CINQUANTE ANS D’OCCUPATION – QUEL AVENIR ?
Par Naim Ateek, Président du Bureau de Sabeel, Jérusalem
Ce 5 juin 2017, les Palestiniens, partout dans le monde, veulent commémorer les cinquante ans de l’occupation de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et de la Bande de Gaza. Les Palestiniens se rappellent ce que fut la deuxième étape de la Nakba (catastrophe) pour la Palestine, il y a cinquante ans, avec la conquête de l’ensemble de la Palestine par Israël.
En considérant les soixante-neuf années écoulées depuis la Nakba, on peut noter l’expansion progressive de l’Israël sioniste. Israël ressemble à un bulldozer défonçant la Palestine, et s’en emparant peu à peu. En réalité, une des principales raisons de l’impossibilité de parvenir à une éventuelle solution du conflit est qu’Israël ne s’est jamais contenté de ce qu’il avait de la Palestine, et qu’il a toujours eu envie de plus. Israël a toujours eu faim de plus de territoire. Il a toujours trouvé comment manœuvrer avec les exigences de la paix, et de la contrecarrer. Il a toujours trouvé les moyens trompeurs d’en faire porter la faute aux Palestiniens. Il a voulu le pays sans sa population autochtone.
Il y a quelques parcelles de la Palestine qu’Israël convoite encore. En réalité, l’objectif final du Sionisme religieux n’a pas encore été atteint. Le cœur de Jérusalem n’est pas encore totalement entre les mains d’Israël. Ils cherchent le moment opportun de s’en accaparer. Israël ressemble à un tigre affamé attendant le bon moment pour bondir sur sa proie et la dévorer. Sa cible est le secteur d’Haram qu’Israël appelle « la Montagne du Temple ». Ces fanatiques juifs sionistes religieux guettent avec impatience le meilleur lot de tout l’ensemble.
Du point de vue palestinien, le Sionisme a deux sales aspects. Le premier fut celui du Sionisme séculier. Il a dépouillé les Palestiniens de 78 % de leur pays. Durant les années 1970 et suivantes, il a été remplacé par un autre aspect plus sale encore ; celui du Sionisme religieux, qui a occupé les 22 % restant. Le Sionisme religieux a dépouillé les Palestiniens du reste de la Palestine. Il est probable qu’en installant un contrôle sur tout le pays, le Sionisme religieux se retourne ensuite contre l’idéologie sioniste séculière, et qu’il la remplace par la loi religieuse juive (la Halakha). Si cela devait arriver un jour, bien des éléments de la démocratie israélienne s’évaporeraient, et l’État d’Israël deviendrait, selon son nom, un État juif sans différence avec plusieurs de ses États voisins qu’il critique actuellement, où la religion a la main sur tout.
Ces propos peuvent passer aujourd’hui pour une vision pessimiste et négative de l’avenir, mais si une religion (quelle qu’elle soit) s’empare du pouvoir politique, il n’y a alors plus de place pour la démocratie, pour l’égalité devant la loi, ou pour le respect des autres. Ceci peut sembler farfelu, mais il faut entendre le Vice-Président de la Knesset (le Parlement), Betzalel Smotrich, membre du parti du Foyer juif, qui a intitulé son programme politique « Plan d’Assujetissement » (cf. Haaretz, 16 mai 2017). Selon son programme, « les Palestiniens se verront proposer un triple choix : quitter le pays ; vivre en Israël avec le statut de “Résidents étrangers”, parce que (…) selon la loi juive, il doit toujours y avoir une certaine infériorité ; ou bien résister, et alors l’armée israélienne (Ndt. l’IDF) saura ce qu’elle devra faire. » Smotrich s’est inspiré du Midrash du livre de Josué où Dieu avait ordonné aux anciens israélites d’anéantir la population autochtone de Jéricho. C’est la solution finale de Smotrich.
Cet aspect du Sionisme est devenu toujours plus sale et plus effrayant avec le temps. Le gouvernement d’Israël a cru pouvoir le cacher aux chrétiens occidentaux et même aux juifs d’Occident. Mais il devient toujours plus manifeste pour un plus grand nombre de personnes.
