Message final de la VIIIe Rencontre continentale de théologie indienne
Nous publions ici le message de la VIIIe Rencontre continentale de théologie indienne qui a eu lieu du 26 au 30 septembre 2016 au Guatemala.
Ils se rencontrèrent et joignirent leurs paroles et leurs pensées » (Popol Wuj)
« Et la Parole se fit chair et planta sa tente parmi nous » (Jean 1:14)
À nos sœurs et frères des peuples autochtones du monde
À nos sœurs et frères unis par la foi en Jésus
À toutes nos sœurs et frères qui rêvent et luttent pour un monde où nous aurions tous notre place dans la dignité et la justice
Notre rencontre débute en un jour, Jun Tz’ikin, où se tisse la Parole et où les oiseaux annoncent l’arrivée des frères du Cône Sud, de l’Amazonie, des Andes, des Caraïbes, de Méso-Amérique, des frères du Conseil latino-américain des Églises et des personnes solidaires venues d’Europe. Avec l’odeur du basilic, de la jambose, du maté et du cacao ; au son du tum [3], de la conque, du kultrun [4], du marimba [5] et des maracas, au milieu des offrandes de nos peuples l’autel se construit. Nous nous sommes réunis, du 26 au 30 septembre de cette année, au lieu que nos frères mayas appellent Uk’u’x kaj-Uk’u’x ulew (Cœur du ciel-Cœur de la terre). La pluie, le soleil et le froid nous ont enveloppés ainsi que la brise du lac Atitlán, qui symbolise pour le peuple maya et tous nos peuples le passage de la souffrance et de la douleur à leur refondation.
Nous avons été convoqués par le Grand Esprit et nous avons répondu des quatre coins d’Abya Yala [6]. Nous avons apporté notre parole et la parole de nos aïeules et aïeux. Nous avons présenté nos fleurs, nos épines et nos fruits, ce que nous avons vu et ressenti, ce pour quoi nous avons prié, ce que nous avons proclamé et dénoncé.
Le premier jour, Kieb’ Ajmaq, s’est levé. Nous nous sommes souvenus de la manière dont nos ancêtres exprimaient et analysaient la réalité ; qu’avons-nous retenu de leurs pratiques ? « La douleur de ton frère est ma douleur. Notre lutte repose sur la fraternité, l’égalité », déclare une sœur guna [7] sur la parole sacrée d’Ibeler [8]. Nous avons aussi analysé notre réalité d’aujourd’hui avec le chant, la danse, les rites, les langues ; avec le théâtre, l’oraison, les bénédictions et les écrits, avec tout cela nous avons bien exposé notre analyse et nos dénonciations d’aujourd’hui : assassinats, impunité, menaces de toutes parts sur nos territoires, mégaprojets hydroélectriques et miniers dévastateurs, lois contre la vie, gouvernements asservis au néolibéralisme, destruction de la mère Nature par l’agrobusiness, les pesticides et transgéniques, criminalisation des leaders et des luttes sociales. Mais aussi : résistance de femmes et d’anciens, revitalisation de rites qui consolide l’identité, le service de frères qui fortifie beaucoup de gens.
Et le deuxième jour, Oxib’No’j, s’est levé : nous avons bu de la sagesse de nos grandes et grands sages, qui aujourd’hui nous aident à trouver les chemins de Dieu. Quels symboles, quels signes, quelles formes, quelles paroles, quelles lumières issues de nos peuples apportons-nous pour illuminer l’obscurité des sociétés dans lesquelles nous vivons ? Voici quelle fut notre tâche.
Enrichis par la force spirituelle autochtone, qui nous a ouvert le cœur et nous a réaffirmé que Dieu chemine avec nous, nous avons parlé de nos luttes pour l’harmonie de la vie, de notre pratique du partage spécialement avec les pauvres et les malades, de la communauté organisée en attitude de service, de la solidarité avec les migrants, de l’unité dans la diversité. Ce sont des valeurs contraires à la société néolibérale et qui nous aident tous – indiens et non indiens – à surmonter les menaces terribles et systématiques qui tuent et détruisent nos peuples et la Mère Terre. Notre travail communautaire s’inspire de la parole sacrée sur l’organisation des fourmis muletières. Nous devons être de vaillants colibris pour affronter les grands ennemis. Les rêves, la danse, les chants nous donnent la force de parvenir au fond de ces vérités.
