MEXIQUE – À un an de la création de l’Observatoire des droits humains des peuples
Par Anahit Aharonian
Il y a un an, à Oaxaca, la capitale historique, qui fut comparée en 2006 à la Commune de Paris pour la résistance qu’ont opposée ses habitants au terrorisme d’État perpétré par les gouvernements locaux et fédéraux, était créé l’Observatoire des droits humains des peuples (Odhp) [1].
Quelques jours plus tard, dans le cadre d’une politique répressive qui, au vu de la militarisation de la société et de la criminalisation des manifestations qui dure depuis dix ans déjà, Carlos Fazio, correspondant de Brecha au Mexique, écrivait alors que « pour des raisons inavouables, tôt le matin du 19 juin, en plein jour, la communauté de Nochixtlan, des mixtèques d’Oaxaca, fut prise pour cible d’une opération de guerre non conventionnelle, illicite ou asymétrique, sous le commandement des appareils de sécurité de l’État mexicain, ce qui s’est soldé par 11 civils exécutés de manière arbitraire ou sommaire et une cinquantaine de blessés » [2].
C’est précisément à Nochixtlán, à partir de ce 19 juin 2016, que l’Odhp a mis en place un Observatoire des droits humains. Pour relever l’important défi de la violence d’État qui a fait du Mexique un pays parsemé de fosses communes, il fallait créer une organisation fédérant tous les engagements pris lors du lancement de l’observatoire, qui coordonnerait et articulerait les initiatives des organisations populaires, pour surveiller, documenter, analyser, diffuser, exiger et promouvoir l’exercice des droits humains des peuples, ainsi que la démocratie participative et l’application de la justice dans le domaine local, national et international, afin de construire, d’organiser la rébellion, et de consolider progressivement l’affirmation du pouvoir populaire.
Par sa situation géographique, Oaxaca est aujourd’hui un territoire stratégique pour les projets mortifères que le gouvernement d’Enrique Peña Nieto prétend mettre en œuvre dans le cadre des accords du Traité de libre échange nord-américain (ALENA) entre le Mexique, les États-Unis et le Canada (prochainement renégociés avec Donald Trump), l’Initiative mésoaméricaine et le Plan Mérida, qui bénéficieront à de grandes corporations capitalistes et au Fonds monétaire international, et qui sont conçus pour piller les richesses naturelles. [3]
En définissant la « géographie de la soumission globale », Ceceña [4] indique qu’en 2000 ont été lancés deux projets de réorganisation territoriale qui tendaient vers une ouverture presque totale au marché mondial, une rationalisation et une amplification de la production énergétique pour soutenir le rythme de croissance du continent : le Plan Puebla Panama (PPP), actuellement Projet mésoaméricain (PM) et l’Initiative d’intégration de l’infrastructure régionale de l’Amérique du Sud (IIRSA) devenu COSIPLAN-IIRSA.
Il s’agit des projets les plus ambitieux d’infrastructure dont l’Amérique se souvienne, destinés à favoriser l’exportation croissante de matières premières, produites en grande part par les transnationales de l’exploitation minière, énergétique, de la filière du bois et de la cellulose, et simultanément à accroître l’extension, entre autres, de plantations de soja, de palmier à huile, et de canne à sucre, destinées soit à l’alimentation du bétail, soit à la production d’agrocombustibles ou à des usages industriels.
Ces mégaprojets induisent une nouvelle géographie, prévoyant la création de voies de communication et la production d’énergie, qui seront suivies de l’implantation d’entreprises principalement extractives et d’exploitation d’hydrocarbures, qui dessineront une nouvelle carte politique interne, avec de nouvelles frontières et l’imposition de nouvelles normes.
Il est donc nécessaire de comprendre que ces villages de l’État d’Oaxaca se trouvant dans une zone d’une grande importance géopolitique, où ces projets seront mis en œuvre, verront l’expulsion des peuples de leurs propres territoires ancestraux.
Ouvrir un chemin
L’expérience de veille et d’information concernant la violence officielle à Nochixtlán a conforté la nécessité de créer des instances de formation collective pour ceux qui à chaque occasion alerteront l’Odhp, ainsi que des séminaires sur le thème des droits humains. La formation s’accompagne d’actions et part de l’idée qu’il est nécessaire de chercher de nouveaux outils politiques et organisationnels au niveau de notre Amérique et du monde, étant donné que du Mexique à la Patagonie la réalité est la même. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de continuer à créer des mécanismes populaires qui participent à la construction de l’unité latino-américaine, pour que cet autre monde essentiel, où nous trouverons tous notre place, devienne réalité.
