Le Défenseur des droits dénonce une nouvelle fois les conditions de vie inhumaines que subissent les exilés à Calais
Très préoccupé par les faits portés à sa connaissance, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a demandé à ses services de se rendre sur place lundi 12 juin 2017. A cette occasion, ses agents se sont longuement entretenus avec de nombreux exilés et les associations leur venant en aide.
Le Défenseur des droits demande dès à présent que soit mis un terme aux atteintes aux droits fondamentaux les plus élémentaires dont sont victimes les exilés, notamment les mineurs, et qui demeurent à ce jour sans précédent.
Des atteintes aux droits fondamentaux d’une exceptionnelle et inédite gravité
La volonté de ne plus voir de migrants à Calais conduit à ce que plus aucun abri ne soit toléré : les personnes – entre 500 et 600 selon plusieurs informations croisées – dont des mineurs, dorment à même le sol, quelles que soient les conditions climatiques, parfois avec un sac de couchage donné par les associations. Ils disent être traqués jour et nuit dans plusieurs sous-bois de la ville. Les migrants ne peuvent dès lors plus dormir, ni même se poser ou se reposer et restent constamment sur le qui-vive. Ils sont visiblement dans un état d’épuisement physique et mental.
Tous les points d’eau ayant été supprimés, les migrants ne peuvent pas se laver, ni même boire. Se laver et boire de l’eau est leur principale demande.
Alors que Tribunal administratif de Lille a considéré le 22 mars 2017 que l’interdiction de distribution de repas par les associations était constitutive d’un traitement inhumain ou dégradant, une seule distribution associative est tolérée le soir, pendant une heure, ce qui ne permet pas de nourrir tous ceux qui le souhaiteraient. Les autres sont empêchées par les forces de l’ordre, au motif de « consignes préfectorales » quel que soit le public concerné (familles, jeunes enfants). Une association procède à des distributions itinérantes, cherchant ainsi à accéder aux exilés qui n’osent plus se rendre sur les lieux de distribution, de peur de se faire interpeller. Depuis une semaine, parce qu’un prêtre s’est ouvertement opposé à la présence policière sur le parvis de son église, une distribution peut y avoir lieu tous les midis.
Un impact particulier sur les femmes et les enfants
Les femmes, qui ne bénéficient plus d’aucune structure dédiée depuis le démantèlement du Centre Jules Ferry, sont susceptibles de faire l’objet de viol et d’exploitation sexuelle. Certaines femmes ont des nourrissons et plusieurs bébés sont à naître dans les prochaines semaines. Aucun dispositif d’accueil ou d’hébergement ne leur semble accessible alors même que la protection maternelle et infantile impose une telle prise en charge.
Parmi les enfants non accompagnés présents, certains sont primo arrivants, d’autres reviennent de CAOMI avec l’idée persistante de se rendre en Grande-Bretagne. Ils indiquent subir le même traitement. La prise en charge par l’aide sociale à l’enfance implique, le soir et la nuit, un passage par le commissariat, ce qui rend particulièrement dissuasive la démarche.
Des associations sous pression
Lorsqu’elles tentent de mettre en œuvre des dispositifs qui devraient l’être par les pouvoirs publics (douches, distribution de repas et d’eau), les associations sont entravées et menacées : verbalisation des véhicules garés devant les locaux associatifs, injonction de mettre aux normes la cuisine d’une association présente de très longue date à Calais, menaces de poursuites pour aide au séjour irrégulier. Le Défenseur des droits mène d’ailleurs des investigations s’agissant des entraves qu’auraient subies les associations et les mineurs dans l’accès au dispositif de douches mis en place jusqu’au mois de mai par le Secours Catholique.
Il est par ailleurs difficile à ces associations de conseiller les migrants sur des démarches d’accès au droit. A cet égard, le Défenseur des droits regrette que les départs vers les CAO depuis Calais ne soient plus organisés, de même qu’il ne soit plus possible de déposer une demande d’asile dans la ville, la préfecture située à Lille dissuadant d’entreprendre de telles démarches.
Tout en réitérant ses recommandations générales, notamment à l’égard des mineurs (décision MDE-2016-113), le Défenseur des droits demande dès à présent la fin de cette sorte de traque, l’autorisation des distributions de repas, la mise à l’abri des mineurs sur place, la mise en place d’un lieu où les personnes peuvent se reposer, se ressourcer et envisager la suite de leur parcours migratoire.
Dans son rapport d’octobre 2015, le Défenseur des droits écrivait : « Depuis les années 2000, c’est la crainte du risque “d’appel d’air” que pourrait provoquer un traitement digne et respectueux des droits des migrants qui est à l’œuvre dans la gestion de la situation du Calaisis. Pour ne pas prendre ce risque, les pouvoirs publics ont d’abord cherché à rendre le moins visible possible le regroupement de migrants et à ne pas créer de “points de fixation” ».
