Par Ignace Berten, O.P.
Certaines œuvres de Kantor sont d’un réalisme expressionniste un peu brutal. D’autres par contre, très symboliques, sont beaucoup plus douces ou apaisées. Je pense qu’il importe de les recevoir dans leur complémentarité dialectique.
Deux éléments paysagers sont très fréquents : les arbres, souvent dénudés, en hiver et la nuit. qui évoquent peut-être la crise de notre humanité.
Arbre la nuit (2005)
Chiens l’hiver (2005)
Expression d’une humanité désorientée, laissée à elle-même, perdue. Ici encore la nuit, l’hiver et avec des arbres dénudés.
Ces deux symboles sont repris et reçoivent de Kantor une dimension proprement spirituelle et évangélique dans Trois arbres (2009).
Pour Kantor il s’agit en fait d’un calvaire. Au centre le Christ, à droite le bon larron, à gauche l’autre malfaiteur, et cependant, la suggestion d’une espérance malgré tout…
Le 6 avril 2007, Maxim m’écrit :
« Maintenant, je suis en train de peindre le Christ sur la croix : c’est la première fois dans ma vie que j’ose faire cela. »
Et le 21 avril, mardi de Pâques, il m’envoie une photo du tableau encore sur son chevalet. Quelques jours plus tard, il me le commente :
« Je craignais de te l’envoyer, car je n’étais pas sûr que tu puisses être d’accord avec ma conception de l’image. C’est avec tout mon amour et mon cœur que j’ai essayé de dépeindre sa face – mais certainement, j’ai davantage peint l’homme que Dieu. Ou peut-être le degré de souffrance ainsi dépeint était-il trop évident pour Dieu. Je serais heureux de montrer cette peinture dans une église – mais je pense qu’aucune église ne voudra l’accepter. »
Nous l’avons exposée dans l’église de notre communauté à Bruxelles… Et certains en ont été scandalisés.
Deux textes bibliques me sont tout de suite venus à l’esprit :
« Les foules ont été horrifiées à son sujet : à ce point détruite, son apparence n’était plus celle d’un homme, et son aspect n’était plus celui des fils d’Adam. » (Is 52,14)
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? J’ai beau rugir, mon salut reste loin. […] Je suis un ver et non plus un homme, injurié par les gens. » (Ps 22,2 et 7).
Le Christ est nu, comme presque certainement il l’était. Une chose est sûre : l’homme qui était enseveli dans le saint suaire, que ce soit Jésus lui-même ou non, était nu.
L’image est très dure. Le visage est dur. Mais il nous regarde, comme s’il nous demandait, à la suite de la lamentation de Jérémie : « Mon peuple, que t’ai-je fait ? »
Et remarquez deux éléments importants. D’une part : la tête de mort au sol, signe de la victoire sur la mort ; et le fond jaune, lumineux, annonce déjà de la résurrection.
Nuit d’hiver (2002)
L’hiver, la nuit, la neige, les arbres, les chiens, la maison rouge… Tous les symboles préférés de Kantor s’y retrouvent. On peut comprendre cette composition comme une parabole du samedi saint. C’est la nuit et le froid de l’hiver : l’attente et l’espérance des disciples se sont effondrées. Les chiens qui tournent en rond, comme les disciples désorientés, désaxés. Et pourtant parmi ces chiens, il en est un différent, à contresens. Dans cette nuit et cette perte de sens, mystérieusement, le Christ est déjà présent, mais les disciples ne le reconnaissent pas encore… Et à l’arrière, se dresse la maison rouge, signe de résistance et d’espérance.
Le troisième temps de l’événement pascal est celui de la résurrection de Jésus. Ce n’est qu’indirectement qu’elle est évoquée par Kantor, dans Procession pascale (2010).
Ce ne sont plus les chiens errants, mais c’est tout un peuple debout, en marche, et qui monte jusque dans le ciel, un peuple réconcilié : église orthodoxe et église catholique. Les chiens ne sont plus errants, abandonnés à eux-mêmes, mais ils participent à la vie et à la joie du peuple ressuscité. Et comme bien souvent dans ses compositions, Kantor s’est représenté lui-même dans la foule, mais aussi son père, décédé, et pourtant vivant parmi les vivants.
La traversée de la mer Rouge (2012), l’une des dernières œuvres de Kantor
Tout un peuple en marche, comme entraîné vers l’avant, à travers la mer, cette mer qui est aussi l’abîme, force du mal qui risque d’engloutir l’humanité. Par ses cris il ne semble pas encore oser croire pleinement à la libération. Mais il est en marche. Peut-être expression de la création qui gémit dans les douleurs d’un enfantement (Rm 8,22). Mais aussi expression de la difficile marche de l’espérance, qui est la nôtre, dans un monde violent, où les forces économiques cyniques et aveugles font tant souffrir et semblent pour beaucoup fermer tout avenir.
“Merci pour ce très beau texte illustré par l’œuvre de M Kantor et que nous avons partagé lors de l’AG NSAE pendant la célébration de la fraternité.
Savez-vous qu’il y a une exposition, dans l’église St Merry à Paris, de nombreuses oeuvres magnifiques de Maxim Kantor dont la tour de Babel et d’autres qui sont intégrées dans ce document !
Demain vendredi 28 avril à 17h30 Maxim Kantor sera là pour présenter ses oeuvres et répondre à nos questions …Auparavant à 14h Ignace Berten interviendra sur le thème “Après le synode sur la famille, comment avançons-nous ?
Curieuse coïncidence mais tellement heureuse….”
Françoise Gaudeul
Ces oeuvres et leurs commentaires nous ouvrent à une belle méditation pour cette semaine sainte qui nous conduit à Pâques, et plus loin, comme le suggère le dernier tableau et le texte qui l’accompagne…
Annie Grazon