Extraits de l’article de Jose Arregi : Une Spiritualité pour vivre avec ou sans religion
Annie Grazon a élaboré cette sélection à destination des membres la commission « NSAE et Évangile », dont elle est l’animatrice. Son objectif est de présenter de façon simple l’article de Jose Arregi et sa richesse et d’inciter à la lecture du texte complet [1].
A : L’urgence de la spiritualité
Il est urgent que l’humanité et chacun de nous redécouvrent la spiritualité pour vivre. La vie est en jeu.
La crise mondiale que nous vivons est au fond une crise spirituelle. Seule, une profonde spiritualité peut sauver notre vie humaine, la vie tout court au niveau planétaire.
Nous avons besoin de spiritualité comme de l’oxygène, de l’eau et du pain.
Nous avons besoin, et aujourd’hui plus que jamais, de libérer l’humanité, le souffle et la compassion, au plus profond de nous, de chacun de nous, de l’espèce humaine.
Il nous est demandé de libérer Dieu, l’Esprit ou la Vie, dans le monde que nous avons créé nous-mêmes, et qui est en train de nous étouffer, d’étouffer dans l’humanité et dans la planète la Vie, le souffle, Dieu. Il faut que cette pauvre et admirable espèce humaine se libère de ses peurs, de ses ambitions de possession, de savoir, de pouvoir, pour engendrer une nouvelle forme plus humaine, plus libre, plus fraternelle, et pour ainsi rendre possible une communauté plus harmonieuse de vie sur la planète. Pour ce faire, il nous faut un bond de spiritualité qui nous apprend à être présents à nous-mêmes, à l’autre, à tous les êtres.
B : Souffle, attention, silence, communion
Voici en cinq mots quelques dimensions fondamentales de la spiritualité :
- La spiritualité est souffle ou répit.
Accueillir et offrir le souffle de vie, c’est ça la spiritualité.
Lorsque la vie devient pure compétition avec nous-mêmes et avec les autres, quand nous vivons haletants et agités dans une course folle, quand les encadrements religieux et culturels solides d’autrefois sont tombés et que nous avons perdu les certitudes, alors, la nécessité de respirer devient de plus en plus évidente. Nous avons besoin de souffle vital : la paix intérieure, la bonté, le bonheur, la sensibilité, la révolte contre l’injustice, la miséricorde envers tout vivant, la proximité et le soin mutuel, la libération de notre égo, tout cela est spiritualité.
- La spiritualité est attention.
L’attention est le point de départ et le cœur de tous les chemins spirituels.
- La spiritualité est silence.
Faire silence est beaucoup plus que se taire, beaucoup plus que faire taire les bruits extérieurs.
Faire silence, c’est faire taire les bruits intérieurs, les idées et les images, les désirs et les peurs, les aspirations et les déceptions, les querelles et les rancunes qui nous recroquevillent nous serrent et nous resserrent.
- La spiritualité est le détachement de l’égo.
Le chemin spirituel est un chemin de détachement, de libération de notre je égoïste avec son agitation constante de représentations mentales.
Libérés de l’égo, la réalité devient transparence et accueil, amplitude et libération, visage et tendresse, disponibilité pure pour le prochain.
- La spiritualité est communion, compassion avec tous les êtres, avec tout ce qui est.
Toute réalité est un réseau infini de relations.
Cet être minime que je suis dans l’univers est absolument unique et en même temps, absolument relié à tout, en tout, avec tout depuis toujours et pour toujours.
C : La spiritualité de la vie
La spiritualité est une façon de regarder, de sentir, d’interagir, un mode de vie.
L’amour de la vie, le vouloir-vivre se manifeste dans tous les êtres vivants. Non seulement ils vivent, mais ils veulent vivre toujours plus pleinement, plus librement, plus fraternellement.
Dans ce monde, avec sa maladie mortelle moderne, la vraie spiritualité consiste à retrouver l’amour de la vie, et par conséquent la vitalité. Le oui sans réserve à la vie, l’amour plein et sans réserve de tout ce qui vit sont les premières expériences de l’Esprit de Dieu.
La spiritualité nous fait percevoir le souffle caché qui soutient l’univers entier.
La spiritualité de la vie est toujours prête au changement et à la nouveauté permanente, comme la vie.
D : Spiritualité pour un temps nouveau
De nombreuses indications montrent que nous vivons aujourd’hui une profonde transformation culturelle, un changement d’époque plutôt qu’une époque de changements. Tout indique que nous sommes au seuil d’une nouvelle ère.
Or toute transformation culturelle amène, à court ou à longue échéance, une transformation religieuse.
Prenons quelques exemples.
