Moi oui, j’ai peur
Par José Arregi
Je me sens jumelé à la foule qui s’est manifestée sur les Ramblas de Barcelone, le samedi 26 août dernier. Moi aussi je suis Barcelone, je suis la Catalogne, mais je suis incapable de crier leur devise : « je n’ai pas peur.» Jo sí que tenc por. (Moi, j’ai vraiment peur.) J’ai peur de ceux qui sont disposés à mourir en tuant pour imposer leur folie. Ils n’y arriveront jamais, mais ils pourront continuer à provoquer des souffrances indicibles à d’innombrables innocents. Ils en appellent à l’Islam, mais ils renient l’Islam, religion de paix. Ils sont remplis de haine et de rancœur, ou tout simplement de désespoir, contre l’Occident, contre leur propre communauté islamique, contre tout le genre humain, contre eux-mêmes. Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont redoutables, car eux n’ont peur de personne ni de rien ni de tuer ni de mourir. Ceux qui n’ont pas peur de tuer ni de mourir sont invincibles et à plus forte raison s’ils n’ont rien à perdre et s’ils croient avoir Dieu ou Allah ou la Vérité absolue de leur côté et s’ils pensent gagner le paradis en tuant et en se faisant tuer.
Il faut se défendre contre eux. Mais comment faut-il se défendre ? Je regarde de tous les côtés et je vois que ceux qui doivent et peuvent nous défendre ne font qu’aggraver le danger. C’est aussi ceux-là que je crains, surtout ceux-là. Les djihadistes ne sont pas nés assassins fanatiques, des bombes à la ceinture ou des fusils et des poignards à la main ni au volant de fourgonnettes meurtrières. Ils ne sont pas nés ainsi pas plus qu’ils ne se sont fait tels d’eux-mêmes. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont, je veux dire qu’ils finiront par être, moins responsables. Tout est relié.
Je crains les imams d’Arabie saoudite, car ils continuent à enseigner qu’il faut comprendre et appliquer le Coran à la lettre. Pourquoi pas aussi le verset : « tuez-les (ceux qui résistent à l’Islam) là où vous les trouverez et expulsez-les de là où ils vous ont expulsés» (2,191) ? Je crains le régime théocratique saoudien qui nomme, paie et contrôle tous les imams du pays et de nombreux pays du monde entier qui continuent à rêver et à inculquer un califat médiéval, dictatorial et religieux à la grande honte de leur religion. Cela me fait peur que tant de musulmans, gens nobles et pacifiques, continuent à les écouter et à les croire. Qui nous certifie qu’un jour, en d’autres circonstances, ils ne passeront pas au djihad violent « parce que le Coran l’ordonne » ?
Il ne suffira pas de poursuivre les djihadistes tant que les imams et les régimes qui les appuient n’enseigneront pas que le Coran est un ensemble de paroles humaines écrites il y a environ 1400 ans dans une culture différente et que, dans le Livre, seul est divin, au-delà de la lettre, l’esprit qui continue à nous inspirer justice, paix, tolérance, égalité entre les hommes et les femmes, tant qu’on ne changera pas la lecture du Coran -ou de la Bible- « tant que ne changeront pas les dieux » ou les religions – y compris celle de nombreux évêques qui appuient des chaînes de télévision qui diffusent l’islamophobie ou qui empêchent que l’image de la divinité hindoue de Gasnesha côtoie l’image de Marie dans le sanctuaire patronal de Ceuta. L’intolérance et l’exclusivisme conduisent à la violence.
Je crains aussi les gouvernements de tant de pays modernes et démocratiques – l’Espagne par exemple – qui montrent tant de zèle pour les libertés et les droits humains au Vénézuéla, zélés pour leur pétrole, dans le fond, alors qu’ils s’inclinent devant les gouvernants de l’Arabie Saoudite, leur vendant des armes, leur construisant des chemins de fer et faisant avec eux de grosses affaires. Peu importe que l’État Islamique soit né là-bas et qu’à ce jour ce pays continue à le financer en grande partie, à interdire aux femmes de conduire, à emprisonner, à torturer et à condamner à mort les dissidents, et à massacrer le Yémen avec nos armes depuis deux ans. Les pétrodollars ont une plus grande valeur que les droits humains.
Je crains ceux qui veulent nous faire oublier que l’État Islamique est né de Al Qaeda et que Al Qaeda est né en Irak à l’issue de l’invasion américaine promue par le trio des Açores : Bush, Blair et Aznar. Et j’ai encore des frissons en lisant la déclaration de Zbigniew Brzezinski, conseiller de sécurité de Jimmy Carter : « J’ai créé le terrorisme djihadiste et je ne le regrette pas». Je crains la politique des États-Unis et de l’Europe en Turquie, au Moyen-Orient et au nord et au centre de l’Afrique, où s’accomplit la sentence de Paul Valéry : « La guerre est un massacre entre gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui, eux, se connaissent, mais ne se massacrent pas ».
La peur est le plus grand danger en même temps qu’une alerte nécessaire pour rechercher les causes et trouver la vraie solution.
Source : http://blogs.periodistadigital.com/jose-arregi.php/
Traduction de Miren de Ynchausti-Garate
Comme nombre d’articles de José Arregi, celui-ci nous rend plus intelligents, et nous ouvre à une compréhension plus large.
Merci aux traducteurs, et aux relayeurs .
Annie Grazon