« La résurrection, mythe ou réalité » de John Spong
Par Annie Grazon
En prenant de l’âge, j’ai désiré de plus en plus ardemment dépasser le rôle de critique des traditions religieuses littéralistes du passé. J’ai voulu formuler une proposition positive en vue d’une conception religieuse élargie et appeler les gens à un vivant avenir religieux, riche et attrayant. J.Spong
Ayant lu le livre, j’essaie de m’en faire un modeste relais.
Ce n’est donc pas un résumé du livre, mais la reprise de quelques passages que j’ai trouvés spécialement porteurs de lumière pour la foi
Le Midrash
Dans le premier chapitre de son livre, l’auteur explique longuement la méthode juive d’interprétation des textes bibliques appelée Midrash qui est la façon juive de dire que tout événement à célébrer dans le présent doit être, d’une façon ou d’une autre, rattaché à un épisode sacré du passé.
Le midrash interprète une histoire ou un événement en le mettant en relation avec une autre histoire, ou un autre événement de l’histoire sainte.
Prenons seulement deux exemples : L’histoire du roi Hérode qui essaie de supprimer le libérateur promis par Dieu en tuant tous les nouveau-nés de sexe masculin à Bethléem rappelle l’ordre du Pharaon de mettre à mort tous les nouveau-nés juifs en Égypte.
À la Pentecôte, les langues de feu ont à voir avec la colonne de feu dans le désert, le symbole du feu ayant une longue histoire chez les juifs.
Autre exemple que nous connaissons bien: Aujourd’hui, tous les exégètes s’accordent à dire que ce qui est dit de la naissance de Jésus à Bethléem tient du midrash.
La localisation à Bethléem n’est pas conformée sur un fait historique, mais sur l’attente, implantée dans la tradition juive par le prophète Michée, d’un sauveur de la lignée de David dont le pays natal était Bethléem.
Le recensement qui aurait donné lieu au déplacement de Marie et Joseph n’est attesté par aucune source profane.
D’ailleurs comment croire aujourd’hui à un chœur angélique qui chantait dans le ciel, à des bergers qui n’auraient eu aucun mal à trouver un nouveau-né dans une ville grouillante des gens venus se faire recenser, à un roi Hérode qui aurait fait confiance à trois hommes qu’il n’avait jamais vus auparavant et qui seraient venus lui faire un rapport secret au sujet d’un prétendant à son trône qui serait né à une dizaine de kilomètres de là, etc.
L’auteur du livre qui est très féru d’Écriture sainte, donne quantité d’exemples pour montrer qu’on ne peut lire les textes d’une manière littérale, et que néanmoins, ils sont signifiants
(Il reste critique des traditions religieuses littéralistes du passé, même s’il désire les dépasser.)
En fait, Jésus est très probablement né à Nazareth où il a vécu jusqu’à l’âge adulte.
Beaucoup de textes sur la vie de Jésus, sur sa mort et sa résurrection, sont à regarder en ayant en tête la méthode du Midrash.
Avec le Midrash, nous ne nous posons pas la question de savoir si ce qu’il raconte à bien eu lieu, mais plutôt, ce qu’il y avait de spécial en Jésus pour qu’il soit incorporé à cette tradition midrashique.
Les écrivains chrétiens primitifs, d’origine juive, ont emprunté le langage et le style du midrash qu’ils connaissaient bien, parce que c’était le seul langage et le seul style qu’ils avaient à leur disposition pour restituer l’intensité de l’expérience du Royaume de Dieu au sein de l’humanité.
L’ignorance du midrash
Puis, il y a eu rupture de communication à partir du 2° siècle, quand un monde chrétien d’origine païenne, profondément ignorant de la façon dont les juifs comprenaient et écrivaient les écritures a interprété celles-ci d’une manière littérale. Le christianisme s’exilait alors de ses racines juives et en déformait le sens profond.
Il faut se rappeler aussi que les évangiles ont été traduits de l’araméen en grec et qu’aucune traduction ne peut se faire d’une langue à une autre sans qu’il y ait déformation à certains moments.
