Édouard Manet, Fra Angelico, Musset, René Girard et Mel Gibson : on n’a oublié personne pour évoquer l’épisode du couronnement d’épines.
AccueilFaire église autrementÉdouard Manet, Fra Angelico, Musset, René Girard et Mel Gibson : on n’a oublié personne pour évoquer l’épisode du couronnement d’épines.
Édouard Manet, Fra Angelico, Musset, René Girard et Mel Gibson : on n’a oublié personne pour évoquer l’épisode du couronnement d’épines.
Édouard Manet, Fra Angelico, Musset, René Girard et Mel Gibson : on n’a oublié personne pour évoquer l’épisode du couronnement d’épines.
Temps de lecture estimé :
4 minutes au cœur de l’histoire humaine.
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Notre contenu est inspiré par le programme de recherche des dominicains de l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem.
On ne sait pas vraiment si on peut parler de miel cette semaine… Le Christ couronné d’épines est l’affiche du film de Mel Gibson, La passion du Christ. La violence des tortures, les gros plans sur Jésus qui suffoque, et la haine des soldats qui l’entourent rendent cette scène particulièrement difficile à regarder.
Pendant les 7 dimanches qui précèdent la fête de Pâques, nous vous proposons de suivre la Passion du Christ pas à pas dans l’évangile selon saint Matthieu.
Après avoir été condamné à mort par Ponce Pilate, Jésus est préparé pour la crucifixion par les soldats romains.
Alors les soldats du gouverneur, prenant avec eux Jésus dans le prétoire, rassemblèrent contre lui la cohorte entière
et l’ayant déshabillé, l’enveloppèrent d’une chlamyde* écarlate
et ayant tressé une couronne avec des épines, la posèrent sur sa tête et un roseau dans sa main droite
et faisant des génuflexions** devant lui se moquèrent de lui disant :
— Salut roi des Juifs !
Et lui crachant dessus ils prirent le roseau et l’en frappaient à la tête
et lorsqu’ils se furent moqués de lui, ils le déshabillèrent de la chlamyde et l’habillèrent de ses vêtements et ils l’emmenèrent pour le crucifier.
Chapitre 27 de l’évangile selon saint Matthieu dans le Nouveau Testament. Traduction BEST 0.1.
* Une chlamyde est un manteau d’une seule pièce sans couture.
** La génuflexion est littéralement l’action de se mettre à genoux en signe de respect. Ici ce geste est tourné en dérision.
Fra Angelico, Christ aux outrages avec la Vierge et saint Dominique (fresque murale, 1438), Cellule 7 du couvent San Marco, Museo di San Marco, Florence, Italie.
L’innocence de la victime : le sacrifice comme mensonge
René Girard, est l’un des penseurs français les plus influents du vingtième siècle. Membre de l’Académie française, il a longtemps été professeur à l’université de Stanford où il est décédé en 2015 à 91 ans.
Selon René Girard, pour la première fois dans l’histoire, l’événement de la passion met à nu le mécanisme de la violence sociale et son engrenage inéluctable : le condamné est à la fois détesté comme cause du mal et honoré comme délivrant la communauté par son exclusion.
Aussi cette victime revêt-elle souvent la figure du roi, personne sacrée, avec toutes les ambivalences du terme : à la fois vénérée et redoutée L’exemple du couronnement d’épines en est l’illustration typique. On assiste à la désignation d’un roi, mais au cours d’un processus totalement contraire de dévoilement :
Vêtu d’un manteau dont la couleur dit l’autorité royale – mais d’abord déshabillé,
couronné – mais d’épines,
doté d’un sceptre – mais qui va servir à le frapper,
désigné roi et recevant les génuflexions que ce rang impose – mais entre ricanements et crachats.
Édouard Manet, Jésus insulté par les soldats (huile sur toile, 1864-65), Art Institute of Chicago, États-Unis
Derrière ce jeu social cruel, c’est le phénomène du bouc émissaire qui est dévoilé : victime expiatoire focalisant toutes les petites ou grandes détestations interpersonnelles en une seule vague de haine concentrée sur sa personne. C’est un phénomène spirituel où l’irrationalité s’empare de la foule, où toute une communauté se réconcilie par le meurtre d’une victime fantasmée et honnie. La Passion du Christ est ainsi pour Girard l’archétype du mécanisme de la violence qui se retrouve à toutes les époques de l’humanité.
En insistant sur l’absolue innocence de la victime, Jésus, l’évangéliste qui raconte ses souffrances et sa mort démasque le mensonge que représente ce mécanisme d’évacuation de la violence par la violence et ouvre un nouvel espace de liberté dans la lutte contre le mal.
Antoine Van Dyck, Le couronnement d’épines (huile sur toile, 1620), Musée du Prado, Madrid, Espagne
Pour le poète romantique Alfred de Musset, la couronne d’épines est le symbole d’une Passion qui prescrit le respect du Christ à tout homme, même non croyant :
« Quelle main cependant, même après avoir détruit tes œuvres, osera s’avancer jusqu’à toi ?
Qui t’arrachera l’auréole de feu achetée au prix de la couronne d’épines ? »*
Au terme de ses tortures, Jésus ne peut être ni méprisé ni moqué. Sa couronne d’épines devient le symbole de toute détresse humaine, et fait de lui le frère de tous les hommes souffrants :
« Un an après, il était nuit,
J’étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s’asseoir
Un orphelin vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère.
[…] Il était couronné d’épines ».**
* Alfred de Musset, « Tableau», Mélanges de littérature et de critique (1867)
** Alfred de Musset, « La nuit de décembre », Poésies nouvelles (1836-52)