« Arts et Développement » : 25 ans de présence dans les quartiers à Marseille
Par Jacques Bonnadier et Michel Dallaporta
Les ateliers de peinture de rue pour les enfants organisés par l’association “Arts et Développement” ont été exposés et commentés au cours d’une grande rencontre à « La Villa Méditerranée ».
Recensée récemment parmi « les initiatives porteuses de sens » sur le territoire de la métropole marseillaise [1], l’association « Arts et Développement » a été créée il y a vingt-cinq ans pour mettre l’art au cœur de l’activité sociale en allant chaque semaine à la rencontre des enfants des quartiers « prioritaires » et pour leur proposer, au pied même des immeubles de leurs cités, une pratique créative originale : un atelier hebdomadaire de peinture de rue, gratuit et ouvert à tous (y compris aux parents), organisé avec le concours d’un artiste et d’un petit groupe d’animateurs et accompagnateurs bénévoles. Quarante-cinq ateliers se déploient aujourd’hui dans les quartiers, principalement à Marseille, La Ciotat, Marignane, mais aussi à Toulon, à Lyon, à Chambéry… ; ils accueillent annuellement plus de 9000 enfants.
Quels liens peut-on mettre en évidence entre pratique artistique et développement social ? Entre pratique artistique dans l’espace public et cohésion sociale ? C’est autour de ces questions qu’« Arts et Développement » a réuni le 19 mai dernier à la Villa Méditerranée, à Marseille, une grande rencontre constituée de témoignages d’artistes, de responsables et de bénévoles d’associations, d’enseignants, d’habitants de quartiers… ainsi que de deux « tables rondes » avec de « grands témoins » : bailleurs HLM, représentants des habitants, d’institutions et de collectivités territoriales. Ces six heures de prises de parole très denses, très riches, très diverses, suivies par quelque deux cents personnes, ont été complétées de la visite d’une exposition magnifique dans l’agora de la Villa : « 25 œuvres d’art revisitées par les enfants des ateliers de rue » réunissant des propositions orginales, d’après Magritte, Van Gogh, Warhol, Niki de Saint-Phale, Matisse, Klein, Arcimboldo, Murakami, Aaron Douglas [2] et quelques autres… ; un témoignage très apprécié de la créativité des enfants des ateliers de rue dans l’un des « temples » de la « capitale européenne de la culture 2013 ».
Une relation de confiance
On ne résume pas une telle journée, mais l’on peut en retenir quelques formules bien senties. D’abord celles de partenaires de l’association qui soulignent la pertinence de l’action d’« Arts et Développement » dans les quartiers. « Pas de condescendance ! On la remarque, la condescendance, dans les quartiers ; on n’est pas idiot ! Mais une relation de confiance » (…) « Il faut écouter les jeunes d’Arts et Développement : il y a là un nouveau monde qui commence ! Et faire confiance aux artistes qui s’engagent auprès d’eux ! » (…) « C’est un arc-en-ciel qui rayonne chaque semaine sur notre quartier ! Quelque chose de formidable. Ce n’est pas que de la peinture ! Il y a un partage ! Il y a beaucoup de choses vraiment fortes qui se passent ; et ça va rester gravé dans la tête des enfants ! » (…) « Un artiste qui arrive là, ça bouscule l’ordre établi ! Avec lui, les enfants deviennent non seulement acteurs, mais auteurs de leur vie » (…) « Par votre fidélité, votre régularité, vous gagnez en légitimité ! Vous faites germer l’espoir et à travers votre regard, les enfants sont encore valorisés ! »
On a beaucoup parlé, beaucoup échangé sur les expériences et pratiques créatives diverses mises en œuvre dans les quartiers, sur cette « création partagée », notamment à travers des témoignages de plasticiens, de gens de théâtre ; on a mis en évidence « l’excellente interface que représente « Arts et Développement » entre les deux mondes différents (et parfois opposés) que constituent les travailleurs sociaux et les « cultureux », et souligné au passage l’heureuse transmission de sept sites par l’association aux centres sociaux eux-mêmes.
Les bailleurs ont été interpellés. Certains complices de la première heure, d’autres sollicités ensuite, tous ont soutenu et soutiennent encore fidèlement l’association, soucieux cependant, a dit l’un d’eux, de « s’améliorer en permanence ». Quant au Mucem, établissement phare dans le paysage culturel marseillais, son directeur Jean-François Chougnet, venu en voisin attentif, a cité des exemples de ses initiatives partagées avec des habitants des quartiers via les centres sociaux, les établissements d’éducation, soulignant aussi le caractère « traversant, ouvert, non intimidant » de son Musée dont le rôle est de « collecter pour conserver et de conserver pour transmettre ». « Arts et Développement » organise d’ailleurs elle-même pour les enfants des quartiers des visites dans des lieux culturels et patrimoniaux de la ville.
Quelques légitimes revendications se sont aussi élevées, notamment celle, radicale, concernant une suppression de « la Politique de la ville » dans les « quartiers pauvres » : « Il faut que le droit commun s’applique au financement de nos quartiers, que ceux-ci soient intégrés à la ville » !
Au moment des conclusions, le fondateur de l’association, Loïc Chevrant-Breton a repris à son compte une comparaison entendue dans la journée à propos de la grande bache que les animateurs des ateliers étendent sur le sol pour que les enfants s’y installent et y peignent à loisir. « La bache, c’est une table ; et comme une table, c’est le lieu de la rencontre et du partage ».
Patrice Boulan, l’actuel président d’Arts et Développement a enfin résumé en trois propositions les objectifs de l’association : renforcer les actions concrètes avec les partenaires de terrain, accroître les passerelles avec les institutions et œuvrer avec elles en vue… d’un « financement un peu plus durable ». Et plaidant pour la création dans tous ses aspects, il a conclu par un mot d’Albert Camus :
« Créer, c’est donner forme à son destin ».
[1] in « La sauvegarde de notre maison commune ; territoire du diocèse de Marseille – Pour une écologie intégrale », de Philippe Langevin. Publication du Secrétariat social de Marseille-Centre chrétien de réflexion et du Comité diocésain économique et social de Marseille. Mars 2017.
[2] « The Creation », de Aaron Douglas « revisitée » par les enfants de l’atelier de rue « Moulin du mai » (3e arrondissement de Marseille). Voir ci-après.Trois exemples d’œuvres réalisées par des ateliers d’Arts et Développement faisant partie de la Collection des 25 œuvres revisitées par les enfants des Quartiers de Marseille et d’autres villes.
1 – Aaron Douglas : The creation
2 – René Magritte : La Décalcomanie
3 -Eugène Delacroix : La liberté guidant le peuple
On peut lire aussi : http://nsae.fr/2014/01/31/experiences-de-rencontre-avec-lautre/