Le passage de la culture de chasseurs/cueilleurs à la culture sédentaire de l’agriculture il y a 10.000 ans a entraîné la construction de villages, puis de cités.
La cité impose la spécialisation des professions, l’organisation d’une société complexe, et, au terme, sa hiérarchisation.
Au fur et à mesure que la société se configure de manière plus complexe, il arrive de même avec la vision que nous avons du monde (cosmovision) : le ciel en haut, la terre au milieu, le monde souterrain des morts.
La cité a amené aussi l’invention de l’écriture et la mise par écrit des mythes…
C’est alors que sont nées les religions en tant que systèmes de croyances, de rites et de normes que l’on doit observer ; c’est alors qu’ont été conçus les divinités et les panthéons.
Il y a 5000 ans a été conçu et représenté la figure humaine d’un dieu unique, figure humaine et non pas le Mystère, la Réalité, la Présence de compassion, l’Esprit créateur et consolateur.
Toutes les grandes religions du passé ou du présent sont nées dans des cultures agricoles, avec des patrons fondamentaux en commun, en cohérence à la vision du monde propre à l’époque.
Toutes les religions d’aujourd’hui, depuis les mystiques orientales jusqu’au monothéisme abrahamique, correspondent à l’antique vision agraire du monde : une vision géocentrique, anthropocentrique, hiérarchique et dualiste.
Il y a seulement 200 ans, l’industrialisation, la modernité, les sciences avant tout ont provoqué un changement radical, de plus en plus généralisé, de la vision traditionnelle du monde qui soutient les religions, le christianisme y compris.
Les religions n’ont pas disparu, mais elles ont été profondément secouées et se trouvent, du moins dans notre société façonnée par les sciences, profondément ébranlées. Il est impossible depuis lors de continuer à lire et à comprendre de manière littérale les textes fondateurs. Toutes les résistances des institutions religieuses, aussi fortes soient-elles, devront céder tôt ou tard.
Aujourd’hui, l’information augmente à un degré inimaginable depuis il y a seulement quelques années, et elle circule à une vitesse incroyable.
Un monde millénaire est en train de disparaître, il est en crise. Une nouvelle vision du monde global s’impose sans même qu’on s’en rende compte : Tout est en relation et transformation, en interaction transformatrice.
Et tous ces changements sont insignifiants devant la révolution qui s’annonce : la révolution post-humaine… Nous sommes à la veille de créer un être supérieur, bien plus puissant que nous, Homo Sapiens. Nous ne savons pas encore quelle forme il aura, ce pourrait être. un robot capable de toutes les fonctions humaines, mais à un degré bien plus performant ?
Ce n’est pas pour demain, mais ce n’est pas si loin.
Tout ce qui viendra pourrait entraîner des différences et des esclavages entre humains qui n’ont jamais existé
E : Spiritualité transreligieuse
Pour toutes ces raisons, le monde s’achemine vers la disparition des religions traditionnelles ou du moins vers leur profonde transformation. Est-ce si grave ?
Déjà, autour du VI° siècle av. J.-C., il y eut une époque où, depuis la Chine jusqu’à la Grèce, émergea un puissant mouvement spirituel en rupture avec les différentes religions, cf. Confucius, Laozi, Bouddha.
En Israël, des prophètes comme Osée et Amos, Isaïe et Jérémie se levèrent contre une religion de rites et de mots et ils crièrent à plein gosier « Renvoie libres les opprimés, partage ton pain avec celui qui a faim, et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile… Alors ta lumière poindra comme l’aurore, et la gloire de l’Éternel t’accompagnera. » Is 58, 6-8.
En Grèce, une pléiade de savants combinent la rationalité scientifique avec le regard mystique.
On peut dire que s’amorce ici ou là le dépassement de la vieille religion vers l’éthique et la mystique. On pourrait dire que 2500 après, nous nous trouvons entièrement plongés dans ce courant, mais cette fois-ci, au niveau global et planétaire.
L’avenir n’est pas écrit, mais tout suggère que la diffusion de la même culture scientifique, universitaire aura les mêmes effets de fond partout.
Toutes les religions traditionnelles, mais aussi les nouveaux mouvements spirituels (New Age) impliquent des croyances, mais ces croyances ne sont plus croyables, elles se trouvent en dehors du « croyable disponible » dont parle P. Ricœur, de notre époque.
En plus, ces croyances n’ont jamais été essentielles pour les hommes et les femmes qui approfondissaient la conscience mystique au sein de leur religion.
Il y a des études qui pointent vers la disparition imminente des religions dans les pays développés.
