Lancement des États généraux pour une autre politique migratoire
Par Olivier Favier (Basta !)
À partir du 18 décembre prochain, les citoyens pourront porter leurs doléances pour la préparation des États généraux des migrations, qui se tiendront au printemps 2018. C’est la réponse imaginée par les centaines d’organisations et collectifs, grands ou petits, historiques ou récents, qui se mobilisent tous les jours en solidarité avec les migrants et alertent – en vain – Emmanuel Macron et son gouvernement sur la situation des réfugiés. Cette initiative ambitieuse a été annoncée ce 21 novembre, lors d’une conférence de presse à laquelle participaient des figures médiatisées pour les pressions qu’ils subissent à la frontière franco-italienne, tels que Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni, un syndicaliste CGT, des dirigeants de la Cimade ou d’Emmaüs international, ainsi que des délégués d’un Mouvement citoyen local à Briançon ou un intercollectif Hérault-Cévennes. Rassembler ainsi des organisations nationales [1], des entités sans existence juridique créées spontanément pour venir en aide aux réfugiés, des figures individuelles fortes et des acteurs locaux, est une gageure impressionnante.
Pierre-Alain Mannoni de Solidarité migrants 06 et Cédric Herrou de la Roya citoyenne devant les locaux du Gisti, à Paris, le 21 novembre 2017.
Cela fait six mois que ces organisations et mouvements réclament une concertation, alors que la situation des migrants se détériore. Le 15 juin dernier, un appel est lancé au nouveau président de la République et à son gouvernement. Il est signé par 470 collectifs citoyens et associations – dont de nombreuses sections locales de la Ligue des droits de l’homme, d’Emmaüs, d’Amnesty ou de l’Acat (Association des chrétiens pour l’abolition de la torture). Tous demandent la tenue d’une conférence nationale sur la politique migratoire de la France (lire ici : 300 organisations blâment le gouvernement Macron et appellent à un changement radical de sa politique migratoire). Le gouvernement répond à sa manière : à la rentrée, le nombre de migrants placés en centres de rétention en vue d’une expulsion est multiplié par deux par rapport à l’année précédente ; les détentions déclarées illégales par les juges sont passées de 30 à 40% ; Emmanuel Macron réitère la différence entre réfugiés politiques et migrants économiques – ces derniers n’ayant selon lui pas vocation à être accueillis en France.
Surtout, un nouveau projet de loi pour 2018 envisage une « refondation complète » de la politique migratoire. La durée de la rétention pour les étrangers en attente d’expulsion passera de 45 à 90 jours. Toujours selon ce texte, l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pourra refuser une demande d’asile si le candidat peut être reconduit dans un pays tiers « sûr » où il a déjà transité. Dans son ensemble, le projet de loi vise à renvoyer davantage et plus rapidement des personnes en grande fragilité dès lors qu’ils n’ont pas obtenu le statut de réfugié. Accessoirement, on évoque aussi des efforts pour un meilleur accueil de celles et ceux qui obtiendront l’asile. Pour la Cimade cependant, les 10 000 places annoncées sont un recul par rapport aux 30 000 promises en 2015 sous le précédent quinquennat, dont 5 000 seulement se sont depuis révélées effectives.
Désobéissance civile y compris chez les militaires et policiers
C’est autour de 300 signataires qu’une nouvelle tribune est publiée sur Bastamag et Mediapart le 24 juillet, demandant pour fin 2017, en l’absence de dialogue avec les autorités du pays, une Conférence nationale citoyenne sur la politique migratoire en France. Devant l’absence de réponse et de concertation, les organisations de la société civile se mobilisent donc pour lancer leurs propres États généraux des migrations, par-delà la diversité des approches. Si les opérateurs sont absents de la liste des signataires, le milieu associatif et militant opère un rassemblement inédit en France depuis de trop nombreuses années. On se souviendra par exemple d’une manifestation de quelque 160 000 personnes à Barcelone en février dernier quand Paris n’en a jamais rassemblé plus de 4 000 sur ce sujet depuis la mobilisation de 2015. Les autorités jouent sur ces tensions, mais elles ne gagnent pas toujours. À l’origine, la Cimade opérait à peu près seule l’accompagnement humain et juridique ainsi que la médiation et le témoignage dans les centres de rétention. En 2010, l’état décide de confier les mêmes tâches à cinq associations différentes, réparties en autant de zones géographiques. Cette division n’empêche pas la Cimade et ses quatre nouveaux partenaires de produire leur rapport annuel, indispensable instrument de veille sur ce milieu fermé.
Lors de la conférence de presse annonçant ces États généraux à venir, les mots de « désobéissance civile » sont répétés. Pierre-Alain Mannoni rappelle ainsi que même certains militaires et policiers ferment les yeux à la frontière entre la France et l’Italie : « Nous en avons des témoignages par les migrants, parce qu’évidemment ce ne sont pas eux qui vont nous le dire. » C’est une réponse au « trouble à l’ordre public à long terme » généré par l’Etat renchérit Cédric Herrou. Rappelant que bien des mineurs isolés n’étaient pas reconnus aujourd’hui dans leurs droits les plus élémentaires, il ajoute : « L’école est obligatoire parce que c’est une nécessité. Tout dépend de la société qu’on veut avoir dans quinze ou vingt ans. » Pour tous, le message est clair. Cet appel ne regarde pas les seuls militants, il nous concerne tous, en tant que citoyens de la société présente et artisans d’un avenir qui nous survivra.
Photo : Olivier Favier
Notes
[1] Amnesty International-France, CCFD-Terre solidaire, CRID, Emmaüs France, Gisti, Fasti, Ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde, le Secours catholique.