Conte biblique (Mt 2,1-15)
Christiane Bascou, qui nous a présenté l’activité du CELEM lors de l’Assemblée générale de NSAE, le 22 janvier 2017, nous a aussi fait partager son petit conte, publié dans le bulletin de l’association [1].
Il était une fois, en Orient, trois individus de cultures, religions, couleurs, pays différents, qui se réveillent un beau matin avec pire que la gueule de bois : la certitude que la vie n’a pas de sens !
Tout à coup un manque, un vide, un grand trou dans la poitrine et, dans le vertige d’une liberté sans but, l’absurde d’une existence qui se termine par la mort leur bouche le paysage.
Pourtant, mages, savants, astrologues, ils ont richesse, intelligence, savoir, statut social, sans parler des amitiés et des amours. Mais ça ne suffit plus ! Il leur faut aller au pourquoi de cette absence qui les ronge, chercher plus loin, ailleurs, au-delà d’eux-mêmes, avec au ventre cette soif torturante, cette faim qui n’a pour terme que l’infini.
Pauvres mages ! Le voyage est long quand on part en quête, car comme le soleil, on démarre tous de l’Orient, ce début de la course. Chacun est parti seul, mais au hasard d’une tempête, d’un échouage, d’un croisement migratoire, du ravitaillement autour d’un puits, leurs routes se sont enfin croisées : qu’il est bon de cheminer ensemble, de chercher à plusieurs autour d’un feu de camp, de passer des nuits debout à dévoiler ses doutes, échanger questions et rêves: Dis Balthazare, c’est quoi, Dieu, pour toi ? …
Alors Melchior dit : Comment trouver la Vérité ?
Gaspard dit : Comment trouver le sens de la Vie ?
Et Balthazare dit : Comment trouver l’Essence de l’Être ?
Où chercher ? En haut bien sûr, scruter l’immensité du ciel, image de l’infini, et aussi la sagesse des anciens, en interrogeant les textes. Mais ça ne suffit pas ! Le désir devient quête. Il faut maintenant affronter le découragement, la désapprobation de ceux que ça dérange. Enfin chacun de son côté voit un signe, une lumière, ils croient comprendre, mais ça ne suffit pas !
C’est le moment de s’arracher à la vie d’avant pour accrocher leur char à cette étoile, perdre les attaches sentimentales et les certitudes, les habitudes et la sécurité, affronter l’inconnu, les déserts de sable et de solitude, l’inconfort de la caravane, risquer les culs-de-sac et les périls qui guettent le voyageur de l’Absolu.
Vous croyez que la Vérité, le Grand tout, Dieu, tout ça, ça se trouve sous les pas d’un chameau ?
Mais au final, l’étoile, vers quoi pointe-t-elle ? Vers la puissance, la gloire, la royauté ? Ils s’attendaient au top du top et et à la place, qu’est-ce qu’ils ont ? un braillard lambda, qui sent le lait, la couche pleine et le suint de mouton (sûrement un cadeau des bergers, la peau de mouton, ça pue, mais ça tient chaud) et pourtant, ils ne sont pas déçus du tout : ils se libèrent de l’image convenue du Dieu d’en haut, du Dieu sur un trône, du vieux barbu, du Tout-Puissant, car ils ont reconnu dans l’amour des parents humbles et attentifs et surtout dans l’enfant lui-même, là, neuf et fragile, cela même qu’ils cherchaient : la source d’absolu présente en tout homme, la vie toujours en train de naître, l’infini potentiel divin, offert sans cesse, qui est aussi en eux, que chacun peut créer en lui-même et aider à développer en l’autre. La voilà la Bonne Nouvelle, qui sera celle de l’Évangile.
Dans le cœur de Melchior s’embrase un buisson ardent de Vérité, dans celui de Balthazare se met à bouillonner une source d’Amour pour étancher les soifs, les mains de Gaspard s’ouvrent comme deux colombes messagères de Paix… Entre les sourires radieux, ils ont un regard gêné pour les cadeaux qu’ils trimballent précieusement depuis des lustres et qui sont tout à coup dérisoires, voire carrément à côté de la plaque :
– l’or, puissance marchande et nerf de la guerre, face au dénuement de l’amour, qui se multiplie en se partageant,l’encens des autels, des rituels et du sacré, qui est censé emporter la prière vers le ciel, confronté à la lumière intérieure qui éclaire les visages,
– la myrrhe, parfum-remède de luxe et baume qui conserve les cadavres, face à la création toujours neuve de vie…..
Tant pis, ils les laissent quand même, ça fait toujours plaisir.
Note :
[1] bulletin 64
Photo : Marie-Thérèse Arnoux