En cette première année d’activité, l’observatoire a agi dans le contexte de divers cas de persécution et de répression à l’encontre de ceux qui défendent l’éducation publique et gratuite. Il a aussi conduit une caravane motorisée contre le paramilitarisme, en faveur du droit au territoire et à sa défense, et des droits humains des peuples. À ces actions s’ajoutent des campagnes de soutien au peuple vénézuélien dont la souveraineté est remise en question et qui vit des moments critiques.
Après plusieurs séances de travail collectif et à un an de sa formation, l’observatoire est parvenu à mettre en place une Assemblée internationale de coordination. « Réunis à l’Université autonome Benito Juárez, de Oaxaca, les 13 et 14 juin derniers, nous, les participants nous avons déclaré vouloir poursuivre la mobilisation internationale pour dénoncer l’agression impérialiste ainsi que la façon dont les États-Unis et ses alliés, Israël en particulier sur les territoires arabes occupés, poursuivent une politique interventionniste dans le monde entier, spécialement en Amérique latine et au Moyen-Orient, en activant l’une des phases les plus violentes quand l’administration Trump rejette les accords internationaux en matière d’environnement et mobilise des troupes dans la mer Caraïbe pour assiéger le Venezuela. [5] »
De la même façon, l’observatoire s’est engagé à continuer à promouvoir les droits humains sur terre, jusqu’à parvenir à faire connaître ces accords fondamentaux de coexistence solidaire et de respect de la vie sur notre planète. En ce qui concerne le sud de notre continent, nous nous engageons aussi à réclamer la fin de l’impunité des civils et des militaires qui ont commis des délits de lèse-humanité en pratiquant le terrorisme d’État dans le cadre du dénommé Plan Condor. Tant que la recherche de la vérité ne se fera pas et que la justice ne s’appliquera pas, les délits perdureront et les possibilités de vivre dans une société où règne la justice sociale s’éloigneront, car les droits économiques, sociaux, culturels, de préservation de l’environnement continueront à être bafoués. Tout cela inclut la défense de l’enseignement public et la liberté des enseignants.
Dans ce cadre, l’Odhp soutient la lutte des peuples mapuche et qom en résistance pour la défense de leurs territoires et la fin des persécutions et des accusations dont ils sont victimes. Nous exigeons aussi l’application effective de la réforme constitutionnelle relative à l’eau, reconnue comme un droit humain, à l’instar de ce que le peuple uruguayen a obtenu.
Activités sur les territoires
Entre autres actions concrètes, l’Observatoire exige le plein respect des accords de paix en Colombie, la libération des prisonniers politiques et la fin des assassinats de militants sociaux. Pour cette raison, une délégation s’est déplacée spécialement en territoire colombien et, le 10 juillet, des délégations d’autres parties du monde se sont rassemblées pour présenter la même exigence. Diverses actions ont été envisagées en solidarité avec le peuple palestinien, condamnant les politiques de colonisation, d’occupation et de ségrégation appliquées par Israël.
En octobre prochain une caravane internationale se mobilisera « pour l’unité des peuples contre les murs de l’infamie, contre le paramilitarisme, pour la défense des territoires, la souveraineté et les droits humains », qui partira d’Oaxaca et arrivera à Nogales (État de Sonora), à la mi-novembre, s’achevant par une Rencontre à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, les 10, 11 et 12 novembre.
La région de Oaxaca est fascinante ; quand nous la parcourons, nous admirons ses magnifiques paysages de sierras, nous découvrons ses richesses archéologiques, son histoire, nous écoutons ses langues originelles et les récits de la façon dont les communautés locales se sont organisées pour lutter contre des projets qu’on voulait leur imposer, comment elles ont réussi à les freiner, où se sont tenues de multiples assemblées, comment elles ont reconquis des territoires et fait prévaloir ainsi les droits pleins et entiers de la population qui ne veut pas être dépouillée de ses cultes ancestraux ni voir asservie son identité.
Notes :
[1] Voir Brecha, 23/6/2016. [2] Carlos Fazio, La Jornada, 4/7/2016. [3] « Comunicado urgente ante la presencia de las fuerzas federales represivas en Oaxaca » [Communiqué urgent face à la présence des forces fédérales répressives à Oaxaca], communication personnelle du Conseil de défense des droits du peuple – Mouvement national du pouvoir populaire. [4] Ana Esther Ceceña, “La dominación de espectro completo sobre América” [La domination de spectre complet sur l’Amérique], http://www.geopolitica.ws/article/la-dominacion-de-espectro-completo-sobre-america/. [5] Déclaration politique » de l’Odhp à l’issue de la première Assemblée internationale de coordination.Anahit Aharonian est ingénieure agronome et enseignante, cofondatrice de l’Odhp et membre de son conseil consultatif.
Source (espagnol) : hebdomadaire Brecha (Uruguay), 21 juillet 2017, http://brecha.com.uy/avances/.
Traduction par Françoise Couëdel (http://alterinfos.org/spip.php?article7967)