Spiritualité pour un temps nouveau
Par Jose Arregi
Ce texte est extrait de la conférence donnée par Jose Arregi le 18 mars 2017 lors de l’Assemblée générale de Partenia 2000 [1].
Toutes les époques sont de transition. Mais elles n’ont pas toutes connu une transition d’époque. De nombreuses indications montrent que nous vivons aujourd’hui une profonde transformation culturelle, un changement d’époque plutôt qu’une époque de changements. Tout indique que nous sommes au seuil d’une nouvelle ère.
Or, toute transformation culturelle amène, à courte ou à longue échéance, une transformation religieuse.
Prenons, par exemple, quelques transformations fondamentales des systèmes de production de biens de consommation. Le passage de la culture de chasseurs / cueilleurs à la culture sédentaire de l’agriculture il y a 10.000 ans a entraîné la formation de groupes humains sédentaires et plus nombreux, la construction de village et puis des cités. Mais la cité impose la spécialisation des professions, l’organisation d’une société complexe et, au terme, sa hiérarchisation. Et au fur et à mesure que la société se configure de manière plus complexe, il arrive de même avec la cosmovision dans son ensemble : le ciel en haut, la terre au milieu, l’inframonde des morts. La cité a amené aussi l’invention de l’écriture et la mise par écrit des mythes…
Eh bien, c’est alors que sont nés les religions en tant que systèmes de croyances, de rites et de normes que l’on doit observer ; c’est alors qu’ont été conçus les divinités, les panthéons. Et il y a 5000 ans a été conçu et représenté la figure humaine d’un Dieu unique. Je dis la figure de Dieu, non pas le Mystère, la Réalité, la Présence de la Compassion, l’Esprit créateur et consolateur. Toutes les grandes religions du passé ou du présent sont nées dans des cultures agricoles, avec des patrons fondamentaux en commun, en cohérence à la vision du monde propre à l’époque. Les croyances et les institutions religieuses fondamentales des grandes religions universelles (divinités, esprits, temples, sacrifices, l’au-delà…), toutes les religions donc d’aujourd’hui –depuis les mystiques orientales jusqu’au monothéismes abrahamiques, héritiers à leur tour du monothéisme zoroastrien – correspondent à l’antique vision agraire du monde : une vision géocentrique, anthropocentrique, hiérarchique et dualiste.
Il y a seulement 200 ans, l’industrialisation, la modernité, les sciences avant tout, ont provoqué un changement radical, de plus en plus généralisé, de la cosmovision traditionnelle qui soutiennent les religions, le christianisme y compris. Les religions n’ont pas disparu, mais elles ont été profondément secouées et se trouvent, du moins dans notre société façonnée par les sciences, profondément ébranlées. Il est impossible depuis lors de continuer à lire et à comprendre de manière littérale les textes fondateurs (Bible, Credo…). Toutes les résistances des institutions religieuses, aussi fortes soient-elles, devront céder tôt ou tard.
Aujourd’hui, l’ère industrielle cède la place à l’ère postindustrielle de l’information : l’information augmente à un degré inimaginable depuis il y a seulement quelques années et elle circule à vitesse incroyable. L’avenir est encore plus inimaginable. Toutes les institutions traditionnelles sont en crise, ou en ruine. Le pluralisme est inévitable.
Un monde millénaire est en train de disparaître. Le vieux monde est en crise. La crise économique est la crise d’un modèle culturel, un modèle de développement, de production, de relation, d’être. Une nouvelle vision du monde global, un nouveau paradigme s’impose sans même qu’on s’en rende compte: un paradigme holistique (tout est en relation, en interaction) et un paradigme dynamique et évolutionniste (tout en mouvemente et en évolution). Tout est en relation et transformation, en interaction transformatrice.
Et tous ces changements sont insignifiants devant la révolution qui s’annonce : la révolution post-humaine… Devenus maîtres de la création, devenus aussi maîtres de la clé de l’évolution dite naturelle, nous sommes à la veille de créer un être supérieur, bien plus puissant que nous, Homo Sapiens. Nous ne savons pas encore quelle forme il aura. Ce pourrait être un organisme génétiquement et neurologiquement altéré, enrichi, ou un être bionique (un cyborg, organique et cybernétique à la fois, avec des prothèses de tout ordre…), ou des simples robots capables de doutes les fonctions humaines mais en degré bien plus performant… Ce n’est pas pour demain, mais ce n’est pas si loin. Tout ce qui viendra pourrait entraîner des différences et des esclavages entre les humains qui n’ont jamais existé. Nous pouvons devenir des anges gardiens ou des anges exterminateurs les uns pour les autres et pour les autres espèces vivantes. Mais l’espèce que nous créerons pourra peut-être nous exterminer nous-mêmes…
Il paraît risible de se demander si les religions traditionnelles survivront encore…
Note :
[1] Lire le texte complet : Une Spiritualité pour vivre avec ou sans religion