Il ne semble pas que le christianisme et les autres religions aillent disparaître aussitôt, mais il est impossible d’arrêter le processus.
Dans les années 50, 60, 70 du XX° siècle, les théologies de la sécularisation et de la mort de Dieu ont proposé de nouveaux langages possibles pour un temps nouveau, mais ils n’ont été suivis, ni par les théologiens, ni par les institutions catholiques et protestantes.
Bien entendu, le fait que les religions disparaissent ne signifie pas que l’Esprit qui habite dans le fond des êtres et au cœur des communautés va disparaître. Le regard limpide, l’admiration de la beauté, le respect de la vie, la compassion du blessé, l’aspiration de l’infini ne disparaîtront pas.
Dans notre société la plus proche, nous voyons émerger un mouvement puissant de spiritualité laïque, non lié à une institution religieuse quelconque. Une nouvelle spiritualité mystique et écologique, solidaire et égalitaire est en train d’émerger.
Elle peut éventuellement être associée à une religion, mais elle oblige à relire autrement les textes sacrés d’autrefois, pour se laisser inspirer à nouveau, et respirer librement leur souffle.
C’est aussi une spiritualité trans-théiste, c’est-à-dire une spiritualité libérée de toute représentation de Dieu comme entité distincte du monde qui est une image construite par la pensée humaine.
Un Dieu personnage suprême, créateur qui existait avant le monde et qui l’a crée à partir de rien, qui intervient ou reste passif, qui se révèle et se cache, qui fait grâce ou châtie, n’a plus de place dans le « croyable disponible » des hommes ou des femmes occidentales d’aujourd’hui.
Mais, Bonté Heureuse, Tendresse créative, Esprit ou Ruah universelle sont d’autres noms qu’on peut donner à Dieu.
Si nous vivons cela, nous vivons de Dieu, nous faisons vivre Dieu en nous, en tout.
F : Spiritualité de Jésus, avec ou sans religion.
Jésus est un homme particulier, juif galiléen d’il y a 2000 ans, qu’il s’est laissé animer par le Souffle de Vie, le Souffle prophétique.
Ne l’identifions donc avec aucune des formes auxquelles il a été dit ou imaginé.
Nous tournons nos yeux vers lui, et il nous emmène au-delà de lui, vers le mystère universel,vers la création du monde nouveau, dans ce monde.
Jésus ne fut pas chrétien, il ne fonda pas une nouvelle religion, mais il voulut transformer et même transposer la religion juive qui était la sienne, et cela justement pour lui être fidèle, comme les prophètes.
Jésus est l’homme mû par l’Esprit créateur et transformateur, par la Bonté créative et rénovatrice, au-delà de l’histoire, au cœur de l’histoire.
– Jésus a dépassé radicalement la religion quand il a proclamé à la synagogue de Nazareth le Jubilé de la libération Luc 4 18-19
– Il a dépassé largement la religion quand il a déclaré « le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » Marc 2, 27. Le sabbat, toute religion, est fait pour la vie, le critère, c’est la vie de tous les vivants.
– Il a dépassé la religion quand il a relativisé toutes les normes de pureté et de jeûne, quand il a dit « détruisez ce temple » Jn 2,19 et vous anéantissez fort bien la volonté de Dieu pour suivre la tradition humaine » Marc 7,8 Et « ceux qui disent ‘Seigneur, Seigneur’ ne vivent pas le règne de Dieu, mais ceux qui font la volonté de Dieu » Mt 7, 21 Et rappelez-vous et comprenez la parole prophétique : Je prends plaisir à la miséricorde et non aux sacrifices » Mt 12-7
– Jéus a brisé la logique et les fondements de la religion quand il a raconté la parabole du bon Samaritain, Luc 10, 25-37, du pharisien et du publicain, Luc 18, 9-14 et surtout du jugement dernier Mt 25, 35-41
Jésus fut un croyant théiste de son époque, mais il a fracturé les images conventionnelles de Dieu quand il l’a invoqué comme « abba », quand il le contemplait dans la terre, la semence, la pluie, les oiseaux, la levain, le pain du travail, et le vin de la fête. Quand il le reconnaissait dans la femme qui met le levain dans la farine jusqu’à de que la pâte soit levée… Quand il le décrivait comme joie de rencontrer celui ou celle, ou ce qui est perdu Luc 15
Voilà la spiritualité de Jésus, avec religion, ou sans religion, toujours au-delà de la religion.
Note :
[1] Une Spiritualité pour vivre avec ou sans religionOn peut lire aussi :
http://nsae.fr/2017/04/04/spiritualite-transreligieuse/
http://nsae.fr/2017/03/28/spiritualite-pour-un-temps-nouveau/