Les évêques chiliens espèrent que la visite du Pape redonne de la crédibilité à l’Église
Par Marco Antonio Velásquez Uribe
La prochaine visite du Pape au Chili qui aura lieu du 15 au 18 janvier 2018 a de nouveau mis l’Église du Chili sous le regard du monde. Alors que les préparatifs ne sont pas exempts de polémique, les manœuvres opportunistes ne manquent pas, en vue de profiter de l’image du Pape de la Miséricorde pour blanchir un certain passé, ou pour bénéficier de quelques retombées, tant en termes de réputation que sur le plan économique, que sa venue ne manquera pas d’apporter.
Les attentes de sa venue couvrent tout l’éventail depuis ceux qui n’attendent rien jusqu’à ceux qui attendent de vrais miracles. Parmi ceux qui aspirent à de tels prodiges, il y a beaucoup d’évêques qui espèrent que la visite papale la crédibilité à une institution discréditée.
Cependant, sans le vouloir, il y a un risque que cette même hiérarchie qui a déçu non seulement les espoirs du peuple de Dieu, mais aussi la société chilienne, en fasse payer les frais à ce Pape qui porte en lui un grand espoir de changement dans l’Église universelle.
Tandis que l’Église institutionnelle, avec son vaste réseau de paroisses, est mobilisée pour financer la visite, les communautés chrétiennes se préparent en faisant attention de à ne pas transformer cet événement en un feu d’artifice pastoral débridé. À cet égard, la visite de François au Chili se profile sur une histoire récente douloureuse, pleine de contradictions à l’intérieur de l’Église, et un présent marqué par l’apathie et la frustration spirituelle, et avec la perspective d’un avenir incertain, où il ne sera pas évident de rétablir la confiance entre une certaine hiérarchie et les laïcs.
Les blessures laissées par la conduite du clergé dans toute une série de scandales, pas seulement sexuels, ne se cicatriseront pas avec la venue du Pape. Au contraire, les souffrances, anciennes et nouvelles, sont ressenties, aggravées par la suspicion de manipulation et d’omission qui sous-tendent la préparation de cette visite.
En fait, la plus grande difficulté vient de ce que les organisateurs ont construit un mur infranchissable pour éviter que ce mécontentement envers la hiérarchie ne s’exprime durant cette visita papale.
Maintenant plus que jamais, on se souvient avec nostalgie qu’il y a exactement 30 ans, en pleine dictature, la visite de Jean Paul II était devenue un événement empreint de liberté et de courage pastoral qui a accéléré le retour à la démocratie. À ce moment-là, les bergers, pleins d’esprit prophétique, guidaient le peuple de Dieu sur les chemins de liberté.
Ce contraste est présent à la mémoire de nombreuses communautés.
Maintenant, en revanche, on insiste sur le fait que « le linge sale doit se laver en famille» et non pas en présence de l’évêque de Rome. Mais les communautés savent que dans l’Église, le patron est le Vicaire du Christ. Par conséquent, beaucoup de gens veulent que la visite du Pape soit l’occasion de montrer la douloureuse réalité de l’Église chilienne qui ne parvient à Rome que d’une façon déformée. On sait que « de Rome sort ce qui vient à Rome ».
Cet avant-propos sur la visite du Pape étant ce qu’il est, et compte tenu de sa personnalité, il n’est facile de trouver un marqueur objectif qui mesure la réelle frustration et l’impuissance ressenties par de nombreuses communautés chrétiennes.
À point nommé, est sorti le 26 octobre, « Informe Latinobarometro 2017 », une enquête qui rapporte l’opinion qui ressort de 20 200 entretiens personnels, réalisée dans 18 pays d’Amérique latine dont le travail sur le terrain a été réalisé entre le 22 juin et le 28 août 2017.
Ce rapport indique clairement que l’Église (catholique et autres) est l’institution qui recueille la plus grande confiance sur le continent, dépassant largement les forces armées, la police, le pouvoir judiciaire, les gouvernements, les institutions parlementaires, et les partis politiques. Dans l’ensemble étudié, 65 % de la population latino-américaine fait confiance – tout à fait ou un peu – à l’Église, suivie de loin par les forces armées qui attirent 46 % de la confiance du public.
Le pays d’Amérique latine où l’Église jouit de la plus grande confiance est le Honduras, avec 78 % des gens qui lui accordent une telle considération. À l’extrême opposé, c’est au Chili que l’Église enregistre le niveau de confiance le plus faible du continent, avec seulement 36 % de personnes qui lui font confiance. C’est même en dessous de l’Uruguay qui est reconnu comme le pays le plus sécularisé d’Amérique latine, où 41 % des gens lui font confiance. Ces chiffres révèlent la profondeur de la crise que vit l’Église chilienne, car ils signalent que 64 % des Chiliens manifestent de la méfiance à son égard. La situation ainsi décrite est désolante.
Ceci est ce que l’on essaie de cacher au Pape par des diversions pastorales.
Pourtant, le mécontentement s’exprime spontanément et sans tabou dans la rue, en famille, dans les cercles sociaux et, bien sûr, dans les communautés chrétiennes.
Le Chili est un pays chaleureux et accueillant. On s’attend donc à ce que le Pape François soit bien reçu, et avec une bonne assistance, mais en tenant compte de la vérité et en exprimant aussi la frustration et l’indignation ressenties dans l’Église chilienne, du fait de la façon dont elle s’est comportée ces dernières années. Personne, et encore moins une Église qui prétend être catholique, ne peut refuser de voir cette réalité. D’autant plus que l’Église fut en d’autres temps une mère et enseigna que toute action chrétienne commence par regarder ces réalités complexes, à la lumière de l’Évangile, et qu’elles doivent être jugées de façon prophétique pour assurer la fécondité de l’action chrétienne. C’est seulement de cette façon qu’il sera possible de transformer les réalités temporelles et ecclésiastiques déformées par le péché, afin de sortir d’une crise de grande ampleur.
Traduction : Régine et Guy Ringwald