Et puis, l’Église a continué à annoncer la Parole dans un sens littéral, qui n’est plus crédible au 21° siècle…
Paul, le premier à avoir écrit, l’a fait pour ses premières lettres 20 ans après la mort de Jésus, Marc, Mathieu, Luc et Jean entre 35 et 70 ans après cette mort.
Avec le midrash, la crucifixion et la mort de Jésus
C’était certainement un scandale dans la vie de la primitive Église que les disciples aient abandonné Jésus et fui au moment de son arrestation. Marc, le plus ancien des évangiles est le plus précis dans l’identification de ce scandale quand il dit « et tous l’abandonnèrent et prirent la fuite ».
Pourtant, on nous donne des détails précis dans les récits de la crucifixion comme ce que dirent Jésus, la foule, le voleur repenti, le voleur impénitent, le centurion. Pendant la plus grande partie de l’histoire chrétienne, personne n’a mis en doute l’authenticité de ces récits, par conséquent, personne n’envisagea la possibilité qu’ils fussent purement et simplement les produits de la tradition juive du midrash.
Il est fort probable que l’histoire de Joseph d’Arimathie a été développée pour couvrir la peine ressentie par les apôtres au souvenir du fait que personne n’était allé réclamer le corps de Jésus et qu’il était mort comme un criminel de droit commun. Son corps a probablement été jeté sans cérémonie dans une fosse commune, dont l’emplacement est resté inconnu jusqu’à aujourd’hui.
Le cri de Marie « On a enlevé mon Seigneur et je ne sais où on l’a mis » sonne authentique, alors que le tombeau vide, l’ensevelissement par Joseph, la mention de Nicodème, la visite des femmes au tombeau, etc. sont à renvoyer au domaine de la légende.
Spong s’emploie à démonter chaque épisode, et aussi à montrer comment tous les détails donnés par les évangélistes sur la crucifixion viennent de l’Ancien Testament, spécialement du psaume 22 et d’Isaïe 53.
Du psaume 22 vient le cri que Marc et Matthieu mettent dans la bouche de Jésus mourant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? »
De ce psaume aussi vient la description de la foule « tous ceux qui me voient, ils ricanent et hochent la tête, tourne-toi vers le Seigneur, Qu’il le libère, qu’il le délivre puisqu’il l’aime ! »
De même d’Isaïe 53 viennent des mots si totalement identifiés à Jésus en croix, qu’on peut croire qu’ils ont été véritablement écrits dans ce cadre.
La crucifixion est un fait historique, mais les détails avec lesquels le récit a été rapporté sont très certainement une création de la tradition du midrash.
Avec le midrash, réflexion sur la mort de Jésus.
À la suite de la mort de Jésus, les juifs qui l’avaient suivi étaient dans une grande dépression.
Ils étaient retournés à leur pays d’origine, la Galilée.
Simon, Jacques, Jean qui étaient amis avant même que Jésus n’entre dans leur vie, étaient certainement ensemble dans ce temps de deuil. Il y en avait peut-être encore d’autres. Ils partageaient tous le métier de pêcheurs, ils devaient sûrement être en contact, ils ont dû parler ensemble et partager leur chagrin, chercher du sens à ce qu’ils avaient vécu.
L’intensité de l’absence d’une personne disparue n’a d’équivalent que l’intensité de la présence qu’elle avait dans votre existence et Jésus avait été intensément présent dans l’esprit de la petite troupe.
La loi juive déclarait : si un homme, pour son péché a encouru la peine de mort, et que tu l’aies mis à mort et pendu à un arbre, son cadavre ne passera pas la nuit sur l’arbre ; tu dois l’enterrer le jour même, car le pendu est une malédiction de Dieu.
Jésus, le crucifié, suspendu à un arbre, était donc maudit aux yeux de la loi, de la Torah. Mais une telle conclusion n’allait pas avec les autres parties de sa vie. Comment une vie marquée par tant d’amour pourrait-elle être maudite ? Comment pourrait être maudit quelqu’un qui poussait à dépasser les préjugés pour aimer les samaritains, embrasser les lépreux, prier pour ses ennemis ?
