Sur les affaires d’abus sexuels, l’Église a changé, mais pas suffisamment
Par le staff éditorial de National Catholic Reporter
Le cardinal George Pell, en congé de son poste de financier du Vatican et vraisemblablement de sa fonction ministérielle, retournera en Australie dans le cours de ce mois pour faire face à des accusations d’abus sexuel sur des mineurs commis il y a plusieurs décennies. C’est un signe des progrès réalisés par l’Église catholique pour lutter contre les abus commis par des membres du clergé sur des enfants.
En effet, ce n’est plus comme en 1985, lorsque la conférence des évêques des États-Unis et le Vatican pouvaient enterrer des rapports détaillés sur des abus de mineurs, dissimuler ce qui s’était passé à Lafayette, en Louisiane, et ignorer les conseils d’un prêtre, d’un avocat et d’un psychiatre sur la façon de procéder de façon transparente et selon la justice. Les évêques des États-Unis devaient poursuivre joyeusement pendant une autre décennie avant que certains diocèses individuels ne commencent à mettre en œuvre des politiques pour traiter les prêtres abuseurs.
Ce n’est plus comme en 1995, lorsque les évêques autrichiens ont élu président de leur conférence, le cardinal Hans Hermann Groër, archevêque de Vienne, quelques jours seulement après qu’éclatent dans les médias les affaires sexuelles de Groër avec des séminaristes placés sous sa responsabilité, deux décennies auparavant. Groër a démissionné comme archevêque à la fin de l’année, mais trois autres années se sont écoulées avec une couverture médiatique continue de l’inconduite de Groër avec des étudiants et des adultes et un plaidoyer désespéré des évêques autrichiens adressé directement au pape Jean-Paul II « pour résoudre rapidement le fardeau de l’affaire Groër », avant que Groër ne prenne une retraite paisible. Jean-Paul II a rencontré deux fois Groër et a défendu le cardinal contre les «attaques injustes» jusqu’à la mort de Groër en 2003. Le pape l’a qualifié de l’un des «serviteurs fidèles» de Dieu.
Tout au long de son pontificat, Jean-Paul II a fermement défendu le père Marcial Maciel Degollado qualifié de «guide efficace pour les jeunes », alors même que le fondateur des Légionnaires du Christ était un agresseur sexuel en série et qu’il a engendré de multiples enfants avec au moins deux femmes. Ce n’est qu’après la mort de Jean-Paul II que le pape Benoît XVI a expulsé Maciel du ministère public.
Ce n’est pas comme en 2002, quand le cardinal de Boston Bernard Law a résisté toute une année à une couverture quotidienne méprisante de la façon dont il a brisé une génération de catholiques en refusant de reconnaître et en dissimulant systématiquement les abus de membres du clergé. Finalement forcé à quitter Boston, Law a trouvé refuge dans les emplois bien payés du Vatican et a continué à influencer le travail de l’Église pendant une autre décennie.
Ce n’est pas comme en 2013 quand un cache de documents ouvert à la suite de poursuites judiciaires a montré que le cardinal Roger Mahony, archevêque de Los Angeles de 1985 à 2011, a caché aux autorités civiles des informations sur les prêtres abuseurs et a mené de difficiles actions juridiques combattives pour réduire les paiements aux victimes et maintenir confidentiels à l’archevêché les rapports sur des centaines de procès. (Les victimes des stratégies juridiques de Pell reconnaîtraient bien ces tactiques.) Déjà retiré, Mahony devait défier l’ordre de son prédécesseur de se retirer des fonctions administratives et publiques en raison de «son incapacité à protéger pleinement les jeunes confiés à ses soins». Moins d’un mois plus tard, Mahony était à Rome pour élire un nouveau pape, exprimant “la stupéfaction” qu’éprouverait tout un chacun s’il ne se joignait pas au conclave.
L’Église a changé. Benoît a énormément aidé au changement. Tout en étant préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il a pris en charge les affaires portées par l’Église contre des prêtres abuseurs et, en tant que pape, ses rencontres de haut niveau avec des survivants d’abus ont été des signes du changement dont l’Église avait désespérément besoin.
Les changements institutionnels sont venus sous la direction de Benoît et du pape François. Ils ont modifié les lois de l’Église pour mieux servir cette cause, ont créé le Centre de protection de l’enfance à l’Université pontificale grégorienne de Rome pour former le personnel de l’Église à la protection de l’enfance et ont vu des politiques mises en œuvre dans le monde entier pour protéger les enfants et les adultes vulnérables. François a créé la Commission pontificale pour la protection des mineurs pour le conseiller directement.
Ces changements structurels ont été accompagnés de quelques actions encourageantes : l’évêque auxiliaire Gabino Miranda d’Ayacucho, au Pérou, a été réduit à l’état laïc en juillet 2013 pour avoir abusé sexuellement d’une jeune fille. Chargé de multiples accusations d’exploitation sexuelle d’enfants, l’archevêque Jozef Wesolowski a été démis en 2013 de sa fonction de nonce en République dominicaine, réduit à l’état laïc en 2014 et objet d’un procès de l’Église en 2015, mais il est mort juste après que cette piste ait été ouverte. Ce mois-ci, Pell se défendra dans le système de justice australien.
Nous avons vu François essayer de tenir les évêques responsables. En 2015, il a forcé les démissions de trois évêques américains qui ont échoué à traiter les cas de violence sexuelle: l’évêque Robert Finn de Kansas City-St. Joseph, dans le Missouri, et l’archevêque John Nienstedt et son auxiliaire, l’évêque Lee Piché, de St. Paul-Minneapolis.
L’institution est sur le chemin du changement, mais les événements récents posent des questions sur sa durabilité. Les lois et les politiques ont été mises à jour, mais les cœurs et les esprits ne sont pas autant.
François a autorisé la création d’un tribunal pour tenir les évêques responsables d’un « abus de fonction ». Cela n’a pas eu lieu. Les deux survivants à des abus membres de la commission pontificale ont été forcés de partir. Peter Saunders a été mis à l’écart l’année dernière pour avoir été franc, et Marie Collins a démissionné ce mois-ci après avoir perdu l’espoir que les responsables du Vatican coopèrent avec la commission. La démission de Collins pose sur la crédibilité de la commission de sérieuses questions que personne au Vatican, y compris François, n’a abordées.
Ce qui continue à déjouer le travail de l’Église pour mettre finalement ce scandale derrière nous, c’est que la hiérarchie n’a pas encore entrepris l’examen approfondi et pénible du rôle que la culture cléricale de tous les hommes d’Église a joué dans ce scandale. À la base, ce scandale ce n’est pas le sexe qui est concerné, c’est la façon dont le pouvoir et l’autorité sont exercés dans l’Église. Tant que cela ne changera pas, peu d’autres choses changeront.
Source : https://www.ncronline.org/news/accountability/editorial-abuse-church-has-changed-not-enough
Traduction par Lucienne Gouguenheim
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