Alep, tombeau du droit international, de l’ONU, du minimum de décence et d’humanité
Éditorial du « Monde » (14 décembre 2016).
Bachar Al-Assad, la Russie et l’Iran sont les grands vainqueurs de la bataille d’Alep. Détruite, la ville risque d’être l’objet d’une sordide épuration politico-confessionnelle.
L’ordre poutino-assadien règne à Alep. Le principal fief de la rébellion était, mardi 13 décembre, en passe de tomber sous les coups de boutoir des avions russes et syriens, le déluge d’obus de l’armée ainsi que les assauts des multiples milices chiites – des Libanais du Hezbollah aux Afghans en passant par les Irakiens – encadrées par des officiers iraniens et russes. Jamais l’armée syrienne n’aurait pu, seule, venir à bout des insurgés d’Alep, qui ont contrôlé la moitié orientale de la ville pendant plus de quatre années. Cette victoire n’est pas seulement celle, incontestable, de Vladimir Poutine, elle est celle de la République islamique d’Iran, qui poursuit une politique d’implantation dans le monde arabe lourde de conséquences et de tensions à venir.Bachar Al-Assad est l’autre grand vainqueur d’Alep. Nul n’imaginait, il y a un an et demi seulement, qu’il puisse reprendre l’initiative sur le terrain militaire. Nul n’imaginait même, cet été, alors que le siège du réduit insurgé débutait, que le sort d’Alep serait scellé en moins de six mois. Mais de quelle victoire s’agit-il ?
Une ville dévastée
Si Moscou et Téhéran se moquent d’établir leur férule sur un champ de ruines, le régime, lui, récupère une ville exsangue. Ce qui fut, il n’y a pas si longtemps, la capitale économique de la Syrie n’est plus qu’un cimetière dévasté et déserté. Les quartiers ouest, régulièrement bombardés par les rebelles, restent quasi intacts, mais la zone industrielle d’Alep l’industrieuse, pillée par la rébellion, n’est plus – tout comme les vieux souks, brûlés dans les combats.
Les faubourgs populaires sont vides et l’on se demande qui va reconstruire Alep, tant le régime est plus soucieux de chasser la majorité sunnite, suspecte de sympathie pour les rebelles, que de convier les réfugiés à revenir au pays. Alep risque de subir le sort d’Homs, dont les quartiers détruits restent désertés et où l’on incite des réfugiés afghans chiites venus d’Iran à venir s’installer pour prendre la place des Syriens qui ont fui la guerre. La chute d’Alep, qui ne s’est accompagnée d’aucun plan de protection des civils, va être suivie d’une épuration politico-confessionnelle du type de celles observées dans les années 1990 en ex-Yougoslavie. Déjà, on parle de camps de regroupement pour les femmes et les enfants, et de disparitions en masse des hommes de moins de 40 ans. Terrible réminiscence.
Les Occidentaux en spectateurs effarés
Mais alors que l’enjeu de sécurité – sans même parler de morale – est aussi grand qu’en ex-Yougoslavie pour les Occidentaux, ceux-ci sont restés, cette fois-ci, spectateurs effarés du drame. Alep aura été l’un des tombeaux du droit international, de l’ONU, du minimum de décence et d’humanité. La grande majorité des habitants d’Alep-Est ont vécu (et péri) sous les bombes, dans les privations et à la merci des exactions de la rébellion, plutôt que de subir la torture et la dictature du régime Assad. C’est dire ce qui attend les survivants et l’ampleur du rejet du régime syrien dans une bonne partie de la population.
Tout comme la chute de Srebrenica a été un tournant dans la guerre de Yougoslavie, la dernière ignominie qui a fini par réveiller la communauté internationale, celle d’Alep marquera un tournant aussi. Mais il n’y a rien de bon à en attendre. Et ceux qui jugent utile de s’en accommoder risquent de subir pendant longtemps les conséquences de l’ordre ignominieux qui vient de triompher à Alep.
Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/13/l-ordre-ignominieux-d-alep_5048126_3232.html
La référence à Yves Calvi dans le troisième paragraphe ( https://www.youtube.com/watch?v=k0XkD…) ne semble pas bonne.
