La crise de la démocratie et le néolibéralisme
Par Emir Sader
L’une des questions qui s’est le plus rapidement mondialisée a été la crise de la démocratie. En Europe, la stabilité des systèmes politiques centrés sur l’existence de deux partis – les socio-démocrates et les conservateurs – était un motif de fierté ; l’application des politiques d’austérité a provoqué la perte de légitimité de ces systèmes. A partir du moment où les deux partis ont adhéré à ces politiques économiques antisociales, ils sont rentrés en crise accélérée, ont perdu des électeurs et aggravé le désintérêt pour les élections, puisque qu’ils proposaient des politiques similaires. De nouvelles alternatives surgissent désormais aussi bien à l’extrême droite qu’au sein de la gauche. Elles viennent mettre en difficulté ces systèmes, à droite en promouvant des systèmes autoritaires, à gauche en cherchant l’élargissement et le renouveau de la démocratie.
Avec le Brexit et l’élection de Donald Trump, la crise des démocraties a fait un saut en avant. Au Royaume-Uni, les deux partis traditionnels ont été battus lors de cette consultation, cruciale pour le futur du pays et de l’Europe, qui a approuvé majoritairement la sortie de l’Union européenne. Ce qui montre bien que ces deux partis n’ont pas compris le malaise vécu par une grande partie de la population, en particulier au sein de larges secteurs des classes populaires, face aux effets négatifs de la mondialisation néolibérale. Les travailleurs, électeurs traditionnels du Parti travailliste, ont massivement voté pour le Brexit, contre la décision du parti, et ont déterminé le résultat du vote.
Aux États-Unis, le candidat « outsider » a réussi à remporter l’élection en défiant non seulement le Parti démocrate, mais aussi les grands médias et les dirigeants de son propre parti. La victoire de Trump constitue une défaite des deux partis en tant que représentants de la volonté organisée des Américains.
La démocratie traditionnelle se noie un peu partout. Les partis traditionnels perdent rapidement leurs soutiens, les gens s’intéressent chaque fois moins à la politique, les électeurs s’abstiennent de plus en plus, les systèmes politiques entrent en crise et ne représentent plus la société. C’est bien la démocratie libérale, celle qui s’est d’ailleurs approprié le terme « démocratie », qui entre en crise, impactée par la perte de légitimité de gouvernements ayant fait leurs les projets antisociaux et le néolibéralisme et qui sont corrompus par le pouvoir de l’argent. Pouvoir qui envahit toute la société, y compris la politique tout entière.
En Amérique latine, deux pays avaient consolidé leurs systèmes politiques grâce à des gouvernements animés par des dirigeants légitimés populairement, l’Argentine et le Brésil. Il se trouve maintenant que le gouvernement argentin perd l’appui populaire et que celui du Brésil ne l’a jamais obtenu. Ces gouvernements mettent en pratique des programmes d’ajustements fiscaux et salariaux qui accentuent leur crise de légitimité et, in fine, celle des systèmes politiques eux-mêmes.
Le principe de base du néolibéralisme, qui est de tout transformer en marchandise, est entré en force dans la vie politique par le biais du financement privé des campagnes et l’utilisation de méthodes du marketing et de publicité pour « vendre », à coup des millions, la politique comme n’importe quelle autre marchandise. Par ailleurs, les dirigeants des exécutifs gouvernementaux, issus très nombreux du secteur privé, rapprochent de plus en plus l’administration de la chose publique de la gestion des entreprises.
L’ère néolibérale va donc de pair avec l’épuisement des démocraties libérales. Les institutions qui leur donnaient leur légitimité – parlements comptant des représentants issus des classes populaires, partis politiques clivés idéologiquement, centrales syndicales et syndicats forts, dirigeants portant des projets politiques divers, médias proposant un espace relativement ouvert au débat – se sont vidées de leur substance. Elles ont laissé le système politique et les gouvernements sans base d’appui. Le discrédit de la politique est la conséquence directe de l’amoindrissement des États et de la centralité du marché dans toutes les sphères de la société.
La crise des démocraties est devenue un phénomène qui se répand des États-Unis à l’Amérique latine, en passant par l’Europe et l’Asie. Il n’est plus question de revendiquer ce système épuisé, mais plutôt de construire des formes alternatives pour l’État, pour les systèmes politiques et pour la représentation politique de toutes les forces sociales.
Source : http://www.alainet.org/es/articulo/184394
Traduction : Rosa Gutierrez http://www.medelu.org/La-crise-de-la-democratie-et-le
Dans le projet de refondation de la social-démocratie que je propose l’ordre est Monde puis Europe (le projet européen est dicté par le projet de société mondiale à construire).
Une précision concernant ce projet ; je parle du projet réformiste de seconde modernité de la conjonction. Il se distingue du projet révolutionnaire de seconde modernité de l’alternative.
A) Le projet réformiste de seconde modernité de la conjonction, vise une société mondiale comme Union de Nations à monnaie commune et Droit commun (principes), mais sans État commun. Il relève d’une seconde modernité de la conjonction parce qu’il repose sur la conjonction de la priorité du juste et de la priorité du bien (comme mode de justification pratiqué) ; les règles justes sont celles qui peuvent être justifiées des deux façons et par la priorité du juste et par la priorité du bien, en excluant les règles qui ne sont justifiées que par la priorité du juste ou que par la priorité du bien ;
un exemple : la règle selon laquelle les actionnaires sont les seuls à avoir le pouvoir de contrôler la direction d’une firme managériale n’est justifiée qu’en priorité du juste ;
autre exemple : L’État est en droit d’obliger les banques monétaires à souscrire des bons en compte courant (règle à fixer en proportion des DAV (Dépôts À Vue) collectés) parce que les banques monétaires bénéficient de « préteur en dernier recours de la banque centrale » (autrement dit les banques monétaires bénéficient du droit de créer monnaie) ; cette règle me parait tout à fait justifiable en « priorité du juste » et en « priorité du bien » ;
autre exemple : la règle selon laquelle les salariés doivent être associés à la direction de l’entreprise n’est justifiable qu’en priorité du bien.
B) Le projet révolutionnaire de seconde modernité de l’alternative vise une société mondiale dont la structure est celle d’une nation de première modernité (une monnaie unique, un Droit unique et un État mondial). Il est dit « de l’alternative” parce qu’il ne repose comme mode de justification que sur la seule « priorité du bien ».
Bernard Billaudot (Forum d’Alternatives Économiques)