Les évangéliques interpellent l’ONU sur la liberté de conscience en France
Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) a adressé au conseil des Droits de l’Homme de l’ONU une série de recommandations sur la liberté de conscience en France, un sujet qui lui tient particulièrement à cœur [1]. L’Observatoire Chrétien de la Laïcité (OCL) vient de rendre publique l’analyse qu’il a adressée le 16 octobre au président du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU [2].
Critique par l’OCL de la démarche du CNEF auprès du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU
La démarche des évangéliques du Conseil National des évangéliques de France (CNEF) auprès du Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU préoccupe sérieusement l’Observatoire Chrétien de la Laïcité (OCL).
À quel titre ?
Nous appartenons aussi à la mouvance des Églises chrétiennes, et la plupart des membres de nos associations se reconnaissent catholiques. Cette appartenance nous renvoie à une lecture de la Bible, tout comme les auteurs du texte présenté par le CNEF relatif à la liberté de conscience et d’expression en France.
Nous nous considérons comme citoyens d’un pays laïque où l’État est indépendant des pressions exercées par les religions et les mouvements philosophiques. Son action et ses décisions résultent de choix démocratiques, fruits d’élections par lesquelles s’exprime la voix des citoyens.
C’est à ces deux titres que nous nous adressons aux membres du Conseil des Droits de l’Homme
Ce long document de 16 pages s’appuie sur un argumentaire centré sur la clause de conscience qui découlerait, selon ses auteurs, de la liberté de conscience. Il est évident que tout être humain peut choisir son système de valeurs pour conduire son existence.
Nous tenons à rappeler que l’article 1 de la loi de 1905, loi de concorde assurant l’autonomie de l’État et l’autonomie des divers cultes, affirme : «La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.»
Suggérer à plusieurs reprises que la société française est «méfiante du fait religieux» est un amalgame inadmissible. La liberté est accordée à chacun d’exprimer ses critiques à l’égard de toute croyance ou conviction. Mais chacun peut, comme tout citoyen, répondre, et rendre compte des siennes sans entrave.
La loi n’a pas à se soumettre à un dogme, quel qu’il soit; cela n’est pas du domaine de la compétence de l’État. Sa fonction est d’un autre ordre. Toutes les injonctions formulées dans le document du CNEF nous semblent fallacieuses. Avoir des «relations » avec les représentants des cultes, l’État le fait (ne serait-ce que pour assurer l’efficacité de la sécurité qui lui incombe), mais il leur dénie le statut de conseillers privilégiés.
L’un des objectifs du Conseil des évangéliques semble être d’obtenir, ainsi que d’autres mouvances, un «siège» à l’Observatoire de la laïcité, organe officiel de l’État. Est ainsi révélé le désir de se trouver dans un lieu de reconnaissance officielle, voire de pouvoir jouer auprès du gouvernement un rôle de lobbying sur les questions dites «sensibles» évoquées par les diverses «recommandations» énoncées dans leur document.
En voici quelques exemples
La demande de protection des lieux de culte ou des personnes exposées aux diverses discriminations n’est, de fait, pas justifiée. Les représentants de l’État sont, nous semble-t-il, déjà au travail.
Les recommandations pour veiller sur les libertés des personnes LGBT n’apparaissent-elles pas comme un prétexte pour contester la loi qui fâche : «le mariage des personnes de même sexe» ? Sur cette question, comme dans les autres «recommandations», on cherche à permettre à ceux qui ont pour mission officielle de la mettre en application de contourner la loi en faisant jouer une prétendue «clause de conscience».
Quant aux soins assurés par les personnels soignants «qui requièrent un accord de conscience», ils sont déjà solidement encadrés par le Code de la Santé publique, avec des solutions au cas par cas. La question de la légalisation de l’euthanasie est un argument utilisé par bien des «intégristes» de toute religion. De tels débats, nécessaires au sein des familles religieuses, sont souvent pervertis par les intégristes et les fragmentent profondément.
L’école, lieu d’apprentissage des connaissances, du vivre ensemble et de la liberté d’être et de penser, ne saurait être la cible de ceux qui voudraient y introduire l’enseignement religieux. Certes, l’enseignement du fait religieux est mentionné dans le texte, mais l’éducation religieuse n’a pas sa place dans les locaux scolaires, sauf dans les cas prévus par la loi de 1905. Nous souhaiterions que cela soit appliqué sur l’ensemble du territoire. Quant à l’éducation morale, curieusement adossée à tort dans le texte à l’éducation religieuse (paragraphe 40), elle s’adresse à tous les futurs citoyens et ne doit pas être dictée par un groupe de conviction.
Que les enfants apprennent à respecter l’orientation sexuelle de tous ne peut qu’être bénéfique. L’éducation sexuelle a toute sa place à l’école. Cette hantise des questions liées à la sexualité nous paraît fréquente chez ceux qui revendiquent une «fidélité» religieuse. Sur toutes ces questions, la pente conduisant vers les groupes intégristes est, une fois de plus, manifeste chez les rédacteurs de ce texte.
Nous voudrions enfin souligner le danger de voir remis en cause le choix de l’avortement, garanti par la loi et dont les jeunes doivent être informés. Cette information ne semble pas souhaitée dans les «recommandations» proposées…
Nous pensons que le texte du CNEF suscitera l’opposition de tous les citoyens qui s’insurgent contre les pressions de cléricaux de toute obédience. C’est là une intervention de la religion qui nous paraît déplacée et contraire aux principes démocratiques.
Notes :
[1] On peut lire le rapport du CNEF ou la présentation par le journal “La Croix” [2] Avec cette Lettre d’accompagnement