Le baiser dans le monde antique, Mauriac, Paul Claudel, Metallica et Le Caravage. Les amateurs de littérature vont se régaler…
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Avec PRIXM, découvrez chaque semaine comment la Bible a influencé l’art depuis 2000 ans, ce que ses textes disent et ce qu’ils veulent dire.
Notre contenu est inspiré par le programme de recherche des dominicains de l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem.
Comme de nombreux groupes de Heavy Metal, Metallica inverse l’interprétation chrétienne du baiser de Judas en faisant de lui le héros de tous les désespérés.
La subtilité de l’harmonie n’invite pas exactement au calme et au repos.
Pendant les 7 dimanches qui précèdent la fête de Pâques, nous vous proposons de suivre la Passion du Christ pas à pas dans l’évangile selon saint Matthieu.
Aujourd’hui, nous vous présentons l’arrestation de Jésus avec le fameux baiser de Judas.
Comme il parlait encore voici que Judas, l’un des douze, arriva et avec lui une foule nombreuse avec des glaives et de bâtons de la part des grands prêtres et des anciens du peuple. Celui qui le livrait leur avait donné un signe, disant :
— Celui à qui je donnerai un baiser, c’est lui, saisissez-le.
Et s’approchant aussitôt de Jésus, il dit :
— Salut, rabbi ; et il lui donna un baiser.
Jésus lui dit :
— Ami, c’est pour cela que tu es là.
Alors ils s’approchèrent, mirent la main sur Jésus et le saisirent. Et voici qu’un de ceux qui étaient avec Jésus étendant la main tira son glaive et frappant l’esclave du grand prêtre emporta son oreille. Alors Jésus lui dit :
— Remets ton glaive à sa place car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse pas supplier mon Père et il me fournira sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment donc s’accompliraient les Écritures d’après lesquelles il doit en être ainsi ?
À cette heure-là Jésus dit aux foules :
— Comme contre un brigand, vous êtes sortis avec des glaives et des bâtons pour me prendre ! Chaque jour dans le temple j’étais assis enseignant et vous ne m’avez pas saisi. Mais tout cela est arrivé afin que fussent accomplies les Écritures des prophètes.
Alors tous les disciples le laissant, s’enfuirent.
Chapitre 26 de l’évangile selon saint Matthieu dans le Nouveau Testament. Traduction BEST 0.1.
L’épisode a marqué l’imagination occidentale au point que la locution « un baiser de Judas » s’est lexicalisée pour désigner une traîtrise, une fourberie cachée sous un geste amical. Dans le milieu antique de Jérusalem, ce geste du baiser est :
Extraordinaire : Le baiser n’appartient pas au quotidien ; la salutation par un baiser est un clair signe de l’estime de Judas pour Jésus et de son lien avec lui.
Symbolique : Pour les Juifs, le baiser exprime le lien familial, l’estime pour les gens de marque (par exemple des rois ou des rabbins), la réconciliation et la salutation lors d’un départ ou d’un retour.
Fort : Dans le monde méditerranéen, trahir après un baiser était déjà une honte. Trahir par un baiser est encore plus sordide.
Le Caravage, L’arrestation du Christ (huile sur toile, 1598-1602), National Gallery of Ireland, Dublin.
Quelques génies littéraires ont retranscrit la portée du geste et le sens qu’il pouvait avoir en fonction du point de vue des personnages.
Dans Mort de Judas, Paul Claudel écrit un monologue assez déroutant où Judas explique son baiser :
« Je me souviendrai toujours de ce moment. Quand on prend congé d’une personnalité distinguée à laquelle on a prodigué pendant trois ans des services aussi loyaux que gratuits, l’émotion est compréhensible. C’est donc dans les sentiments de la sympathie la plus sincère, mais avec en même temps cette satisfaction dans le cœur que procure la conscience du devoir accompli que je déposai sur Ses lèvres, à la manière orientale, un baiser respectueux. Je savais que je rendais à l’État, à la religion, à Lui-même, un service éminent, – aux dépens peut-être de mes intérêts et de ma réputation, – en L’empêchant désormais de troubler, – avec les meilleures intentions du monde ! – les esprits faibles, de semer dans la population l’inquiétude, le mécontentement de ce qui existe et le goût de ce qui n’existe pas » (BNF, 1961).
Gustave Doré, Le baiser de Judas (gravure, 1866), Illustration dans La Sainte Bible, Paris.
François Mauriac prend le point de vue opposé, celui de Jésus :
« cette trahison par le baiser déroute Celui qui pourtant s’attendait à tout. Cette bouche sur sa joue ! […] Jusqu’à la fin, la créature l’étonne. Il croyait avoir touché l’extrême fond de la bassesse humaine ; mais ce baiser… » Vie de Jésus (Flammarion, 1936).
C’est une autre manière de lire la Bible : la méditer en se mettant à la place de chacun des personnages. Il faut alors essayer d’adopter leurs différents points de vue, d’éprouver leurs sensations propres, de deviner leurs raisonnements. Cette lecture permet de voir que derrière chaque personnage se cache un imaginaire particulier, un univers entier qu’il faut tenter de contempler pour toujours mieux entrer dans le texte.
Tous nos remerciements vont au jeune docteur François Friche, dont le patient travail de recherche a permis de constituer les fondements de cette petite pastille que nous vous proposons aujourd’hui.
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