La démocratie espagnole est l’otage de la hiérarchie catholique
par Juan Jose Tamayo [1] (extraits)
« Tu peux l’écrire, j’ai été condisciple du Cardinal Cañizares, nos thèses de doctorat ont été dirigées par le même professeur de théologie. Il nous disait n’avoir jamais dirigé deux thèses aux positions plus opposées. »
Au moment où ont passé 4 années du pontificat de Jorge Bergoglio, où la Conférence épiscopale a choisi Cañizares comme vice-président, où le laïcisme de l’État espagnol redevient objet de débat, Tamayo, directeur de la chaire de Théologie et de Sciences des religions de l’Université Charles IIII, critique durement le haut Clergé espagnol et le rôle de l’Église dans la démocratie.
La démocratie espagnole est-elle parvenue à être indépendante de l’Église Catholique ?
Depuis la mort de Franco, depuis la Transition jusqu’à nos jours, la démocratie espagnole est l’otage de l’Église Catholique. Ou mieux, de la hiérarchie catholique. Depuis la Transition, ce qu’ont fait les divers partis de gouvernement a été de doter l’Église de privilèges tous les jours plus nombreux, dans l’attente d’une rentabilité au plan soutien politique.
Nous ne sommes pas dans une démocratie laïque, mais dans un État dont non seulement je doute qu’il soit non confessionnel, mais qui possède une confessionnalité non dissimulée. Dans les textes d’abord, vu que la Constitution reconnaît le statut spécial de l’Église catholique et ensuite dans la pratique politique puisqu’elle lui concède toutes sortes de privilèges : éducatifs, économiques, fiscaux et jusqu’à militaires : l’armée espagnole possède un archevêque et des prêtres à son service, qui montent en grade au même rythme que le reste des militaires.
Non seulement ces privilèges n’ont pas diminué avec le temps et les partis de gauche au pouvoir, mis ils ont augmenté. L’exemple le plus parlant est celui de la « case » dans la déclaration d’impôts, correspondant à un revenu de 250 millions concédé gratuitement et généreusement par l’État, sans qu’il existe une justification pour cet apport. A cet égard, le traitement accordé à l’Église catholique est du même niveau que celui qu’on accorde aux sujets sociaux. Cela constitue une hypothèque très grave et un exemple éloquent que nous sommes encore dans un État clérical.
Et la morale de l’État, ne croyez-vous pas qu’elle est trop influencée par l’Église catholique ?
Bien sûr. Heureusement les citoyens sont moralement majeurs, se laissent guider par leur conscience propre, les droits de l’homme et les principes d’une éthique civique, et ne tiennent aucun compte de ce transvasement de la morale catholique dans la morale de l’État.
Le meilleur antidote contre cette dépendance est cette maturité et cette majorité d’âge des citoyens et citoyennes espagnoles qui sont parvenues en très peu de temps à se libérer de la morale répressive de l’Église catholique…
Je crois que la morale d l’État est encore hypothéquée par la morale chrétienne… traditionnelle. Car il existe une éthique, évangélique, qui est celle de la libération, de la justice, de la solidarité éthique d’option pour les exclus que les hiérarques ne pratiquent pas, qu’ils ne mettent pas en pratique et qui n’a pas été transférée à l’État.
Et s’agissant de ses propres délits ?
Il n’y a eu aucune collaboration de l’Église catholique dans des cas clairement délictueux de la part de prêtres, de professeurs d’école, de pédophiles, qui n’ont pas été remis à la justice, et n’ont même pas été sanctionnés au sein de la communauté chrétienne elle-même.
La hiérarchie catholique, la Conférence épiscopale, ne s’est pas prononcée devant l’autobus de « Hazte Oir » (initiative de catholiques ultraconservateurs contre la théorie du genre et autres thèmes du même bord, NDT) [2]. Il lui aurait fallu le faire, car il s’agit d’un message totalement homophobe, et cependant elle a préféré se taire. Pourquoi ? Mais parce qu’au fond elle est d’accord avec ces messages ultraconservateurs qui alimentent la haine.
Cette Conférence épiscopale vient d’élire vice-président le cardinal Cañizares connu pour ses déclarations homophobes.
Cañizares est un cardinal qui, dans ses déclarations, montre de la haine envers tout ce qui a quelque chose à voir avec les relations non hétérosexuelles. Il est contre la théorie du genre, qu’il méprise en la nommant idéologie du genre et disant qu’elle est une des idéologies les plus funestes de l’humanité.
On élit à la majorité absolue un cardinal homophobe, xénophobe, qui est machiste, patriarcal et sexiste. Est-ce que ça n’est pas un clair exemple de la façon dont est positionnée la conférence épiscopale ? Il ne s’agit pas d’un évêque sans plus, mais le problème c’est que cet évêque avec ses déclarations a été ratifié à la majorité absolue comme vice-président de la Conférence épiscopale. Est-ce que ça n’est pas grave ? (…)
Qu’on ait élu cette personne vice-président de la Conférence espagnole me semble la meilleure preuve, la vérification empirique de la dérive immobiliste suivie par la hiérarchie catholique. (…)
La continuité intégriste et conservatrice s’est imposée contre l’orientation réformatrice. Ces élections ont été une gifle contre le projet du pape François.
L’Église espagnole est-elle restée ancrée dans le passé ?
Elle est énorme la quantité de documents publiés ces 40 dernières années par les évêques espagnols, contre le divorce, contre l’avortement, contre la pilule du lendemain, contre les relations avant le mariage, contre la fécondation in vitro, contre l’ordination des femmes, contre le mariage des prêtres, contre et contre et contre tout ce qui suppose une ouverture dans la sexualité, dans les relations de couple, dans les modèles de famille, etc. J’ai recueilli jusqu’à 14 « NON » de la part des évêques. Très souvent cependant et de façon voilée, ils ont condamné la violence de genre. Ils condamnent la théorie du genre en la disqualifiant comme idéologie, certains évêques considérant que cette idéologie du genre est responsable de la révolte des femmes et qu’ensuite les hommes exercent la violence contre elles. C’est un scandale.
Tant de documents contre l’idéologie de genre et pas une seule manifestation ni un seul document public contre la violence de genre qui a lieu contre les femmes. N’est-elle pas légitimée, au moins indirectement, cette violence ?
Cela ne va-t-il pas contre son propre intérêt ? Comment l’Église parviendra-t-elle aux gens, en adoptant une posture aussi réactionnaire ?
Ils sont les pires propagandistes de leur propre produit. Ils se font eux-mêmes hara-kiri. Avec ces positions grandit chaque jour le nombre d’apostats explicites qui abandonnent l’Église, car ils ne peuvent partager ces propositions sans aucune sensibilité envers ceux qui souffrent.
Ils vont dire que la cause du manque de foi est la sécularisation, la pornographie, le libertinage… Mais au fond la responsabilité de la crise dont souffre aujourd’hui l’Église est intérieure, ils choisissent le pire chemin pour défendre l’authenticité et la vérité du message qu’ils prétendent annoncer.
Notes :
[1] L’interview de Juan Jose Tamayo est réalisée par Carlos del Castillo [2] Lire : http://nsae.fr/2017/03/16/le-bus-ultra-catholique/Traduction par Maurice Audibert
Source de l’illustration : wikimedia commons