I- Il aura la même valeur juridique que le CETA lui-même
par Raoul Marc Jennar
Contrairement à ce que je craignais, le statut de ce texte ne prend pas la forme d’une réserve de la Belgique, mais bien d’un document interprétatif du CETA qui doit donc être approuvé par les 27 États membres et par le Canada.
Et qui aura la même valeur juridique que le CETA lui-même.
Une première lecture de ce texte qu’on trouvera ci-dessous interdit de parler de « capitulation ».
Il y a des avancées considérables.
Ainsi par exemple à propos des services publics, il est écrit que « l’AECG (CETA en français et merci à la Wallonie d’avoir imposé le sigle français) n’empêchera pas les pouvoirs publics de fournir des services publics précédemment assurés par des fournisseurs privés ni de ramener sous le contrôle public des services qu’ils avaient choisi de privatiser. L’AECG n’implique pas que l’adjudication d’un service public à des fournisseurs privés fait irrémédiablement entrer celui-ci dans le domaine des services commerciaux. » Rien que cette disposition représente une petite révolution par rapport à l’AGCS comme par rapport à ce qui se négocie dans le cadre du TISA. C’est la fin de l’effet de cliquet. C’est la fin de l’irréversibilité des privatisations telle qu’elle se trouve dans le TISA.
Jamais un document de ce statut n’a été aussi loin dans la remise en cause d’avancées néo-libérales observées dans les négociations en cours.
C’est pourquoi je me demande s’il va être accepté.
Que va en dire la Commission européenne qui n’a pas obtenu ce qui se trouve dans le texte belge ?
Et les 27 autres États qui n’ont pas fait davantage ?
Et le Canada ?
Est-ce solide ?
Cela dépend du statut juridique du texte, mais tout est écrit qui le rende contraignant.
Est-ce assez ?
Pour ma part, habitué à ce genre de textes, je salue les avancées obtenues. Elles sont impressionnantes. Mais je laisse à chacun le soin d’en juger.
Lire l’instrument-interpretatif
Source : https://stoptafta.wordpress.com/2016/10/29/le-texte-belge-soumis-aux-27-autres-etats-et-au-canada/
II- Les États membres signent. Cela veut dire qu’ils acceptent les restrictions de la Belgique.
par Frédéric Viale (Attac)
La Belgique a publié ce 27 octobre une déclaration “relative aux conditions de pleins pouvoirs par l’État fédéral et les Entités fédérées pour la signature du CETA”.
Lire la declaration-du-royaume-de-belgique
Ce texte doit être analysé en regard de la déclaration interprétative conjointe UE/Canada, en pièce jointe (voir l’instrument-interpretatif).
Je propose l’analyse de ces deux textes ci-dessous.
Déclaration Belge du 27 octobre 2016 :
L’objet de la déclaration est annoncée par son titre : il s’agit de clarifier la position de la Belgique concernant la signature du CETA au regard des procédures constitutionnelles qui lui sont propres.
1- La Belgique ne dit pas qu’elle refuse de signer le CETA mais elle précise à quelles conditions pourra éventuellement être prononcé un refus définitif (point A).
Elle rappelle qu’elle est un État fédéral mais que celui-ci a une spécificité : ordinairement les États fédérés délèguent leurs compétences de manière pérenne au pouvoir fédéral (le plus souvent sous contrôle d’une cour suprême, parfois de parlements), ici les compétences s’exercent par les États fédérés qui décident au coup par coup de déléguer leur signature ou pas à chaque fois que l’État fédéral est appelé à se prononcer.
En l’occurrence, la Belgique rappelle que les Parlements régionaux doivent se prononcer sur le texte et donc peuvent le bloquer s’ils l’estiment nécessaire, y compris de manière définitive.
Actuellement, la Belgique ne bloque pas l’accord de manière définitive.
Par ailleurs, la Belgique annonce qu’elle s’autorise que les entités régionales procèdent «à intervalles réguliers à une évaluation des effets socio-économiques et environnementaux de l’application provisoire du CETA. »
Cela veut dire que la Belgique ne renonce pas à l’application provisoire mais qu’elle se réserve le droit de mettre fin à l’expérience selon les critères qui lui seront propres, en suivant la procédure qui est la sienne (notification au gouvernement fédéral belge qui aura un an pour notifier aux autorités de l’UE). La Belgique considère que le Conseil a bien dit que chaque État membre peut mettre un terme à l’application provisoire (point B).
Donc, la Belgique ne renonce pas à l’application provisoire mais la conditionne.
Concernant l’arbitrage (l’ICS), la Belgique estime que le Conseil des ministres a retiré l’ICS de l’éventuelle application provisoire, et en prend acte.
