Qu’y a-t-il derrière le financement de la visite du Pape au Chili ?
Par Anibal Pastor [1] (Cambio 21)
La principale conséquence de la stratégie de financement du voyage du Pape au Chili qu’a mise en œuvre la hiérarchie de l’Église catholique est de diminuer son prestige personnel, de sorte que son éventuel discours sur les pauvres et sa critique du modèle néolibéral ne soient pas trop remarqués. Les quelques catholiques qui subsistent sont indignés.
La Commission Nationale pour la visite du Pape François, présidée par l’évêque auxiliaire de Santiago, Fernando Perez, a lancé une campagne, avec le concours d’experts en communication d’entreprise, touchant l’évènementiel et la responsabilité sociale. Même si ce n’était pas le but recherché, les conséquences de cette campagne sont telles qu’elle cause un dommage irréparable à l’attachement à l’Église du peu de catholiques qui restent, et qui ne savent pas grand-chose des délicieuses intrigues de l’exercice du pouvoir dans l’Église.
Tout d’abord, il y a ceux qui expliquent que c’est le désir de transparence des jeunes cadres de la Commission Nationale qui les a tout naturellement amenés à faire savoir que la visite du Pape coûterait six millions de dollars et que ceux-ci devraient être financés par les fidèles.
Dans les milieux ecclésiaux, il se dit que Mgr Ramos a été mal accueilli quand il a fait appel au gouvernement et aux entreprises privées. Ces dernières, soit ne se sont pas manifestées, soit ont contribué très faiblement, et en tout cas d’une manière insuffisante pour financer les évènements envisagés durant les trois jours que durera la visite du Pape. À ce jour, il n’a réuni que 600 millions de pesos sur les quatre milliards nécessaires, soit seulement 15 % de la somme à atteindre.
D’autre part, le gouvernement, qui est en fin de mandat et n’a plus de ressources, annonce que, s’agissant d’une visite pastorale (Ramos a été très clair sur ce point dès le premier jour) il ne financera que ce qui est du ressort de la visite d’État de François, en tant que chef de l’État du Vatican. Avec l’argent des contribuables, comme cela se passe lorsque d’autres chefs d’État visitent le pays ; seuls les frais découlant du protocole et de la sécurité des personnes qui l’accompagnent ainsi que des fidèles seront pris en charge. Tout le reste devra être financé par l’Église.
Cela explique, selon les plus bienveillants, que la Commission Nationale pour la Visite ait mis tous les œufs dans le même panier : l’appel de fonds parmi la population catholique, comme s’il s’agissait d’un Téléthon. Comme la Commission l’a expliqué, il s’agit de la deuxième étape de la campagne intitulée « Pape François, je t’invite » qui se déroule en octobre dans les paroisses et les collèges.
Cela se terminera avec la troisième étape, par laquelle il est proposé que chaque personne au Chili donne une journée de salaire au Pape. En fait, il n’en sera pas exactement ainsi, car la Commission a fait savoir que s’il y avait des excédents, ils seraient versés à des institutions sans but lucratif de l’Église du Chili. Pour inciter les gens à faire don d’une journée de salaire, Javier Peralta, Secrétaire Général de ladite Commission, a indiqué au journal officiel : « Ce n’est pas une demande que nous allons renouveler tous les mois, mais seulement une fois tous les 30 ans » (sic). Encore heureux !
Quelles sont les réactions à cette campagne ?
Dans les réseaux sociaux et dans les émissions de radio interactives des classes moyennes et populaires, à travers tout le Chili, cette campagne a provoqué un rejet catégorique de François, car les dépenses annoncées pour sa visite sont considérées comme un scandale, même si Peralta assure que « cette visite est assez austère » et que la Commission s’emploie à les comparer avec celles qui ont été engagées pour les visites du Pape dans d’autres pays.
Mais les critiques grandissent avec un effet « boomerang »
Le problème est aggravé par le fait que l’opinion publique a été informée de l’importance du patrimoine que gère l’Église catholique chilienne, et en particulier l’Archevêché de Santiago. Les actions de grandes entreprises, les propriétés et les dons totalisent plus de 10 milliards de pesos par an. Tout cela, sans compter les autres évêchés, la Conférence épiscopale et la Caritas du Chili.
Le plus tragique de tout, c’est que les investissements sont sans rapport avec l’éthique. Les gens savent aussi, par les informations de la « Direction des Valeurs Mobilières et des Assurances », que l’Église a des actions dans des entreprises qui abusent les consommateurs, ou qui ont corrompu la politique chilienne en s’écartant de la doctrine sociale de la même Église.
