« Être dans la rue, c’est comme une noyade »
Par Géraldine Dao (ATD Quart Monde)
Depuis 2005, Évelyne Dubois participe aux Universités populaires Quart Monde et elle est devenue un pilier du groupe de Bezons (Val-d’Oise). Rencontre.
Évelyne et son mari Maurice le 23 avril 2016
À Saint-Gratien, dans le Val-d’Oise, Évelyne vous accueille avec un grand sourire et vous introduit chaleureusement dans son salon/salle à manger. Elle a le regard de ceux qui ont vécu des moments douloureux, mais qui ne souhaite ni s’apitoyer ni qu’on s’apitoie. Juste témoigner pour montrer qu’on peut s’en sortir. N’en est-elle pas la preuve ?
Famille d’accueil
Sur les murs de son petit trois-pièces, des photos de ses quatre enfants et six petits-enfants. « J’en ai huit officiellement. Les deux premiers de ma benjamine sont morts avant deux ans. Son troisième enfant va bien.» Évelyne sourit. Ni pathos ni émotion chez cette femme que la vie a cabossée dès la naissance. Recueillie à six mois par la DDASS (la direction départementale des affaires sanitaires et sociales), elle est placée dans une famille d’accueil à 18 mois et y restera jusqu’à sa majorité. Elle a toujours gardé des liens forts avec ses parents, comme elle désigne le couple qui l’a élevée. « Les vrais parents sont ceux qui éduquent et donnent l’amour », affirme-t-elle.
Évelyne s’est toujours battue pour garder près d’elle ses enfants. « Lorsqu’en 2005 nous avons été obligés de dormir sur les quais de gare ou dans les caves, la DDASS nous a proposé de nous aider si nous placions notre petite dernière, Amandine, alors âgée de 11 ans. J’ai refusé : je ne voulais pas qu’elle vive ce que j’avais vécu. » Pourtant, ballotée de collège en collège au gré des hébergements de fortune de ses parents, leur fille ne va pas bien. Évelyne se décidera à la confier, mais à des amis, afin qu’Amandine puisse avoir une scolarité stable.
Expulsion
Jusqu’en 2004, Évelyne vit paisiblement à Sannois (Val-d’Oise) avec son mari, ses 4 enfants et son petit-fils. En tant qu’agent de La Poste et mère de famille nombreuse, elle est déjà à la retraite et reçoit chaque mois une pension. Son mari, lui, est jardinier. Mais la perception de deux revenus n’a pas empêché l’expulsion. « J’avais accepté une demande d’hébergement pour aider une famille d’émigrés algériens. La CAF a pensé que l’un d’eux était le père de l’enfant de ma fille aînée qui vivait chez nous avec un statut de parent isolé. Après un contrôle où elle était absente, ils ont coupé les allocations. Tout a basculé. Ma fille a eu un deuxième enfant. Pour pouvoir nous en occuper, nous avons sacrifié le loyer et fini par être expulsés. A commencé la quête des hôtels.»
Se retrouver à la rue, ça marque à vie. Évelyne a aujourd’hui 57 ans, et se déplace difficilement, toujours avec une bouteille d’oxygène en raison d’un œdème pulmonaire et cardiaque survenu en 2012. Son bras droit est paralysé, suite à une erreur médicale. Mais Évelyne ne se plaint pas. Aujourd’hui, elle a un toit sur la tête, ses quatre enfants travaillent. Elle ne demande rien de plus.
ATD Quart Monde
« Si je n’avais pas croisé ATD Quart Monde, nous serions peut-être morts. C’est en allant voir un ami gravement malade à l’hôpital, alors que nous logions à l’hôtel, que j’ai pour la première fois entendu le nom de l’association. Il m’a dit : « Tu es SDF toi ? Tu devrais contacter le centre de Pierrelaye. » En rentrant, j’ai cherché le nom d’ATD Quart Monde dans les pages jaunes. Le lendemain, j’appelais : je suis tombée sur Carine Aussedat, une volontaire permanente. Elle nous a proposé d’assister à des réunions de l’Université Populaire où nous pouvions parler autour d’un thème avec d’autres familles dans la même situation. Nous avons aussi participé à un atelier Fil de fer : j’ai construit une maison, avec un cœur au milieu, pour symboliser la famille. »
Après deux ans sans toit, dont 4 mois d’errance dans la rue parce que la famille ne peut plus payer l’hôtel, l’association trouve à la famille d’Évelyne l’appartement de Saint-Gratien, où elle vit aujourd’hui.
372 tasses
Depuis, Évelyne n’a jamais lâché les Universités populaires d’ATD Quart Monde auxquelles elle assiste deux fois par mois, à Bezons. Elle est aussi membre du comité de préparation de la plénière, qui a lieu une fois par mois à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
« J’ai également rencontré avec des membres de l’association des familles à l’hôtel et sur les bords de Seine : ces gens ont surtout peur qu’on leur prenne leurs enfants. » En racontant son combat, Évelyne les aide à reprendre confiance en eux. « Se retrouver dans la rue, c’est comme une noyade. Lorsqu’on vous tend une perche, il faut tout de suite la saisir. Carine nous a aidés à garder la tête hors de l’eau. »
Ses problèmes de santé l’empêchent aujourd’hui de se rendre sur le terrain pour, à son tour, tendre la main. Mais en septembre, elle rejoint Pierre d’angle, dans le Val d’Oise. « C’est un groupe de réflexion axé sur la spiritualité. Aujourd’hui, je suis intéressée par le Croisement des savoirs, la co-formation avec des professionnels…»
Et Évelyne peut poursuivre sa passion : elle est bolophile, autrement dit elle collectionne les tasses. Elle en a 372, venues du monde entier : « Je les chine ou mes amis et mes enfants m’en offrent. Je ne reviens pas cher en cadeau !», s’exclame-t-elle en riant.
Source : https://www.atd-quartmonde.fr/evelyne-dubois-etre-dans-la-rue-cest-comme-une-noyade/
Photo : François Phliponeau