Parut le troisième jour, Kiejeb Tijax. Nous avons vu et senti, nous nous souvenons et nous reconnaissons la manière par laquelle nos peuples ont assumé des engagements pour vaincre le mal et vivre les idéaux de leurs cultures. Il nous faut aussi distinguer quels engagements nous devons assumer – ou continuer à assumer – aujourd’hui pour ne pas permettre que l’on détruise notre terre ; pour savoir comment transformer cette réalité de mort dans laquelle nous vivons, comment cheminer vers la construction de notre terre sans mal.
Ils sont innombrables les défis et les engagements que nous avons devant nous. Grâce à Dieu, Mère-Père, nous faisons déjà beaucoup de choses. Nous croyons qu’il y a quelques engagements indispensables que nous réaffirmons aujourd’hui :
En tant que peuples autochtones :
1.- Nous continuerons à approfondir la sagesse ancestrale (chants, danses, rituels, la parole sacrée de nos ancêtres) et nous la partagerons avec nos jeunes et nos enfants.
2.- Nous renforcerons la valeur et la participation de la femme, recherchant la justice de genre dans nos communautés.
3.- Nous maintiendrons le dialogue communautaire pour nous améliorer et nous unir davantage. Fuir la division comme la peste.
4.- Nous offrirons nos fleurs aux pasteurs de nos églises.
En tant que frères non indiens :
1.- Nous continuerons à accompagner, en faisant nôtre le sort des peuples autochtones.
2.- Nous ferons pression sur les gouvernements pour qu’ils reconnaissent, respectent et garantissent les territoires et les droits des peuples indiens.
3.- Nous dénoncerons devant les organismes internationaux les violations, criminalisations et violences à l’encontre de la vie et de la dignité des peuples indiens et des peuples en isolement volontaire.
Tous unis, comme frères :
1.- Nous construirons des alliances et des réseaux, avec respect et tolérance, pour obtenir la vie pleine pour tous.
2.- Nous dénoncerons les menaces du système pervers dans lequel nous survivons (par exemple la disparition des 43 jeunes d’Ayotzinapa et le génocide du peuple guarani-kaiowá).
3.- Nous travaillerons en profondeur à la reconstruction de notre maison commune, en défendant les territoires des peuples.
4.- Nous établirons des processus sérieux de dialogue interreligieux qui nous unissent et nous enrichissent.
5.- Nous travaillerons à nous décoloniser tous en tant qu’églises et société.
Dans l’espérance et la résistance des peuples, nous tisserons, avec ceux-ci et avec d’autres, des lianes et des fils pour le petate [9] et la broderie de l’avenir de l’humanité, selon la Parole de Dieu qui nous a été donnée. Que le Cœur du ciel-Cœur de la terre nous donne la force de poursuivre ensemble le pèlerinage vers la plénitude de vie.
Pendant que nous luttons, rêvons, dansons et chantons, nous contribuons à l’arrivée des cieux nouveaux et de la terre nouvelle !
Panajachel, Joob’Kawok, Oxlajuj B’aktun, Maj Katun, Oxib’Tun, Kajlajuj Winal, B’elej’lajuj Kin, Kieb’yax (an 5 132 du calendrier long maya) – 30 septembre 2016.
Notes :
[1] Voir les numéros d’octobre et novembre de DIAL. [2] Voir, pour s’en tenir aux textes publiés depuis 2010, DIAL 3159 – « AMÉRIQUE LATINE – La théologie indienne dans la matrice latino-américaine », 3232 – « AMÉRIQUE LATINE – Théologies indiennes dans les églises chrétiennes : nous, les Indiens, pouvons-nous y gagner la place que nous méritons ?, première partie » et 3235 – « AMÉRIQUE LATINE – Théologies indiennes dans les églises chrétiennes : nous, les Indiens, pouvons-nous y gagner la place que nous méritons ?, deuxième partie ». [3] Tambour maya – NdT. [4] Calebasse couverte d’une peau tendue – NdT. [5] Xylophone – NdT. [6] Le continent américain – NdT. [7] Les Kunas, dit aussi Gunas, sont un peuple indien du Panama et du nord de la Colombie – NdT. [8] Prophète kuna – NdT. [9] Natte – NdT.Source : http://www.alterinfos.org/spip.php?article7724
Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3396.
Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
Source (espagnol) : Amerindia en la red.