UNE « MANCHE » INATTENDUE
Par Michel Dagras (Transmis par Hélène Dupont, avec ce commentaire : « Quand on connaît l’auteur, 85 ans et plein d’humour, oui, c’est savoureux !!! »).
Il faisait beau ce dimanche-là. Un soleil splendide dans un ciel d’azur avec, au fond de l’air, une agréable fraîcheur. Petit bonheur de goûter quelques instants de calme à la sortie du métro en attendant que des amis viennent me cueillir pour une réunion à quelques kilomètres de la ville. Arrivent trois jeunes d’une vingtaine d’années. Deux gars et une fille. La cigarette au bec, le look improbable, abondamment tatoués, des piercings sous le nez, aux paupières, aux oreilles, vêtus à la va-comme-je-te-pousse, jeans déchirés aux genoux, polos et blousons imprimés de slogans en anglais… une présentation qui faisait dire à un Gersois rencontré rue d’Alsace, préoccupé par sa moisson encore sur pieds épiée par des corbeaux : Tu fous ça dans un champ de maïs, tu sauves la récolte ! Bref de potentiels épouvantails, mais qui pour l’heure présentaient sous leurs accoutrements des visages amènes et sympathiques. Le trio m’aborde : Bonjour Monsieur, nous avons besoin de votre aide ! Pressentiment d’une demande de monnaie avec préparation de réponse polie, mais négative pour ne pas cautionner l’achat de stupéfiants, de tabac ou d’alcool. Me vient alors le préalable d’une question prudente : Vous aider mais comment ? Réponse inattendue d’un des deux jeunes hommes : Pourriez-vous nous donner un truc pour que nous puissions nous comprendre ? Elle ne veut rien savoir et je ne sais plus comment m’y prendre ! Elle, souriante, semble acquiescer. L’autre de même. Pris au dépourvu, la parade douteuse d’un Je n’ai rien sur moi devenue inutile, je n’ai plus qu’à gérer mon désarroi. Je dis mon prénom, ils déclinent les leurs. Ambiance spontanément en phase avec la météo. L’échange qui suit révèle vite que Julie, Loïc et Baptiste font ménage à trois ! Ils le disent sans complexe. Je soliloque, compréhensif : Déjà qu’à deux c’est souvent épineux !… Me voilà en tout cas au pied du mur devant une des situations dites irrégulières oubliée par le pape François quand, précisant que l’Église n’est pas une douane, il demande de faire l’expérience d’ouvrir le cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plus différentes [1]. Bravo le Pape ! Mais j’ai bien envie de me défiler, dérouté par le saugrenu de la situation et de la requête, mais ils insistent : à votre âge vous devez bien connaître un truc. C’est le jour de mon anniversaire ! Je craque avec une sensation de premier saut en parachute : D’accord ! J’ai un truc à vous proposer. Je suggère alors qu’avant de réagir à ce que l’autre dit, il serait sympathique de commencer par reformuler son propos pour lui montrer ainsi qu’il ou elle a été écouté – ça fait du bien et peut améliorer le climat ! Et permet bien entendu (c’est le mot !) de recevoir d’éventuels correctifs sur ce que l’on pensait avoir bien compris. Deux réactions spontanées. Lui : c’est très difficile à faire ! Elle : on voit bien que vous vous parlez entre mecs ! Le troisième reste muet et attentif. D’accord c’est difficile et je ne suis qu’un mec… mais d’expérience je crois que ça vaut la peine d’essayer et même de ne pas baisser les bras si ça ne marche pas du premier coup. J’ai alors droit à un titre, inattendu lui aussi : Vous êtes psychologue ! Je leur avoue m’y essayer parfois, mais souvent sans trop de succès… Mes amis arrivent. Ils interrompent cette brève rencontre et sa curieuse conversation.
Nous nous disons au revoir et un merci réciproque. Avec la réunion et les chrétiens qu’elle regroupe, tous d’un certain âge et soucieux d’approfondir leur foi, changement de planète ! Les situations et les questions paraissent tellement différentes ! Pourtant un même désir de relations authentiques et de compréhension mutuelle préoccupe ces fidèles. Dans la liste des sujets qu’ils proposent pour bâtir le programme d’échanges et de réflexions de l’année, ils formulent celui-ci : Quand dans une communauté chrétienne les gens sont fâchés avec le sentiment d’être manipulés, que faire et comment ? Tiens donc se seraient-ils donnés le mot avec le trio rencontré à la sortie du métro ? Et si la même question de fond nous habitait tous, comme un premier passage, obligé, pour entrer dans l’aventure de tout amour véritable ?
Note :
[1] Exhortation Apostolique La joie de l’amour, 2016