La foi d’un journaliste
Par Jacques Bonnadier
Nous reproduisons ici l’intervention de Jacques Bonnadier lors de l’Assemblée générale de NSAE, le 21 janvier 2016.
Suis-je journaliste ?
Oui, c’est mon métier. Carte professionnelle N° 20.053. Mon métier depuis plus de 56 ans – dans la presse écrite, à la radio, à la télévision régionale, etc. Je suis l’un des quelque 30.000 journalistes français – avec le statut de « journaliste honoraire » depuis ma retraite officielle le 1er août 2003, jour de mes 65 ans.
Collaborations multiples à des médias très divers (et de toutes « sensibilités ») : Débuts à « Semailles » (1er papier juillet 60)… « Le Provençal » (19 années, secrétaire d’éditions, reporter, grand reporter…). « Semaine Provence » (4 années, rédacteur en chef, licencié deux fois…), « Viva » (17 années, reporter), « La Croix » (correspondant régional durant 30 ans). Nombreuses émissions de télé dès la création de la 3e chaîne de l’ORTF (été 72) et de radio pour FR3, Radio France Provence, ateliers de création…). Production de films pour diverses sociétés régionales… Tout cela concomitamment… évidemment ! Depuis ma retraite : « Dialogue rcf » : « Sorties Vieux-Port »… J’en suis au 637e numéro…
Suis-je chrétien ?
J’ai un certificat de baptême catholique. Paroisse Saint-Philippe, Marseille, août 1938. Le christianisme a baigné mon éducation, imprégné ma vie, forgé mon éthique et, via le catholicisme social de mes maîtres, influencé mes options politiques à l’opposé de tout conservatisme.
Je ne fréquente plus les églises depuis la cinquantaine. Pour des raisons très personnelles qui s’enracinent toutes dans la révolte. Mais je n’ai cessé de me référer à la personne de Jésus, le Christ. Je m’affirme sinon m’affiche toujours « chrétien ».
Donc je suis journaliste. Et je suis chrétien.
Suis-je un « journaliste chrétien » ?
Certes non ! « Êtes-vous un « philosophe catholique » ?, demandait-on à Jean Rostand. « Non, répondait-il, il n’y a pas de plombier catholique !… Je ne suis pas un philosophe catholique ; je suis un philosophe-philosophe ! »
Eh bien ! moi, je suis un journaliste-journaliste !
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Cela veut dire d’abord, faire siens les principes de la charte que les journalistes se sont donnée dès 1918. (Lecture de la Charte)
Beaux principes que ceux-là, direz-vous. Et que la profession ne respecte pas toujours scrupuleusement, c’est vrai ! Plusieurs raisons à cela :
- Il y a parmi les journalistes une certaine proportion d’imbéciles et de malhonnêtes gens : exactement la même proportion que chez les avocats, les médecins, les architectes, les enseignants, les ecclésiastiques, les employés de bureau, les épiciers en gros et en détail, les artistes, les agriculteurs… Chez nous, ça se remarque plus. On est plus « voyants », nous autres, les journalistes : nos bévues, nos dérives aussi.
- Les journalistes ont des patrons. Et ces patrons sont de moins en moins des gens de presse et de plus en plus de grands managers de firmes industrielles, qui s’intéressent d’abord au portefeuille de leurs actionnaires et très peu à l’information bien comprise, à la quête de la vérité et je ne parle pas de l’éducation du public qui ne les effleure même pas, sauf rares exceptions.
- Les journalistes ont des lecteurs, des auditeurs, des téléspectateurs. Et ceux-ci manifestent – les taux de lecture, les sondages, les indices d’écoute et autres parts de marché le prouvent – des goûts, des envies, des besoins qui vont souvent à l’encontre de la rigueur, de l’exigence que, par ailleurs, ils semblent réclamer à grands cris. On a aussi les médias que l’on mérite ! Les journaux, les programmes de radio, de télévision que l’on attend ! Si tel n’était pas le cas, ceux-ci disparaîtraient…
- Même s’il faut ajouter, à la charge des médias, ce bémol un peu trivial : « A force de prendre les gens pour des cons, ils finissent par le devenir ! » On est dans une dialectique extrêmement vicieuse. À chacun de faire son boulot !…
- … Avec la difficulté supplémentaire, aujourd’hui considérable, que suscitent les réseaux dits « sociaux ». Ceux-ci, surfant sur la vague permanente des émotions, des indignations, propagent toutes sortes d’informations le plus souvent nos vérifiées, qui se répandent à la vitesse de la lumière. « Tous journalistes ! »… « L’information » vient de partout, télés et radios sont dépassées. Même les télés en continu ! Et surtout de plus en plus désertées par le public des jeunes dont les réseaux internet deviennent les seuls référents, avec leurs tweets mensongers, leurs sites complotistes, où fleurit le « bashing » sous toutes ses formes – d’ailleurs bien relayés par des « séniors » prompts à voir dans ses prétendues informations la vérité que bien entendu « on » leur cache.
C’est le règne des « fake news », des fausses informations répandues à foison par les algorithmes qui nous gouvernent. On pourra en reparler…
Mon boulot à moi s’appuie, outre sur la charte que je vous ai lue, sur quelques idéaux somme toute assez simples, en tout cas plus indispensables que jamais. Je résume sans ordre hiérarchique – tout est important…
- D’abord, rechercher la vérité. « La vérité, la vérité, comme si la vie en dépendait ! », réclame un poète de mes amis. Cela exige honnêteté, rigueur, humilité – ne me parlez pas d’objectivité. « L’objectivité, c’est 5 minutes pour Hitler, 5 minutes pour les juifs ! », dit Jean-Luc Godard. Ou pour parler comme Jean Lacouture : « L’objectivité, je ne connais pas de concept plus fuligineux » ; disons fumeux, obscur.
