Second tour des élections présidentielles
Parmi les très nombreuses publications et appels sur le sujet, nous choisissons ici ces deux articles dans lesquels NSAE se reconnait.
I -À nos amis de gauche qui deviennent fous, 2
Ce texte de Michel Broué nous a été signalé par plusieurs lecteurs, dont Michel Dallaporta qui le commente ainsi : Voilà qui est bien conclu : « je préfère être dans l’opposition sous Macron que sous Le Pen ! ». Avec ça tout est dit.
Croyez un bonhomme de 82 ans qui, enfant, a vu les soldats allemands – aux ordres des nazis – dans les rues de Marseille, a « servi la France » pendant la guerre de Libération de l’Algérie et fait face à des citoyens français sous emprise du racisme, dévastant les droits de l’homme, se souvient de la Grèce sous la botte des Colonels et du courage d’un juste que Costa Gravas nous lègue dans son film Z, des dictatures militaro-fascistes sud-américaines du Salvador au Chili qui emprisonnaient communistes et chrétiens (dixit Don Helder Camara).
Merci à Poutou qui, l’autre soir, à la télé, a fait ce raccourci génial : s’adressant à la représentante de ce parti haineux avec ce seul mot : « Le Pen », pulvérisant la distance prise d’avec son père et rétablissant l’authentique filiation !
Ce dont je rêve serait de faire gagner Macron d’une pichenette… pour qu’il prenne conscience que ce Pays n’est pas conquis et qu’il va lui falloir le convaincre par des actes démocratiques et justes rompant avec sa culture de nanti et de gagnant bien propre sur lui.
Mais ça, on pourra encore descendre dans la rue pour le lui rappeler.
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Ce titre (« À nos amis de gauche qui deviennent fous ») est celui d’un article paru dans Le Monde du 18 avril 2002. Je trouvais « fous » ceux qui se préparaient à disperser leurs voix plutôt que de se concentrer sur le vote Jospin. Aujourd’hui la « folie » dont je parle n’est pas de même nature. On devient fou de déception, fou d’incertitude, voire fou d’inquiétude. Et aussi, fou de devoir encore et encore voter « contre », fou de se demander si « être contre » nécessite ce vote crève-cœur.
Dans mon apostrophe d’aujourd’hui, nulle agressivité, nul jugement. Il y a beaucoup trop d’insultes de toutes parts du côté des adversaires du Front National, trop de procès d’intention, trop de mauvaise foi, trop de coups, trop d’incompréhensions. Ce n’est pas le moment. Le moment est grave.
Je vais essayer de vous expliquer, calmement, le plus clairement possible, pourquoi je pense qu’il FAUT voter contre le Front National. Voter contre, c’est voter « contre », donc mettre un bulletin Macron dans l’urne. C’est en tout cas ce que je vais faire : ce sera sans enthousiasme, et sans « front républicain ». Je ne chanterai pas « Brigitte ! Brigitte ! », je préfèrerais crier « Fraternité, Égalité » et aussi « Démocratie ». Je ne renierai pas ce que j’écrivais en 2002 : « Souvenez-vous : les ordures sont ramassées, le SAMU fonctionne, l’école est gratuite et obligatoire, l’électricité arrive dans tous les foyers. Tout cela est un petit miracle de la civilisation humaine, et l’avenir n’est pas garanti. Il y a des pays où, lorsque quelqu’un tombe dans la rue, on commence par lui faire les poches pour vérifier s’il est solvable… La civilisation est fragile devant la brutalité inhumaine des méthodes des mondialistes libéraux. »
Mais voilà : je préfère être dans l’opposition sous Macron que sous Le Pen. Je ne devrais pas avoir à écrire cela, mes amis, les gens. Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Le Front National est un parti dont l’histoire plonge ses racines dans la collaboration, le nationalisme ringard et nauséabond, le racisme. Quoiqu’ils en disent parfois, quoiqu’ils mentent souvent. La triade « peuple, État, chef ». Les régimes « autoritaires ». Les tortionnaires.