Plus récemment, à l’occasion d’observations présentées devant le Tribunal administratif de Lille dans le cadre du démantèlement de la Lande, il précisait : « le défaut d’anticipation de ces opérations d’expulsion est contreproductif puisqu’il ne fait que déplacer le problème vers un autre site, imposant aux exilés un “nomadisme” forcé ».
Le Défenseur des droits regrette que les faits constatés aujourd’hui lui aient à ce point donné raison. Il exhorte les pouvoirs publics à ne pas s’obstiner dans ce qui s’apparente à un déni d’existence des exilés qui, présents sur notre territoire, doivent être traités dignement, conformément au droit et aux engagements internationaux qui lient la France.
Le respect de la Loi de Hume (ou guillotine de Hume) qui sépare « ce qui est » (= la présence des exilés) de « ce qui devrait être » (= l’accueil des exilés ou le non-accueil des exilés) conduit, à mon sens, à poser en des termes un peu nouveaux, la question du recours à la violence. On ne peut pas exclure le recours à la violence au nom de principes (la non-violence) ou de justifier la violence au nom de ce que la violence permet d’atteindre (= mettre fin à l’exploitation, à l’aliénation, à la domination ou à l’exclusion)
Le déplacement de la Justice à la justification est essentiel.
On retombe sur la question du lien entre la fin et les moyens. Est-ce que la fin justifie les moyens ou est-ce que les moyens déterminent la fin ?
Ou en termes plus savants, on retombe sur l’opposition entre :
la justification déontologique (ce qui est juste de mettre en place comme organisation sociale, est ce qui répond à des principes définis au départ)
et la justification conséquencialiste (ce « juste » est ce qui permet d’atteindre tel résultat, sans considération de principes)
Pour Bernard Billaudot, cette opposition doit être dépassée par le choix d’un mode de justification qui réponde aux deux exigences à savoir répondre à des principes définis au départ et atteindre tel résultat. Tel est le cas de la justification moderne (en priorité et non plus en antériorité).
Bernard Billaudot dépasse cette opposition par la réponse suivante : il convient de ne pas être enfermé dans la question de la Justice (en général) mais il convient de comprendre quels ont été les modes de justifications des règles sociétales pratiquées dans l’histoire humaine. Ce déplacement (de la Justice à la justification) est essentiel parce qu’il conduit au constat :
1. que ce mode a changé dans l’histoire (la conception de la Justice change, il n’y en a pas qu’une seule)
2. que tous les modes pratiqués sont à la fois déontologiques et conséquencialistes
3. que la « priorité du juste » n’est pas le seul mode possible pour une société d’individus rationnels et raisonnables (= une société avec pluralisme des conceptions du bien) ; il y a aussi la « priorité du bien ».
En antériorité du bien (à l’ancienne) il y a :
a) un méta-bien supérieur commun existe ;
b) l’intérêt général transcende les intérêts particuliers ;
c) la conception du juste peut être
1.soit en termes de coordination efficace (= le bien commun se décline en trois biens supérieurs visés : reconnaissance, puissance et richesse)
2.soit en termes d’excellence (= la conception du bien est l’excellence, la perfection)
Ce qui est propre à la justification en raison moderne (en priorité) :
pas de conception commune du bien
l’intérêt général est une conciliation des intérêts particuliers
le couple « bien-juste » est conçu en se référant à trois valeurs de référence (collectif, efficacité et liberté) qui visent les trois biens supérieurs (reconnaissance, puissance et richesse) associés à ces trois valeurs de référence, non pas pour « avoir plus » mais pour « être plus » (= la réalisation de soi).
Ce qui est propre à la priorité du juste :
les valeurs de référence sont des valeurs sociales (par rapport aux autres)
les idées du bien sont telles que les trois biens supérieurs (reconnaissance, puissance et richesse) associés aux trois valeurs de référence (collectif, efficacité et liberté) acceptées dans l’espace public, les idées du bien sont telles que ces trois biens supérieurs sont visés (avoir plus est un mieux)
Ce qui est propre à la priorité du bien :
les valeurs de référence sont des valeurs éthiques (par rapport à soi, à la réalisation de soi)
En conséquence, accueillir ou ne pas accueillir les exilés ne peut être un choix « national » mais un choix de/pour tous les humains.
L’enjeu de la nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés depuis la fin du XXe siècle est “quelle mondialisation voulons-nous ? ”
Grand silence sur cette question en France.
Peut-on espérer que les nouveaux élus d’hier se mobiliseront pour que cette terrible situation cesse rapidement ?
Annie Grazon