Le renouveau de la moutarde française a commencé
Premier producteur européen de pâte de moutarde, la France importe massivement ses graines de cette plante. Mais depuis quelques années, des moutarderies travaillent avec des graines locales et la mode se répand.
Sylvain Petit, vinaigrier-moutardier à Aizac, dans le sud de l’Ardèche, est incollable sur son métier. Après le vinaigre fabriqué selon la méthode orléanaise — une méthode traditionnelle — depuis 2009, il s’est lancé en 2013 dans la mise en pots de cornichons locaux puis dans la moutarde cultivée localement. Le quadra partage sa passion en faisant visiter son atelier : « Je trouve essentiel que les gens sachent ce qu’ils mangent. » Or, la provenance des ingrédients de la moutarde est souvent méconnue. La recette est pourtant simple : des graines de moutarde, de l’eau, du sel et du vinaigre. Simple, mais coûteuse écologiquement. Aujourd’hui, plus de 80 % des graines de moutarde utilisées en France sont importées du Canada, 15 % d’autres pays étrangers. Le vinaigrier ardéchois a travaillé pendant trois ans au développement de sa moutarde, qu’il a voulu 100 % locale. Pour cela, il a incité un agriculteur à cultiver la graine et il a choisi une carrière de pierres locale pour fabriquer la meule de son moulin à moutarde.
La moutarde est une plante surtout utilisée comme engrais vert en France.
Depuis les années 1990, la graine de moutarde pousse à nouveau en Côte-d’Or et, plus récemment, dans d’autres départements de France. C’est le résultat d’une dynamique lancée par la moutarderie Fallot, à Beaune. Elle a créé à cette époque l’Association moutarde de Bourgogne (AMB), composée de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne et d’autres moutardiers, dont Amora-Maille, Européenne de condiments, Reine de Dijon et les Établissements Fallot. Ensemble, ils ont œuvré à la création de l’indication géographique protégée (IGP) Moutarde de Bourgogne. Ce label officiel européen, délivré en 2009, certifie que le condiment est élaboré à partir de graines produites localement, et qu’il est dilué dans un liquide composé d’eau, et d’au moins 25 % de vin blanc d’appellation d’origine contrôlée Bourgogne, additionné de sel, de sucre et d’épices.
« Il est difficile de convaincre les agriculteurs »
Et le travail porte ses fruits. Selon Marc Désarménien, aux commandes de la moutarderie Fallot et président de l’AMB, 6.000 hectares de graines de moutarde ont été plantés en 2017 en Bourgogne. Une renaissance, quand on sait que dans l’Hexagone, la culture de la graine de moutarde avait été abandonnée après guerre, remplacée par des plantes éligibles aux subventions européennes, comme le colza, le blé ou le tournesol.
Mais le chemin vers l’approvisionnement 100 % local est encore long. D’après la chambre d’agriculture de Côte-d’Or, en 2015, les besoins en graines des usines de moutarde de la région Bourgogne sont de 25.000 tonnes, soit 15.000 ha. La graine française est « entre 10 et 15 % plus chère » que la Canadienne estime Marc Désarménien. Cela ne fait pas reculer la moutarderie Fallot, qui ambitionne, d’ici deux ans, de passer à un approvisionnement 100 % bourguignon. L’avantage pour cette moutarderie qui travaille de façon artisanale (à la meule de pierre), c’est « un meilleur contrôle qualité ». L’aspect marketing d’une telle relocalisation n’est pas non plus négligeable, l’opinion devenant de plus en plus sensible à la production « made in France ». Selon un sondage de l’IFOP publié en janvier 2017, 79 % des personnes interrogées déclarent s’intéresser de plus en plus à la thématique du « made in France ».
En France, on compterait une petite dizaine de moutarderies artisanales, du Perche à l’Allier, en passant par la Charente… À Saillagouse, dans les Pyrénées-Orientales, cela fait 20 ans que les vinaigriers de la Légende de Pyrène ont décidé de fabriquer de la moutarde. Pour l’approvisionnement, ils ont recours pour 60 % aux graines d’un agriculteur situé à 150 km de là. Le reste est fourni par un grossiste qui ne livre que des graines françaises. « Elles proviennent de Beauce et de Champagne ; des régions où il est plus facile de cultiver la moutarde », précise le dirigeant de l’entreprise. En effet, une moissonneuse-batteuse facilite grandement la tâche pour la récolte de la graine, un engin difficile à manœuvrer dans les zones de montagne. C’est ainsi que la moutarderie Charroux, dans l’Allier, s’approvisionne à 90 % au Canada. Pour le reste, les graines proviennent de Bourgogne. Olivier Maenner, à la tête de cette moutarderie relancée à la fin des années 1980, explique : « Il est difficile de convaincre les agriculteurs. Le colza, une plante très similaire, a un meilleur rendement. »
La formule fait recette
Un autre choix a été fait dans le Perche. François Lorin, céréalier en groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), s’est lancé dans la culture de graines de moutarde fin 2010. Tout de suite, son projet a été de transformer lui-même le produit en condiment. Il transforme aujourd’hui entre 5 et 8 hectares de production. Maîtrisant toutes les étapes de la filière, il peut travailler son produit comme il l’entend.
Dans la région d’Orléans, terre historique de fabrication du vinaigre, cela fait 15 ans que la maison Martin-Pouret a aussi sauté le pas de la fabrication de moutarde. En 2017, elle a atteint les 100 % d’approvisionnement en Val de Loire. Jean-François Martin, dirigeant de la société, relate : « On voulait travailler avec les acteurs de toute la filière. Nous sommes satisfaits du résultat. Cela nous donne envie de progresser dans cette voie de filière de proximité. »
Les moutarderies artisanales qui utilisent de la graine de moutarde locale, à l’image de ES Vinaigrerie, en Ardèche, se comptent sur les doigts d’une main. Pourtant, la formule fait recette. Sylvain Petit a constitué sa clientèle de particuliers notamment grâce à son passage dans Carnets de campagne, sur France Inter. En remportant en 2017 le concours Talents gourmands Rhône-Alpes dans la catégorie artisans, il a attiré les professionnels de la restauration. Dans l’incapacité aujourd’hui de satisfaire en volume tous ses clients, le vinaigrier-moutardier cherche de nouveaux producteurs de graines de moutarde… près de chez lui, évidemment : « À mon avis, tout ce qui peut être produit en local, il faut le laisser en local et ensuite aller vers le mondial. »
Source : https://reporterre.net/Le-renouveau-de-la-moutarde-francaise-a-commence
Illustration : Pixabay