C’est ainsi que ceux qui craignaient que la droite guidée par l’Opus Dei, comme cela a été le cas jusqu’à maintenant, serait plus fine et contesterait les interprétations du message du Pape en jouant sur un équilibre entre la note douce, dépourvue du contenu social, et la « post-vérité » [2] grandiloquente, pour empêcher que François soit en phase avec les mouvements sociaux du Chili, se sont trompés. Il a suffi d’une intervention plus simple, mais mieux ciblée sur le point sensible : demander aux chiliens de l’argent pour le Pape, dans un contexte où l’Église est perçue par les gens comme ayant couvert des prêtres pédophiles grâce à de puissants réseaux complices. Le climat général et le rejet ainsi provoqué à l’égard de François sont très favorables pour que, s’il s’avérait que le Pape insiste sur des thèmes sociaux, il manque de la force morale, comme celle dont il a bénéficié, par exemple en Bolivie, avec les mouvements sociaux.
C’est ce qui explique pourquoi l’Évêque Juan Barros reste si déterminé à Osorno. Il représente symboliquement le paradigme du non aimé, du rejeté, de celui que l’on n’écoute pas, de celui qui n’a rien à dire, de celui qui fait honte. Barros est l’instrument de cette stratégie qui cherche à discréditer le Pape, pour que son message social soit ignoré. Il s’aligne ainsi avec ceux qui, au niveau international, cherchent à lui faire perdre sa légitimité et finalement souhaitent sa chute.
Bon d’accord !
Il est clair que, très souvent, l’inexpérience nous conduit à commettre des erreurs dont on apprend toujours quelque chose. Mais compétence et talents sont autre chose. Ce qui s’est passé récemment à Temuco [3] peut avoir aussi des conséquences néfastes, même pour le Gouvernement, s’il ne rectifie pas le tir et n’abandonne pas sa candeur.
« El Mercurio », qui joue le rôle de Journal officiel de la visite du Pape, a relaté, il y a quelques jours, que l’Armée de l’Air du Chili avait demandé au Sous-Secrétariat d’État du Ministère de l’Intérieur d’étudier les problèmes de juridiction concernant la base aérienne de l’Aéroport de Maqueha. Le lieu choisi par la Commission Nationale pour la messe du Pape est « zone militaire » et, jusqu’à maintenant, il n’a pas été possible de faire les préparatifs logistiques, comme, par exemple, la construction de l’autel. De plus, il s’agit d’un territoire soumis à une législation spéciale, sous autorité militaire et non civile, et la piste de 700 mètres qu’occuperaient les fidèles pendant la messe, devrait être rendue en conformité avec tous les standards internationaux de l’aéronautique, a précisé le commandant en chef de la FACH. Gros problème !
Alors que se passera-t-il si les fidèles du Sud manifestent contre l’évêque Barros dans cette zone militaire, et si des laïcs sont arrêtés ? Ou si les communautés mapuches, en voulant se faire entendre, sont accusées de désordres et d’actions terroristes et que, de ce fait, ses dirigeants sont arrêtés ? Quelle justice s’appliquera ? La justice militaire ? Qu’ils ne disent pas qu’ils ne savaient pas. Pour le moment, l’Église de Temuco fait de grands efforts pour résoudre les problèmes et obtenir des changements de juridiction, afin de faciliter la tenue de la messe avec le Pape, mais elle agit en prenant ses distances avec la Commission Nationale pour éviter d’autres gaffes.
Peut-être que la Présidente Michelle Bachelet, qui doit prochainement se rendre à Rome [4], discutera de tous ces sujets d’inquiétude avec François, et lui expliquera comment l’Opus Dei maintient un contrôle sur les finances et la communication pour endiguer son discours social. N’oublions pas que déjà, en 1891, les secteurs conservateurs du Chili, avec la complicité de la hiérarchie ecclésiastique de l’époque, ont gardés cachés pendant des années, à la douane de Valparaiso, des milliers d’exemplaires de l’encyclique de Léon XIII, Rerum Novarum, par laquelle l’Église a pris position sur les problèmes sociaux du monde et la défense du monde du travail.
Si le Pape était bien informé, il devrait au moins dire à l’Opus : « Mes amis, ne vous mêlez pas de mes affaires ».
Notes :
[1] L’auteur est journaliste, expert en matière sociopolitique et ecclésiale. Il a appartenu à la Commission de Presse lors de la visite du Pape Jean-Paul II au Chili, en 1987, et a été consultant de la Conférence épiscopale de 1996 à 2005. Il travaille actuellement au « Centro Ecuménico Diego » de Medellin.
[2] “Post-vérité” est un adjectif qui fait référence “à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles”, selon la définition du dictionnaire d’Oxford.
[3] Graves incidents liés aux conflits terriens avec les Indiens « Mapuche »
[4] On sait aujourd’hui que le rendez-vous de La Présidente Bachelet à Rome sera très probablement annulé.
Traduction : Régine Ringvald