La bonne nouvelle, c’est que la solution existe
par Marie-Noëlle Bertrand
À la veille de l’élection présidentielle, la Revue Projet, magazine des chrétiens de gauche, et une quinzaine d’organisations appellent à repenser les inégalités face au défi écologique. Rencontre avec Jean Merckaert, rédacteur en chef de la revue.
La Revue Projet et quinze organisations plaident l’établissement d’un plafond environnemental et d’un plancher social. Pour illustrer cela, vous utilisez l’image du donut, ce beignet rond avec un trou au centre…
Jean Merckaert C’est l’image employée par Kate Raworth. Voilà des années que des chercheurs étudient les neuf limites de la planète. Elles portent sur le climat, la biodiversité ou les océans, et nous indiquent là où nous en sommes de la consommation de notre environnement. Ensemble, elles constituent une frontière plafond qu’on peut représenter par un cercle : tant qu’on reste à l’intérieur, notre développement est soutenable. Mais il existe une autre limite à ne pas franchir : celle en dessous de laquelle un individu ne peut plus accéder à des services ou à des revenus lui garantissant une vie digne. C’est le plancher social, qui lui aussi peut être formalisé par un cercle, mais dans lequel, au contraire, nous ne devrions jamais mettre les pieds. Si on place ce cercle au centre du premier, on obtient l’image d’un donut, aux frontières duquel nous devons nous conformer. Pour l’heure, aucun pays n’y est parvenu. La bonne nouvelle est qu’il existe une solution. Cela s’appelle l’économie du partage. Elle vise un horizon plus sobre et plus équitable. Nous reprenons en quelque sorte le principe développé par Gandhi : vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre.
Vous avez auditionné les représentants de cinq candidats à l’élection présidentielle. Sont-ils en passe de mener ces deux politiques de front ?
Nos responsables politiques ont été formés à une époque où tout reposait sur la croissance du PIB. Beaucoup restent dans ce schéma où l’écologie est encore perçue comme le « truc en plus ». C’est flagrant avec F. Fillon, qui ne l’a pas encore inscrite dans son programme mais prévoit de publier une brochure sur ce thème. E. Macron intègre mieux la dimension globale de la problématique, et fait un plaidoyer des leviers dont dispose l’Europe pour agir. Il n’a pas tort. Mais ce qu’il propose, c’est d’ajuster les règles de droit pour conforter les entreprises et les investisseurs, avec toujours cette idée qu’il ne faut pas nuire à leur compétitivité. Nous pensons au contraire que c’est aux investisseurs de se plier à des règles de droit clairement établies. Concernant B. Hamon et J.-L. Mélenchon, nous constatons de vrais changements dans les discours. Ils sortent peu à peu de la logique productiviste. Y. Jadot était déjà dans cette dynamique.
La croissance est-elle indubitablement obsolète ?
Le problème n’est pas d’être pour ou contre la croissance du PIB, mais de s’appuyer sur de nouveaux indicateurs du bien-vivre tels que l’accès à l’alimentation de qualité, le temps passé en famille, la qualité des océans, l’accès à la mobilité décarbonnée, ou au logement… Depuis vingt ans, cette idée a fait son chemin. Mais il ne suffit pas d’énumérer ces nouveaux indicateurs. Il faut en faire une boussole politique. Or, si on prend l’empreinte carbone, les administrations ne disposent pas des outils pour la mesurer. Elle reste donc en dehors de leur champ de réflexions. Le problème est là.
Comment remettre en cause la consommation quand elle est aujourd’hui si mal partagée ?
Dire que la société française doit consommer trois fois moins qu’elle ne le fait ne doit pas se traduire par une bête formule mathématique qui consisterait à diviser par trois la consommation de tous. Certains consomment dix fois plus que les autres : ils devront faire plus d’efforts. Surtout, il y a à réfléchir à la nature même de ce que nous consommons. Manger deux fois par jour de la viande importée du Brésil n’a pas du tout le même impact environnemental et social que de manger modérément de la viande produite localement et commercialisée via une Amap.
Vous interrogez aussi les inégalités de patrimoine ou le partage des richesses…
La question de la destination universelle des biens compte au nombre des doctrines sociales de l’Église catholique. Elle nous pousse à subordonner la propriété privée à l’intérêt collectif. Elle nous conduit aussi à considérer le logement comme une sorte de service général. Or, à l’heure où les politiques françaises portent aux nues la propriété, on sait que 40 % de la population ne seront jamais propriétaires et qu’un grand nombre de personnes se voient contraintes dans leur mobilité par manque d’offre de logements. Cela nous pousse à interroger jusqu’aux modalités de la transmission du patrimoine et de l’héritage. Notre démarche ne s’arrêtera pas avec les élections. Obtenir le partage des bénéfices entre salariés et actionnaires ou encore imposer une régulation de la publicité ne s’obtiendront pas d’un seul coup. Mais nous ne sommes pas seuls, nous participons à un mouvement qui nous dépasse et auquel collaborent syndicats et ONG. Ce qui nous intéresse, c’est d’y inclure ceux pour qui ce n’est pas évident.
Un socle commun pour avancer
Oxfam, la Fondation Nicolas-Hulot, Emmaüs France ou l’Unaf… Une quinzaine d’organisations ont participé à la rédaction d’un socle commun pour repenser les inégalités face au défi climatique. Elles ont tenu un colloque à Paris du 16 au 18 février 2017, afin de mettre en débat le double constat à la base de leur réflexion : la planète et ses ressources sont limitées, et poursuivre la croissance en niant cette finitude n’est plus envisageable ; pas plus qu’il n’est envisageable de déroger à la lutte contre la pauvreté. Leur texte est en ligne sur le site de la Revue Projet : http://www.revue-projet.com/
Source : http://www.humanite.fr/jean-merckaert-la-bonne-nouvelle-cest-que-la-solution-existe-632404
Illustration : https://www.kateraworth.com/doughnut/