Bonjour,
Il ne faut pas se laisser abuser par le sentiment premier (et légitime) d’effroi face à l’horreur de cette guerre qui nous pousse spontanément à dénoncer sans nuances l’action de la Russie (le “nouvel Empire du Mal” ?). Pour contrebalancer tous ces articles, trop nombreux sur ce site et ailleurs, absolument partiaux et incomplet sur ce sujet je vous propose une analyse, que je pense sérieuse d’Eric Dénécé (Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement – CF2R)
Interview le 21 décembre 2016 sur LCI d’Eric Dénécé (Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement – CF2R) qui s’exprimait sur Alep et sur le terrorisme. EXTRAITS : “On est à mon sens sur une falsification de l’information qui est énorme. Bien sûr qu’il y a une guerre civile en Syrie, mais ça ne concerne que 30% d’Alep, ce sont soit des civils qui sont pris en otage par des djihadistes, soit des gens qui refusent de quitter les quartiers parce qu’ils soutiennent ces mêmes djihadistes. On ne vous parle pas de tout ce qui se passe ailleurs en Syrie. On se fait rouler dans la farine avec Alep. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas de victimes innocentes qui périssent (…) Seul 1/3 d’Alep est victime des bombardements, et j’insiste, c’est 1/3 de la ville dans lequel des jihadistes dangereux sont présents qui depuis des années tirent sur les quartiers chrétiens et le reste de la ville, ce dont on ne parle jamais. On ne parle pas non plus du massacre humanitaire que conduisent les Saoudiens aujourd’hui au Yémen où systématiquement des hôpitaux sont ciblés, des sites archéologiques détruits. Un de nos contacts qui est rentré du terrain l’autre jour nous disait qu’en Syrie, il y a des tas d’endroits où les choses se passent bien où on peut dîner dans la rue le soir dans les quartiers de Damas, aller au bord de la mer, donc le pays n’est pas à feu et à sang. Au Yémen, c’est totalement différent, il n’y a quasiment pas 1 km² qui ne soit pas bombardé par les Saoudiens, et on ne parle pas de cela. Dans les années 90, dans une ancienne colonie française (belge NDLR), le Congo, une guerre civile a fait 400 000 morts sur 4M d’habitants, soit 10% de la population. On n’en parle pas non plus. Aujourd’hui, le focus qui est mis sur la Syrie d’une part et sur Alep avec les désinformations qui les accompagnent est une falsification complète de la réalité, ce qui ne veut pas dire qu’on défende Bachar El Assad, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de victimes civiles qui disparaissent, mais il y a quelque chose d’extrêmement dangereux : pour un jeune islamiste aujourd’hui, la façon dont les médias occidentaux présentent la crise d’Alep est une motivation pour passer à l’action.
(Yves Calvi fait remarquer qu’Eric Dénécé tient les mêmes propos que les invités qu’il avait reçus la semaine précédente qui dénonçaient aussi la présentation biaisée de la crise d’Alep https://www.youtube.com/watch?v=k0XkD…)
La communauté Syrienne en France et dans d’autres pays européens est absolument scandalisée de voir la façon dont les médias présentent la situation. Nos médias en France sont suivistes du mainstream médiatique qui est impulsé et imposé par les médias anglo-saxons et par les médias arabes qui, eux, ont intérêt à présenter la situation en Syrie comme quelque chose d’absolument scandaleux. Et comme toujours, 300 000 morts dans cette guerre, 5 ans de guerre civile, c’est quelque chose d’horrible, 90 000 militaires tués, 70 000 personnes soutenant le régime ou en tout cas neutres massacrés, on nous présente les faits comme si Bachar avait tué 90% de la population, ce qui est inexact, ce qui ne veut pas dire que ce soit un saint.
(Nous participons à la naissance des djihadistes et des assassins de demain) en étant toujours en relation avec des Etats qui encouragent directement ou indirectement le djihadisme – par le wahhabisme notamment – comme l’Arabie Saoudite et le Qatar. Et de l’autre côté, sur ce qui se passe aujourd’hui à Alep, le fait de mettre le focus en montrant à tort que “les pauvres populations islamistes” de ces quelques quartiers d’Alep sont des victimes de l’Occident, on redonne du carburant à ceux qui dans nos banlieues ou à l’étranger considèrent que le peuple arabe dans le monde est victime de l’ostracisme occidental, et ça les pousse à passer à l’action.”
https://www.youtube.com/watch?v=VDcbBbUaxEA
autres liens intéressant sur la question :
http://citoyens-souverains.fr/interview-sur-la-syrie-dans-politis/
http://www.leparisien.fr/lille-59000/les-propositions-de-melenchon-pour-une-solution-politique-en-syrie-16-10-2016-6214833.php