De Le Pen père, on connait quelques déclarations terribles. On ne les connait pas toutes. En 1993, Jean-Marie Le Pen a remercié pour leur action les généraux argentins dont la dictature militaire, de 1976 à 1983, a fait près de 10.000 tués et disparus.Auparavant il avait dit « son respect et sa sympathie pour Franco », et à sa mort avait précisé qu’il était « l’un des chefs d’état les plus remarquables du monde ». De l’épouvante chilienne, il a déclaré : « Pinochet et l’armée chilienne ont sauvé leur pays ».
Mais si Le Pen père est un chaînon, un lien essentiel entre l’extrême-droite, les fascismes d’autrefois et le Front National d’aujourd’hui, il n’y a pas que lui. Les références cachées, les nostalgies actives des militants du Front National d’aujourd’hui ont été décrites, documentées, par des journalistes courageux, par des enquêteurs précis — elles sont positivement effrayantes, comme l’est l’entourage proche de Marine Le Pen, comprenant des anciens « rats noirs » du GUD et des amis de Bachar El Assad. Elle « n’a pas l’air » d’extrême-droite ? Ses amis, son histoire, ses références, son parti et ses cadres le sont pour elle.
L’historien Zeev Sternhell recommande de dégager le dénominateur commun des mouvements se réclamant du fascisme, mais aussi de ceux qui, tout en déclinant la référence, font bel et bien partie de la famille. La concordance d’une solution autoritaire, d’une mise en avant du nationalisme et de la xénophobie, du recours à une personnalité providentielle adossé à des mouvements de masse capables de mobiliser les perdus et les exclus pour les dresser les uns contre les autres, voilà des éléments communs à tous les fascismes.
Notre histoire récente est marquée par un énorme basculement mondial vers de nouvelles formes brutalisantes, à tendances dictatoriales, en Hongrie, en Pologne, en Inde, en Turquie, en Russie. Alors je cite ceci, tout particulièrement pour Jean-Luc Mélenchon et sa magnifique campagne : « Dans la lutte contre le fascisme, nous sommes prêts à faire un front unique avec le diable et sa grand-mère » — Trotsky, en 1931 pressentait le danger. Je ne crois pas que les authentiques démocrates français soient le diable, ni même sa grand-mère.
Oui, « la civilisation est fragile devant la brutalité inhumaine des méthodes des mondialistes libéraux, » eh oui, cinq ans de plus de cette politique peuvent encore aggraver les dégâts, jusqu’à rendre inéluctable l’arrivée des brutes au pouvoir. Oui, violence, celle faite aux 9 millions de Français qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Mais voyons : est-ce une raison pour hâter la catastrophe et permettre au Front National d’arriver au pouvoir plus vite — soit en le laissant élire maintenant, soit en le laissant atteindre un score élevé ? Je ne comprends pas la logique de ce « raisonnement », et je ne la comprends pas parce que ce raisonnement n’en est pas un : il est juste un cri de colère — mais un cri dangereux.
Et, pardonnez-moi les amis, il est stupide. Car dans ce que j’ai rappelé au sujet des brutes, il manque ceci : ils se présentent toujours comme « sociaux », exprimant les besoins des déshérités. Les national-socialistes. Qui soutenaient la grève des traminots de Berlin en 1932. Ils mentaient, ils mentent. Monumentalement. Terriblement. En Amérique Latine, Le Pen père mettait en garde contre « le mondialisme, un danger de l’humanité », et affirmait que « cette idéologie matérialiste et économiste » était « une nouvelle religion » qui prétendait « établir un gouvernement mondial sur la ruine des nations ». Les mouvements fascistes sont capables d’une grande souplesse tactique, pour ne pas dire de contorsions étonnantes. Quand Marine Le Pen soutient Syriza en Grèce contre « le totalitarisme de l’Union européenne et de ses complices, les marchés financiers », cela provoque une certaine stupeur au sein même des troupes frontistes.
