Pourquoi je me suis prononcé à l’ONU contre l’occupation
Par Hagai El-Ad, directeur exécutif du groupe de défense des droits humains B’Tselem
Le 14 octobre 2016 Hagaï El-Ad, Directeur de l’ONG israélienne B’Tselem [1], a prononcé devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, à New York, un discours intitulé « Israël-Palestine : L’occupation ne dure que parce que le monde refuse d’agir [2]. Depuis, il est violemment pris à partie en Israël, où des politiques proposent de le destituer de sa nationalité israélienne comme « traître » à son pays alors que le directeur de B’Tselem a simplement osé dire ce qui était inacceptable, car en contradiction flagrante avec les règles fondamentales auxquelles les plus hautes autorités d’Israël prétendent se référer.
Récemment, Hagaï El-Ad s’est exprimé sur ses positions dans le journal israélien Haaretz. Nous reproduisons ici la traduction de cet article publiée le site de Chrétiens de la Méditerranée.
Il n’y a aucune chance que la société israélienne, de son bon vouloir et sans aucune aide, mette fin au cauchemar. De trop nombreux mécanismes isolent la violence que nous mettons en œuvre pour contrôler les Palestiniens.
Je me suis exprimé aux Nations Unies contre l’occupation parce que j’aspire à la qualité d’être humain. Et les êtres humains, lorsqu’ils sont responsables d’une injustice envers d’autres êtres humains, ont l’obligation morale de réagir.
Je me suis exprimé aux Nations Unies contre l’occupation parce que je suis israélien. Je n’ai pas d’autre pays. Je n’ai pas d’autre citoyenneté ni d’autre avenir. J’ai grandi ici et y serai enterré. Je me soucie du destin de cet endroit, du destin de ses habitants et de son destin politique, qui est aussi le mien. Et, au vu de tous ces liens, l’occupation est un désastre.
Je me suis exprimé aux Nations Unies contre l’occupation parce que les collègues de B’Tselem et moi-même, après tant d’années de travail, sommes arrivés à plusieurs conclusions. En voici une : la réalité ne changera pas si le monde n’intervient pas. Je soupçonne notre gouvernement, dans son arrogance, de savoir cela et, de ce fait, de s’occuper à répandre la peur d’une telle intervention.
Une intervention du monde contre l’occupation est tout aussi légitime que n’importe quelle question de droits humains. Et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un thème tel que notre pouvoir sur un autre peuple. Ce n’est pas un problème israélien interne, mais une question internationale, c’est flagrant. Voici une autre conclusion : il n’y a aucune chance que la société israélienne de son bon vouloir et sans aucune aide, mette fin au cauchemar. De trop nombreux mécanismes font un cas à part de la violence que nous mettons en œuvre pour contrôler les Palestiniens. Trop d’excuses se sont accumulées. Il y a eu trop de peurs et d’angoisse – des deux côtés – au cours des 50 dernières années. Au bout du compte, j’en suis sûr, Israéliens et Palestiniens mettront fin à l’occupation, mais pas sans l’aide du monde.
Les Nations Unies, c’est beaucoup de choses. Beaucoup sont problématiques, certaines complètement insensées. Je ne les approuve pas. Mais les Nations Unies c’est aussi l’organisation qui nous a donné un État en 1947 et cette décision est la base de la légitimité internationale de notre pays, celui dont je suis citoyen. Et chaque jour de l’occupation nous fait non seulement croquer avec délice la Palestine, mais aussi détruire la légitimité de notre pays.
Je ne comprends pas ce que le gouvernement veut que les Palestiniens fassent. Nous avons régi leurs vies depuis près de 50 ans, nous avons déchiqueté leur terre en petits morceaux. Nous exerçons un pouvoir militaire et bureaucratique avec grand succès et nous nous arrangeons parfaitement avec nous-mêmes et avec le reste du monde.
Qu’est ce que les Palestiniens sont supposés faire ? S’ils osent manifester, c’est du terrorisme populaire. S’ils appellent à des sanctions, c’est du terrorisme économique. S’ils utilisent des moyens légaux, c’est du terrorisme judiciaire. S’ils se tournent vers les Nations Unies, c’est du terrorisme diplomatique.
Il s’avère que quoi que fasse un Palestinien à part se lever le matin et dire « merci patron, merci maître”, c’est du terrorisme. Qu’attend le gouvernement, une lettre de reddition ou la disparition des Palestiniens ? Ils ne disparaîtront pas.
Nous ne disparaîtrons pas non plus ni ne nous tairons. Nous devons le répéter partout : l’occupation ne résulte pas d’un vote démocratique. Notre décision de contrôler leurs vies, pour autant que cela nous convienne, est une expression de violence et non de démocratie. Israël n’a pas de raison valable de continuer ainsi. Et le monde n’a pas de raison valable de continuer à nous traiter comme il l’a fait jusqu’à présent – que des mots et pas d’action.
Je me suis exprimé au Conseil de Sécurité de l’ONU contre l’occupation parce que je suis optimiste, parce que je suis Israélien, parce que je suis né à Haïfa et que je vis à Jérusalem, et parce que je ne suis plus un jeune homme et que chaque jour de ma vie a été marqué par le contrôle que nous exerçons sur eux. Et parce qu’il est impossible de continuer ainsi.
Nous ne devons pas continuer ainsi. Je me suis exprimé au Conseil de Sécurité de l’ONU contre l’occupation parce que j’aspire à la qualité d’être humain.
Notes :
[1] L’objectif de l’organisation B’Tselem est d’informer et de sensibiliser l’opinion et les décideurs israéliens sur les violations des droits humains dans les Territoires occupés illégalement par Israël depuis la guerre de juin 1967. Afin que personne ne puisse dire un jour : « Je ne savais pas ».
[2] Lire : L’occupation ne dure que parce que le monde refuse d’agir
Etant membre de Palestine 18 depuis de longues années, je suis très sensible à l’intervention de Hagaï EL-AD devant le conseil de sécurité des Nations Unies.
Comme un petit nombre d’Israéliens, il nous rend un peu d’espoir pour la résolution du conflit, mais surtout vis à vis du devenir de l’humanité…
Annie Grazon