De plus, la Belgique informe le reste des États membres que cinq des ses régions ou communautés linguistiques n’ont pas donné leur accord pour ratifier l’accord avec le mécanisme d’ICS « tel qu’il existe » actuellement (sous réserve d’un revirement de position des parlements régionaux). Cela veut dire deux choses :
1- tant que les parlements régionaux conservent leur position actuelle la Belgique n’accepte pas l’ICS ;
2- la Belgique pourrait accepter si s’ouvre une nouvelle négociation avec le Canada ou si d’une manière ou d’une autre, l’ICS est modifié ou supprimé.
Donc, rien de définitif mais pour le moins une prise de position sérieuse de la Belgique qui bloque et annonce continuer de bloquer tant que l’ICS n’est pas modifié.
La phrase suivante mérite une attention particulière :
« La Région flamande, la Communauté flamande et la Région de Bruxelles-Capitale saluent en particulier la déclaration conjointe de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne à propos de l’Investment Court System. »
On remarque qu’il est question de trois entités linguistiquement flamandes dont on connaît l’opposition politique avec les entités francophones, qui se donnent la peine de saluer la déclaration interprétative sur l’ICS.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une déclaration faite par le Canada et l’Union européenne qui porte sur l’interprétation du CETA. C’est assez courant en droit international qui autorise les parties d’un traité à se mettre d’accord a priori sur la façon dont à l’avenir l’accord doit être interprété. Cela n’a pas exactement la même valeur juridique qu’une réserve mais dans la mesure où ce texte serait annexé à l’accord et/ou les parties se mettent d’accord, elle a un valeur contraignante quasi-équivalente aux réserves dans la pratique.
Le document joint montre une déclaration assez générale dans ses énoncés mais qui comporte en fin une table qui croise les articles du CETA avec les points d’interprétation. L’existence même de cette table donne à cette déclaration une précision qui peut lui conférer une réelle force restrictive.
Toutefois, dans le point 6 « salué » par les communautés flamandes, les précisions apportées souffrent d’ambiguïtés. C’est le cas notamment du point 6-b et c qui reprend exactement les mêmes ambiguïtés de l’article 8-9 sur le droit à réguler. Comme dans l’article 8-9 du CETA, le traitement national et celui de la nation la plus favorisée ne sont pas exclus, ce qui n’interdit pas à ce titre les entreprises de réclamer une indemnisation devant des arbitres si elles estiment que les « attentes légitimes » sont trahies (ce qui ouvre la voie aux indemnisations abusives dont l’arbitrage international est coutumier).
A ce stade cela veut dire que :
1- l’ICS n’est pas rejeté par toute la Belgique, et pas par la Belgique flamande ;
2- l’ICS n’est pas accepté par toute la Belgique, et pas par la Belgique francophone ;
3- seuls les Belges savent s’ils se sortiront de cette contradiction ou s’ils la laissent en l’état. S’ils la laissent en l’état, l’ICS tel qu’il est est mort.
Concernant la coopération réglementaire, le point C est intéressant.
Il indique que, dans l’hypothèse où l’accord serait adopté, la Belgique ne laissera pas se dérouler le processus de coopération réglementaire loin de ses parlements dès lors que ce dont il serait question relèverait de la compétence de l’Etat belge et ainsi de celle, même partielle, de ses parlements régionaux.
Cela veut dire que :
1- la Belgique n’interviendrait pas sur les décisions de l’UE, notamment celle de participation au processus de coopération réglementaire concernant ses compétences propres ;
2- elle interviendra et se prononcera par vote pour ce qui relève de ses compétences.
J’ignore à quoi ont pensé les rédacteurs de cette déclaration. Les compétences dans le domaine réglementaire sont tellement enchevêtrées que les conséquences pratiques sont difficilement démélables. Cela peut vouloir dire que la Belgique entend intervenir sur toutes les décisions de coopération réglementaire en validant par un vote.
Quelques énonciations intéressantes sur l’agriculture : la Belgique entend pouvoir activer une clause de sauvegarde dans le cas où l’application de l’accord déséquilibre le marché y compris d’un seul produit. Elle entend de surcroît définir les critères de définition d’un déséquilibre de marché.
Sur les OGM (précisément sur « l’autorisation, la mise sur le marché, la croissance et l’étiquetage des OGM et des produits obtenus par les nouvelles technologies de reproduction »), la Belgique comprend que le principe de précaution n’est pas atteint par l’accord et entend donc que les Etats membres conservent le droit, à ce titre, de les interdire.
Conclusion
Ce texte est intéressant à plus d’un titre :
1- il laisse du temps : les conditions posées par la Belgique sont fermes sur l’ICS, et la situation interne de la Belgique d’une part et de l’UE d’autre part laissent penser qu’une réforme de l’ICS ou sa substantielle « amélioration » ne sont pas acquises ;
2- il n’est pas le communiqué de victoire des pro-Tafta, ni le nôtre. Quoiqu’il en soit, ce texte met un réel grain de sable dans le mécanisme.
Source : Liste d’information du comité local Attac Paris 13.