Comment pouvait mériter la mort et donc être maudit de Dieu quelqu’un qui vivait Son amour, proclamait la venue de Son règne et comparait Dieu à un père qui accueillait le fils prodigue ?
Il y avait une contradiction totale et paradoxale entre la vie de cet homme et le sort qu’il avait subi.
Ils continuaient de fréquenter la synagogue, et d’écouter les textes de l’Ancien Testament qui leur étaient lus à chaque sabbat.
Peu à peu ils percevaient des réalités qui éclairaient la vie de Jésus.
Et certains d’entre eux commencèrent à scruter les écritures pour comprendre.
Cette recherche les conduisit à la description d’un messie souffrant, dans les écrits d’un certain Isaïe. Là, ils trouvèrent un messie qui avait accompli les desseins de Dieu à travers la faiblesse et non le pouvoir. Pour ces disciples découragés, c’était comme si la lumière avait commencé à poindre. Tout à coup, ils disposaient d’une image tirée de leurs textes sacrés grâce à laquelle ils pouvaient maintenant comprendre leur expérience avec Jésus de Nazareth.
Dans cette vie et dans cette mort, cette idée naissante laissait entendre que Jésus révélait le sens de Dieu. Dieu n’est pas victoire, selon ce point de vue. Dieu est présence d’un sens transcendant au milieu de la débâcle humaine. Dieu n’est pas vie éternelle, Dieu est présence d’un sens indestructible face à une mort bien réelle. Dieu n’est pas promesse d’une récompense infinie. Dieu est le sens qui se trouve face au sort, à la tragédie, à la souffrance imméritée.
Tous les disciples de Jésus étaient juifs. Au cœur du culte juif, il y a l’unicité de Dieu qui faisait partie des plus hautes valeurs de leurs vies. Pourtant, à un moment donné, il s’est passé un événement très important qui a poussé ces juifs à croire qu’un homme du nom de Jésus de Nazareth participait en quelque sorte de la définition même de Dieu.
Mise en cause de la chronologie dans les évangiles.
Il a fallu que les premiers chrétiens aillent en profondeur dans l’interprétation de Jésus avant que l’on commence à écrire à son sujet les livres qu’on appelle évangiles. Ces livres ont donc tous été écrits dans la lumière de Pâques.
« Tu es le Christ », Ce sont des mots de Marc, le plus ancien évangile. Ils sont attribués à Pierre et ont été prononcés, selon Marc, dans la ville de Césarée de Philippe, au cours de la première partie du ministère public de Jésus, quelque temps avant l’arrivée triomphale à Jérusalem. Mais cette localisation dans le texte est probablement inexacte.
L’attribution du titre de Christ à Jésus de Nazareth n’a certainement pas eu lieu avant l’expérience pascale. Si, à ce point de leur existence, quelques-uns des disciples avaient compris que Jésus était quelque part le Christ, alors le reste de leur comportement, tel que le rapportent les évangiles, n’aurait aucun sens. Quelqu’un que ses disciples auraient pris pour le Christ n’aurait pas été trahi, renié ou abandonné par eux.
Chez Matthieu, à la suite, Jésus bénit Pierre, et il lui dit que ce ne sont pas la chair et le sang qui lui ont révélé cela ; il le loue en disant qu’il est la pierre sur laquelle sera bâtie l’Église. Pierre reçoit les clés du royaume en même temps que la promesse que tout ce qu’il liera ou déliera sur la terre sera lié ou délié dans le ciel.
Les modifications apportées par Matthieu à cet épisode montrent très clairement qu’il s’agit d’un souvenir d’après la résurrection, époque où Pierre constituait le pivot de la communauté chrétienne. La déclaration de Pierre a simplement été réintroduite a posteriori dans la vie du Jésus historique par l’interprétation de la communauté chrétienne.