L’unification israélienne de Jérusalem est une farce. Israël a certes conquis Jérusalem-Est, mais il n’a pas été capable de l’unifier. La population palestinienne refuse de l’accepter. C’est un territoire occupé. La plupart des Israéliens ne s’y rendent pas à pied. La plupart des taxis israéliens refusent d’y aller. Les ambulances israéliennes même n’y vont pas sans escorte militaire. En dépit de la judaïsation de la ville entreprise par Israël, c’est encore largement une ville palestinienne.
Quels sont les défis majeurs ?
Il est important de prendre conscience que le combat pour la justice va prendre un temps beaucoup plus long que prévu, et qu’il demandera beaucoup plus d’effort. Il est improbable que les Nations-Unies, les États-Unis, l’Union européenne, la Ligue arabe, ou une quelconque organisation locale ou internationale aient la volonté ou le pouvoir de résoudre le conflit. Les Palestiniens sont devenus des victimes, et ils ont été sacrifiés pour que l’Ouest puisse racheter son péché d’antisémitisme. Israël, avec son occupation, a été soutenu militairement et économiquement par les pays occidentaux qui continuent à le défendre politiquement sans s’intéresser à ses violations des droits humains et du droit international.
Notre peuple palestinien a besoin d’investir dans un pouvoir alternatif qu’Israël ne possède pas. Soit le pouvoir de la non-violence. Nous avons besoin de construire une culture de paix et de non-violence. Tous les jours, des manifestations non violentes de masse devraient se produire dans tout le pays, jusqu’à ce que la communauté internationale commence à nouveau à entendre le cri des Palestiniens. Notre peuple a besoin de découvrir et de croire en l’étonnant pouvoir de la non-violence. Israël a construit son État sur la puissance de la violence. Nous devons construire notre État sur la puissance de la paix et de la non-violence. La non-violence peut prendre beaucoup de formes, telles que les pressions politiques ou économiques, parce qu’Israël ne cessera pas son occupation jusqu’à ce qu’elle lui coûte cher. Aujourd’hui, elle est rentable.
Pour les Églises locales et internationales : la justice et la paix sont du domaine de l’Église. Jésus fut un vrai politique, lorsqu’il dit : “Heureux sont les ouvriers de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu.” Faire la paix est une œuvre essentielle pour l’Église. Si son clergé (NDT ses ministres) ne s’engage pas, une dimension importante de son ministère fait défaut. La voix prophétique des dirigeants d’Église doit se faire entendre. Elle doit s’appuyer sur une claire stratégie de non-violence et de courage.
Nous avons besoin du peuple juif : le conflit Palestine-Israël est certes un conflit entre l’Israël sioniste et les Palestiniens. Mais c’est aussi un conflit entre la justice et l’injustice, entre le droit international et les idéologies tribales et nationalistes. Un nombre croissant de Juifs a pris conscience de la justice due aux Palestiniens, sur la base des résolutions des Nations-Unies et du droit international. Nous les encourageons à intensifier leur combat contre l’injustice et l’oppression. Ils peuvent faire beaucoup plus. Nous avons besoin de leur aide.
Il ne peut jamais y avoir de paix sans justice, et la justice ne mourra pas tant qu’il y aura des gens qui y aspirent, qui travaillent pour elle, et qui se sacrifient pour elle. Vraiment, il est temps pour les Palestiniens qui n’ont pas la possibilité de se rendre à Jérusalem d’adopter le mot d’ordre de nos cousins, “L’année prochaine, à Jérusalem.” Notre peuple doit continuer à vivre dans l’espoir de la libération et de la paix, en se souvenant de ces mots de l’apôtre Paul : « [nous savons] que la souffrance produit la patience, la patience produit la résistance à l’épreuve, et la résistance l’espérance. Cette espérance ne nous déçoit pas, car Dieu a versé son amour dans nos cœurs par le Saint-Esprit qu’il nous a donné » (Romains 5, 3-5).
Traduction par Gilbert Charbonnier