Et Donald Trump ? Trump le milliardaire à bobards, ne s’est-il pas présenté comme social, le Président des petites gens ? Avant de s’acharner à priver de soins médicaux des millions de petites gens, avant d’engranger (hier) une réforme des impôts « tout pour les riches » — et souvenez-vous de la piteuse attente de Marine Le Pen dans la Trump Tower…
En ce qui me concerne, et m’appuyant sur l’Histoire, je pense que l’arrivée au pouvoir des brutes serait bien plus terrible encore que ce que nous avons subi. Et, oui, je pense que Le Pen est pire, bien pire, que Macron. C’est pourquoi tout comportement politique aboutissant à accélérer la venue au pouvoir du Front National est une catastrophe. Nous avons besoin d’espace, politique, démocratique, pour nous défendre, nous reconstruire, nous réunir enfin. Mon vote du 7 mai répondra aussi à la question : « Quel résultat de ce vote nous permettra demain de mener au mieux (au moins pire) la bataille indispensable ? »
Là encore, une si terrible et si juste prédiction de 1931 : « Si le fascisme arrive au pouvoir, il passera comme un tank effroyable, sur vos crânes et vos échines. »
Source : https://blogs.mediapart.fr/michel-broue/blog/260417/nos-amis-de-gauche-qui-deviennent-fous-2
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II -Emmanuel Macron devrait peut-être écouter les perdants de sa « mondialisation heureuse »
par Maxime Combes (Basta !)
Emmanuel Macron semble foncer tête baissée dans le piège tendu par Marine Le Pen et le FN. Par son attitude pleine de dédain envers les laissés-pour-compte de la « mondialisation heureuse », rien n’indique qu’il ait saisi l’ampleur du problème. En continuant de considérer les 39 millions d’électeurs inscrits qui n’ont pas voté pour lui comme de simples variables d’ajustement, le candidat d’En marche risque de s’exposer à d’énormes désillusions au soir du 7 mai.
C’est désormais clair. Marine Le Pen et ses porte-paroles le répètent en boucle. Ils souhaitent transformer le second tour de la présidentielle en un référendum pour ou contre la mondialisation. Pour ou contre l’Union européenne. Pour ou contre la libéralisation de l’économie et la dérégulation des droits sociaux. Convaincus qu’ils ont ainsi la possibilité d’attirer une majorité d’électeurs à eux, ils font d’Emmanuel Macron l’archétype de cet épouvantail dressé à gros traits.
Le piège est tendu. Il est si visible qu’il serait aisé de l’éviter. Et pourtant tout laisse à penser qu’Emmanuel Macron – et les commentateurs de la vie politique – pourraient y sauter à pieds joints, rendant possible, in fine, l’élection de Marine Le Pen. Il y a d’abord l’image de l’ex-banquier auprès de l’opinion. Une image qui se rapproche du portrait dressé par les lepénistes. Une image un peu plus altérée encore par la suffisance affichée dimanche soir, entre un discours raté et une fête fâcheuse.
La recette parfaite pour tomber dans le piège du FN
Plus important, et tout aussi révélateur, le programme du candidat, d’inspiration néolibérale, par lequel l’ex-ministre de François Hollande s’engage à libérer l’économie « des carcans et des blocages » pour que ceux qui innovent et veulent être milliardaires croquent à pleines dents dans « la mondialisation heureuse ». Vouloir dérèglementer la finance, réduire l’imposition des actionnaires, sabrer dans les services publics et les effectifs des fonctionnaires, abaisser les protections sociales, le tout au nom de la compétitivité des entreprises, voilà la recette parfaite pour être pris dans les griffes du piège tendu par le FN sans avoir la clef pour en sortir.
Au repli national-identitaire de Le Pen, Macron opposera l’idée – qui n’en est pas une – selon laquelle il n’y a point d’alternative à la globalisation économique et financière et qu’il vaut mieux l’accompagner – et l’encourager – pour que croissance et prospérité des plus riches conduisent à l’amélioration de la situation du plus grand nombre. Qu’importe que plus personne ne croie à ces légendes, pas même le FMI qui les a promues pendant des décennies. C’est pourtant le logiciel du programme économique d’Emmanuel Macron et rien ne dit qu’il en changera d’ici au second tour.