En effet, comment quelqu’un aurait-il pu dire à Simon qu’il était le roc sur lequel serait bâtie l’Église, avant que n’aient eu lieu la passion et la résurrection, à un moment où vraisemblablement personne ne savait, ni même ne soupçonnait qu’il y aurait un mouvement qui aboutirait à la création d’une institution qu’on appellerait Église.
Est-ce que le Jésus historique a pu réellement dire avant sa crucifixion « je suis la résurrection et la vie » ? Qu’auraient pu signifier de tels mots pour ses auditeurs ?
Avant que l’Eucharistie devienne un élément de la liturgie ecclésiale, est-ce que le Jésus historique aurait pu dire « je suis le pain de vie, celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » ?
Qu’est-ce que cela aurait pu vouloir dire sur terre pour des gens qui n’avaient pas encore vécu en pratiquant le culte eucharistique ?
Ainsi, la chronologie de la vie de Jésus est à mettre en lien avec la théorie du midrash.
L’auteur consacre un chapitre à montrer que les 3 jours qui séparent la mort de la résurrection sont à voir dans cette lumière. Dans l’Ancien Testament, il est souvent question des 3 jours, Jonas avalé par la baleine est l’exemple que nous connaissons le mieux, mais ils signifient souvent au bout de quelques temps. La résurrection, vraisemblablement, ne s’est pas passée au bout de 3 jours, mais après un certain temps, quelques semaines ? quelques mois ? quand les disciples étant revenus en Galilée avaient repris leur vie de pêcheurs. (cf. le chapitre 21 de Jean..)
L’aube de Pâques.
Il est facile d’identifier les éléments légendaires des récits de la résurrection ; des anges qui descendent au cours de tremblements de terre, qui parlent, roulent des pierres, des tombeaux qui sont vides, etc., mais que s’est-il vraiment passé ?
Quel événement a donné naissance à ces détails légendaires qui se sont agrégés autour du moment pascal ?
Qui était et qui est Jésus de Nazareth ? Pourquoi les événements qui se sont produits après sa mort ont-ils un tel pouvoir ?
Qu’est-ce qui a poussé des gens à dire à propos de Jésus de Nazareth avec une conviction impressionnante « la mort ne peut le vaincre, nous avons vu le Seigneur ! »
Quelque chose s’était passée, qui bouleversait leur existence, c’était la conviction que Jésus qui était mort dans l’ignominie, était vivant d’une autre façon, mais bien réellement vivant. Il s’était fait « reconnaître » à Pierre d’abord, puis à d’autres, transformant leur vie.
Le premier à avoir été saisi c’est Simon, c’était comme si des écailles lui étaient tombées des yeux ; tout d’un coup, il comprenait tout :
Que la crucifixion n’était pas un châtiment, mais un acte délibéré.
Que la croix constituait la toute dernière parole de Jésus afin d’ouvrir les yeux de ceux qui autrement n’auraient pu comprendre qu’il était le signe de l’amour de Dieu.
Que l’amour de Dieu dépassait les limites de la vertu, que c’était un amour qui n’exigeait rien en retour.
Simon comprit alors le sens de la crucifixion comme il ne l’avait jamais compris jusqu’alors et il se sentit aimé malgré ses doutes, ses peurs, ses reniements, comme il ne l’avait jamais été auparavant. Simon sut que Jésus était vivant.
Il a alors ouvert les yeux de ses compagnons de sorte que, eux aussi, puissent voir Jésus ressuscité.
Ensemble, ils décidèrent de monter à Jérusalem pour la fête des tentes à l’occasion de laquelle ils devaient en témoigner à d’autres, pour qu’eux aussi puissent voir.
De poltrons qu’ils étaient à la mort de Jésus, ils devenaient des hommes courageux, qui n’avaient pas peur de risquer leur vie pour témoigner que ce Jésus était vivant.
Ils acceptaient maintenant de supporter les insultes, d’être emprisonnés, battus et même mis à mort sans la moindre hésitation. Ils étaient dominés par une puissance. Une nouvelle réalité les avait touchés, les avait étreints, les avait transformés.
C’est ainsi que l’aube pascale se leva sur l’histoire de l’humanité.