La Bible est-elle inspirée ?
Par John B. Cobb [1]
Si la question est posée par un évangélique fondamentaliste, la réponse est un « non » catégorique : la Bible n’est pas « inspirée » ! Les mots du texte biblique n’ont pas été dictés par Dieu. Dieu n’a pas tenu la main des auteurs. Dieu ne les a même pas préservés de l’erreur. La Bible fourmille de faits erronés, d’affirmations éthiques et doctrinales discutables.
Mais si on se libère des traditions théologiques conservatrices, le mot « inspiré » qui est fréquent dans le langage courant convient parfaitement. On dit bien d’un musicien, d’un poète ou même d’un prédicateur qu’il a été « inspiré ». Il arrive que l’on soit si totalement engagé dans une prestation que l’on se laisse emporter par un Esprit qui nous dépasse. Les mots viennent parfois sans effort sous la plume de l’écrivain et la musique envahir l’âme d’une musicienne. Cette expérience n’est pas fréquente, mais elle existe et elle n’a rien de surnaturel.
Les penseurs du Process estiment que toute vie est « inspirée ». Aucune vie ne pourrait subsister sans être animée par l’Esprit de Dieu. C’est la présence de l’Esprit qui fait que nous sommes plus que la seule résultante de forces intérieures. L’Esprit saint, parfois, n’est plus inhibé par la pression du quotidien, son dynamisme se fait plus créateur : l’inspiration surgit. Si nous croyons en cette œuvre de Dieu dans nos vies, pourquoi douter de l’inspiration dans la vie des anciens poètes hébreux, des prophètes et des textes bibliques dont ils sont les auteurs ? Leurs contemporains se sont sentis saisis par la force de leurs écrits, ils les ont conservés et recopiés de sorte qu’en les lisant nous en sommes inspirés à notre tour. Ces textes demeurent naturellement marqués par les préjugés de classe et l’esprit patriarcal de leur époque. Ils sont des « vases de terre » et nous les replacerons dans leur contexte historique pour en faire une lecture critique. Mais tels qu’ils sont, ils nous placent devant la présence transcendante de Dieu et nous leur devons le plus grand respect.
La Bible n’est pas seule à être « inspirée ». Les livres des anciens Grecs, des Hindous ou des Chinois le sont aussi ; ainsi que Shakespeare, Goethe et nos auteurs contemporains, qui méritent respect et attention. Le caractère unique de la Bible provient aussi de l’importance toute particulière que nous attribuons à l’histoire d’Israël. Ou plus précisément à l’histoire interprétée par les auteurs bibliques inspirés. Les événements racontés tirent leur sens de l’interprétation qui en est proposée dans la Bible.
Inversement, les auteurs « inspirés », s’ils ne pouvaient s’appuyer sur les extraordinaires récits bibliques, n’auraient rien de plus à transmettre que n’importe quel autre auteur inspiré. Les récits concernant Jésus sont évidemment fondamentaux. Ils reçoivent leur sens de l’interprétation de l’histoire d’Israël, en même temps qu’ils lui donnent sa coloration spécifique.
Nous ne pouvons rien savoir directement de tous ces événements ; nous dépendons totalement des interprétations que nous en donnent les auteurs inspirés et si, en réalité, ils n’étaient pas inspirés, notre foi serait vaine. Ainsi, l’inspiration se trouve à tous les niveaux.
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Ma réponse de théologien du Process est donc clairement : « oui, la Bible contient énormément d’inspiration ». Cette affirmation est indispensable à l’avenir de notre tradition chrétienne, mais nous ne confondrons pas l’inspiration de l’Écriture avec son inhérence.
Nous serions même bien inspirés de récuser aujourd’hui certaines idées qui ont pu se faufiler même dans les passages les plus inspirés de la Bible. Par exemple l’autorité patriarcale qui envahit toute la Bible.
Mais pour demeurer saine et légitime, notre opposition ne doit pas nous empêcher de rechercher la vérité contenue dans les textes en question. De plus nous devons rester conscients que pour beaucoup d’entre nous la critique de ces textes naît justement de l’Esprit qui les anime. Par exemple, c’est au nom de l’esprit même des prophètes que nous critiquerons certains aspects de leur message.
Plus nous prenons l’inspiration de la Bible au sérieux, plus nous sommes libres à l’égard des textes.
Note :
Professeur émérite de l’école de théologie de Clarmont (Californie), fondateur du Centre pour les Études du Process
Source : Protestants dans la ville, le 14 avril 2010 (Traduction Gilles Castelnau)
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