Nationalisme et libéralisme se nourrissent l’un l’autre
Bon nombre de commentateurs politiques iront en ce sens, expliquant qu’il faut défendre le libéralisme économique face au nationalisme d’extrême-droite. Foutaises. On le sait. Cette dichotomie est largement factice, comme l’explique le politologue Jean-François Bayart dans son dernier essai (lire notre entretien). Loin d’être antagoniques, les deux fonctionnent ensemble, se nourrissent l’un l’autre, enfermant nos sociétés dans une impasse : « Le nationalisme pour les pauvres et le libéralisme pour les riches ».
Selon les instituts de sondage, les électeurs de Macron sont pour beaucoup des cadres, fortement diplômés, bien insérés dans la vie active, disposant d’une rémunération conséquente et connectés à toutes les opportunités qu’offrent les grandes agglomérations et les banlieues aisées. L’avenir s’offre à eux : positiver est leur leitmotiv. La mondialisation ne leur fait pas peur : ils en sont les gagnants, profitant d’une certaine douceur de l’existence qui leur permet de se projeter sans craindre pour leur avenir et celui de leurs proches. C’est à eux qu’Emmanuel Macron s’est adressé en priorité dans sa campagne. Quitte à ce que le candidat, comme sur France 2 jeudi dernier, passe l’essentiel de son temps sur la fiscalité des successions et sur les startupers de demain.
39 millions d’inscrits n’ont pas voté pour Macron
Si les marchés boursiers ont salué son accession au second tour, il est pourtant peu probable que l’addition des votes des boursicoteurs et des gagnants de la mondialisation suffit à faire 50,1 % des voix le 7 mai. Un chiffre l’exprime avec clarté : 39 millions d’inscrits sur les listes électorales n’ont pas voté pour Macron. Parmi eux, qu’ils aient voté ou pas, on trouve la diversité de la population française : des gens qui triment dans leur travail – ou simplement pour en trouver un – mal payés, à la merci d’une boîte qui ferme ou d’un accident de la vie, et qui ne voient pas comment leur situation – et celle de leurs proches – pourrait s’améliorer à court-terme.
Le Brexit, l’élection de Trump, les résultats de ce premier tour, tout indique qu’il ne faut pas les ignorer. Qu’il faudrait au contraire répondre avec précision à leurs difficultés et à leurs besoins. Mieux encore : qu’il faudrait enfin reconnaître que la mondialisation ne fait pas que des gagnants, et que les dommages qu’elle cause – tant sur les hommes et les femmes, que sur le climat et la nature – ne sont pas soutenables et ne doivent plus être acceptés. Par son histoire et ses votes, y compris les plus récents, le FN a toujours démontré qu’il se souciait peu du sort des petites gens. Quel message Emmanuel Macron va-t-il leur envoyer ?
Ne plus perdre son temps à commenter les consignes de votes
La montée des inégalités, de la précarité, de la désespérance sociale, et simultanément l’accélération du réchauffement climatique et de la perte de biodiversité, ne sont pas de simples conséquences négatives d’une économie de marché qu’il faudrait continuer à libéraliser. Résultat de la globalisation économique et financière, elles minent nos sociétés et hypothèquent notre avenir, fournissant le terreau sur lequel prospère la vaste escroquerie lepéniste.
A ce jour, malheureusement, rien n’indique qu’Emmanuel Macron ait saisi l’ampleur du problème et du piège que lui tend Marine Le Pen. Il a le choix : continuer à appeler à un vote d’adhésion sur son programme néolibéral au risque d’énormes désillusions au soir du 7 mai. Ou entendre les perdants de la mondialisation, dont une grande partie serait prête à faire barrage à Le Pen, à condition que le candidat d’En marche ne les considère plus comme une simple variable d’ajustement. Rien n’est moins sûr. C’est pourtant le sujet dont il faudrait débattre en urgence, avant le second tour, plutôt que perdre son temps à commenter les consignes de votes et des ralliements plus ou moins spectaculaires.
Source : https://www.bastamag.net/Emmanuel-Macron-devrait-peut-etre-ecouter-les-perdants-de-sa-mondialisation
Lire aussi :
• http://www.lacimade.org/election-presidentielle-appel-a-une-vigilance-citoyenne/
• https://www.bastamag.net/Pincon-Charlot-Emmanuel-Macron-est-un-extraordinaire-porte-parole-de-l