La présidence équatorienne du G77 : Une opportunité pour le mouvement en faveur de la justice fiscale
Par Jorge Coronado
Depuis le 13 janvier 2017, le gouvernement de l’Équateur assume la Présidence pro tempore du G77 + Chine : groupe qui est sans nul doute le groupe le plus représentatif au sein des Nations Unies. Il réunit la quasi-totalité des pays en voie de développement : au total 134 pays en font partie.
Pour ce qui est de l’Amérique latine, le G77 a déjà été présidé par la camarade Cristina Fernández, Présidente de l’Argentine (2011), le camarade Evo Morales, Président de la Bolivie (2014), et, en 2017, c’est le camarade Rafael Correa, Président actuel de l’Équateur qui en assume la responsabilité.
Ce qui est significatif avec la présidence du G77 par l’Équateur c’est l’agenda international efficient que ce pays a mis en place au cours de ces dernières années, en plaçant au centre du débat international des sujets d’une extrême importance, de portée globale, et particulièrement celui de la régulation et du contrôle du pouvoir mondial des corporations, en mettant l’accent sur la défense des intérêts et des besoins des pays du sud.
Une première initiative a été la création d’un Observatoire du sud concernant les investissements et les multinationales, découlant des Conférences ministérielles des États affectés par les intérêts des multinationales. Un des objectifs fondamentaux de cet Observatoire « la création de mécanismes de coordination et d’échanges d’informations et de connaissances entre les institutions d’État, des cercles de réflexion et des organisations sociales pour l’élaboration d’idées sur la norme internationale en matière d’investissements, la résolution des conflits et le traitement des investissements étrangers [1] ».
Grâce au Réseau latino-américain sur dette, développement et droits (LATINDADD) nous avons soutenu avec beaucoup de force cette initiative car nous la considérons comme une occasion remarquable de mettre en évidence que le système actuel international d’arbitrage entre États et Corporations transnationales est totalement asymétrique au bénéfice du pouvoir corporatif, de même que la norme internationale qui favorise l’investissement étranger dans nos pays nuit fortement aux intérêts des états nationaux et particulièrement des États du Sud.
Cette initiative du gouvernement équatorien de créer cet Observatoire est une occasion qui s’offre à nous, à l’ensemble des mouvements sociaux qui, au cours des années, avons dénoncé l’iniquité du système international de protection des investissements et exprimé le besoin d’une réforme intégrale de ce dernier, au bénéfice des pays et de ses citoyens et non au bénéfice du pouvoir des corporations.
Une autre initiative du gouvernement équatorien, qui a également une répercussion internationale extrêmement importante, a été la création et les travaux de la Commission d’audit intégral des traités d’investissement et du système d’Arbitrage (CAITISA), qui, en quelques mois, est parvenu à décrypter tous les réseaux complexes d’intérêts de groupes de pouvoirs équatoriens et de capitaux étrangers dont le but a été de privilégier des traités et des accords commerciaux et d’investissements qui n’ont bénéficié qu’à des intérêts privés, au détriment du bien commun.
Dans cette même perspective se situe l’initiative du gouvernement équatorien, au sein du Conseil des droits humains de l’ONU, de créer un groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un instrument juridiquement contraignant pour réguler les activités des entreprises transnationales en accord avec le respect des droits humains au niveau international. Sur la base du mouvement social, nous avons créé la Campagne globale contre le pouvoir des corporations qui soutient fortement cette initiative et à laquelle participe LATINDADD. L’existence d’un instrument contraignant de caractère global pour réguler les modes opératoires des multinationales a été une revendication historique du mouvement social international.
La lutte pour un nouvel ordre fiscal international
C’est dans ce contexte d’action internationale décisive de la part du gouvernement équatorien que nous estimons que sa Présidence pro tempore du c + Chine pourra être un moment très important pour consolider la lutte du mouvement global pour la justice fiscale. Essentiellement parce qu’il a fait sienne une demande que nous, les mouvements sociaux, avons formulée depuis longtemps, celle de la création d’un Organe d’imposition intergouvernemental, dans le cadre des Nations unies, qui ait deux missions fondamentales : la mission de réformer le système international de l’impôt et d’avoir principalement une capacité régulatrice contraignante de caractère universel.
