…
– Des rencontres européennes de la solidarité, toujours autour de la problématique de l’accueil des migrants dans les villes d’Europe, auront lieu les 25,26 et 27 novembre à Valence, en Espagne.
Mon mari et moi venons de lire ce message plein d’espoir, et nous disons Merci.
Merci à ceux qui nous permettent d’entendre une voix différente de celle qu’on entend généralement par les médias, et qui est la voix de nos gouvernants !
Merci à tous ceux qui agissent pour un monde solidaire.
Puissions nous faire tout notre possible, même si c’est peu, pour nous unir à ceux-ci.
Diffuser cet article à nos connaissances, ça peut être quelque chose qui va en ce sens, que chacun de nous peut faire…
Annie Grazon