Donc, foin de tout préjugé ! Ne pas être de ces reporters qui ne se déplacent que pour vérifier leurs préjugés. « Se méfier du fabriqué, c’est-à-dire de l’article mis dans les bagages en prenant l’avion. Tout est à découvrir à tout instant – c’est encore du Lacouture. Et en toute honnêteté ! Pour recueillir, après recoupements et vérifications multiples, la réalité des faits ; sans faillir. Penser au mot de Bussy-Rabutin : « Ni l’amitié ni la haine ne me feront manquer à ce que je dois à la vérité ».
Et ensuite la traduire, l’éclairer, l’expliquer, cette réalité, la commenter en toute subjectivité, avec ma personnalité à moi, mon talent si j’en suis pourvu.
Démarche d’équilibre difficile, mais d’autant plus nécessaire de nos jours où l’info déferle de partout à une vitesse affolante par tous les canaux possibles et imaginables. « On veut informer vite au lieu d’informer bien, disait Albert Camus ; la vérité n’y gagne pas » ! C’est plus vrai que jamais !
On me dira, on me l’a dit – et j’ai été viré par deux fois pour ce motif de mon poste de rédacteur en chef du même journal catholique : « Oh là, journaliste ! mais tu n’es pas dans la ligne ! La ligne éditoriale ! » Il se peut, monsieur le directeur, ai-je répondu avec Albert Londres, mais « le reporter ne suit qu’une seule ligne : la ligne du chemin de fer ! »
- C’est Albert Londres encore qui définit cet autre idéal à atteindre : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort ; il est de porter la plume dans la plaie, en mettant dans la balance son crédit, son honneur, sa vie ».
Aller donc fouiner où se cachent l’injustice, l’incurie, débusquer, dénoncer les hontes de ce siècle et de ceux qui s’en rendent coupables. Toute liberté pour cela. Et responsabilité ! Donc respect des réalités rencontrées, des personnes mises en scène et parfois mises en cause. Respect du public, divers ô combien, qui doit être informé. « Dire sans nuire, montrer sans choquer, témoigner sans agresser, dénoncer sans condamner », stipule la charte des faits divers signée par les journalistes d’Ouest France.
- « Être avec ». (Citation du cardinal Marty, mai 68 : « Je ne suis ni à droite ni à gauche ni ailleurs, j’essaie d’être avec ! »)
Être avec les gens, tous les gens ; aimer les gens, forcément. « Être avec », d’abord ceux que l’on ne voit pas, que l’on n’entend pas, ceux qui ne sont pas des stars, des vedettes de l’actualité, ceux qui ne paraissent pas sur les écrans, sur les vidéos d’Internet, qui ne sont pas des « people » célèbres pour leur célébrité, ceux qui à la lettre n’existent pas.
« Prêter une voix si faible soit-elle à ceux qui n’en ont point et qui cependant ont à se plaindre » – c’est encore d’Albert Londres. Être la voix des sans voix, des plus démunis, des plus pauvres, de tous les « petits » d’ici et de partout ».
- « Donner aux gens des raisons d’espérer ! » C’était l’injonction de mon maître vénéré Paul Mélizan, un des pionniers du Catholicisme social au début du siècle XXe – qui fut aussi un grand journaliste. Rendre compte certes, et complètement, des douleurs du monde : elles existent – ce n’est pas nous, les journalistes, qui les inventons. Montrer aussi les « mystères joyeux » de l’humanité. Parler « des avions qui arrivent à l’heure » et, au-delà, bien sûr : donner à voir, à entendre les signes de beauté, de bonté qui sont autant de signes d’espérance.
Je cite Dominique Quinio, l’actuelle présidente des « Semaines Sociales de France » dans un forum par elle signé alors qu’elle était encore directrice de la rédaction de « La Croix » : « Il faut donner aux citoyens l’envie d’agir, de soutenir une action, une cause, de mûrir une réflexion. Il nous faut donc aider à décrypter ce qui va mieux dans le monde et autour de nous (car il y a des choses qui vont mieux !), ce qui se transforme, et surtout mettre en valeur les gens de bien, les justes d’aujourd’hui qui agissent pour que le monde tourne rond ».
(Initiative à « Semaine Provence » sur une suggestion de Stan Rougier : « Il faut donner aux gens des raisons d’espérer »)
Est-ce cela faire qu’il y ait « du Christ là-dedans », comme le disait un lecteur ? Peut-être ; sans doute. C’est en tout cas tenter de mettre de l’homme, de l’humain, de la chair et du sang, bref de l’amour – n’ayons pas peur du mot ! – là où prédominent et où vont prédominer de plus en plus les seuls intérêts financiers de quelques-uns, au détriment du plus grand nombre.
« Préférez toujours l’amour et le service des hommes à la faveur de la popularité et aux avantages économiques », demandait Paul VI aux journalistes. Un peu ringard, comme parole ! Pas très tendance ! Mais toujours d’actualité pour le petit baptisé d’août 38 à Saint-Philippe…
5)… qui voudrait enfin mettre, si possible, dans tout ça un peu de poésie. Pas n’importe laquelle ! La poésie, la vraie, « ce relais, disait René Char, ce relais qui permet à l’être meurtri et démoralisé, de retrouver les forces neuves et de fraiches raisons pour poursuivre la proie ou l’ombre sur une nouvelle lancée ».
Je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire AMEN !