Le modèle actuel de gouvernance internationale pour ce qui est du contrôle fiscal, qui privilégie les accords bilatéraux entre pays ou l’établissement de normes, de caractère global, édictées par les pays du Nord, que ce soit par le G20, l’OCDE, l’Union européenne ou les États-Unis, ne fait qu’accentuer l’asymétrie historique Nord/Sud au détriment de nos pays.
Nous envisageons avec optimisme cette présidence du G77 par l’Équateur, surtout après le Séminaire international « Vers un agenda international basé sur les droits et l’égalité : pour la fin des paradis fiscaux et pour un Organisme d’imposition intergouvernemental au sein de l’ONU » que LATINDADD a organisé, avec des organisations internationales et la Chancellerie équatorienne, les 13 et 14 février, dans la ville de Quito.
Au cours de ce séminaire nous avons décidé de « … approfondir l’articulation des organisations de la société civile globale qui luttent pour la justice fiscale et l’État équatorien dans le but d’instaurer une nouvelle gouvernance mondiale en matière de fiscalité, de lutter contre les paradis fiscaux et d’établir un nouvel ordre fiscal international, dans le respect des droits humains, qui bénéficierait prioritairement à la citoyenneté globale et non aux corporations. »
L’action de notre séminaire a été de créer un groupe de travail réunissant les plateformes des organisations sociales qui luttent pour la justice fiscale et le ministère des Affaires étrangères de l’Équateur, dans le but de préparer des actions conjointes au niveau international et de soutenir, en outre, depuis la société civile, les initiatives que lancerait le gouvernement équatorien en sa qualité de Président Pro Tempore du G77.
La consultation populaire en Équateur
On ne peut pas éviter de mentionner l’excellent résultat du référendum ou consultation sur les paradis fiscaux, au cours duquel les citoyens équatoriens ont voté, le 19 février, à plus de 55 % de votes validés, en faveur de ce que tout fonctionnaire public élu ou nommé ne puisse pas détenir des actifs financiers dans des sociétés off shore dans des paradis fiscaux.
Ce résultat donne une légitimité significative au gouvernement équatorien en sa qualité de Président du G77, et nous offre aussi à nous, mouvements sociaux internationaux qui luttons contre les paradis fiscaux, un soutien très important : celui d’un peuple qui a voté massivement pour que soit mis fin à ces instruments de pillage et de vol fiscal dont usent les élites économiques et les multinationales.
Tout semblerait indiquer que cette année 2017 sera très importante pour ceux qui luttent en faveur d’un nouvel ordre international de l’imposition, bien que la puissance du grand capital et de la droite conservatrice, qui ne veulent pas de changements progressifs en matière fiscale ni de changement dans la gouvernance fiscale internationale, aient remporté des succès électoraux partiels en Europe et en Amérique latine, et même fomenté des coups d’État.
Nous conservons notre optimisme en nous basant sur les faits recensés en Équateur, qui nous redynamisent car, grâce à la société civile, nous avons réussi une alliance avec un gouvernement qui est disposé à avancer de façon pragmatique pour défendre l’idée d’une nouvelle gouvernance internationale et qui surtout propose un agenda d’actions destinées à en finir avec l’existence des paradis fiscaux et à contrôler fermement les agissements des multinationales qui s’exercent au détriment de nos communautés, nos peuples et nos États nationaux.
L’heure est arrivée pour nous de lancer un grand mouvement global citoyen destiné à exiger que les grands détenteurs de richesses et de capitaux paient des impôts dans nos pays, à empêcher que ces capitaux en question continuent à échapper au paiement des impôts, à barrer toutes les voies qui mènent à l’existence de paradis fiscaux, à supprimer l’impunité des multinationales, à établir des normes internationales régulatrices, contraignantes pour ces dernières, et à créer une nouvelle gouvernance internationale de l’impôt. Il faut, en un mot, établir une vraie justice fiscale.
Jorge Coronado est un analyste politique costaricain, expert en matière de fiscalité. Il fait actuellement partie du Conseil de direction du Réseau latino-américain sur dette, développement et droits (Latindadd), où il représente la Commission nationale de coordination (Comisión nacional de enlace, Costa Rica).
Article original (espagnol) : http://www.alainet.org/es/articulo/184274.
Article publié dans la revue América Latina en Movimiento, n° 522 – Jusqu’à quand les paradis fiscaux ?
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source : AlterInfos
Notes :
[1] Déclaration de la Deuxième Conférence ministérielle des États victimes des intérêts des multinationales, Caracas, 2014.