Par Régine et Guy Ringwald
C’est une situation difficile qui attend le Pape François au Chili, oĂą il se rend en visite du 15 au 18 janvier. Si les problèmes politiques et humains du pays l’amènent Ă visiter des points sensibles, l’Église qu’il va rencontrer est largement discrĂ©ditĂ©e et se trouve en Ă©tat de crise [1].
Une mobilisation se prĂ©pare pour dĂ©noncer les scandales qui ont amenĂ© l’Église chilienne Ă cette situation.
Un point de fixation reste le cas non rĂ©solu d’Osorno [2], oĂą l’Ă©vĂŞque Barros reste sourd aux appels Ă renoncer et sur lequel la position du pape n’a jusqu’ici pas bougĂ©. On pourra lire ci-dessous une très belle lettre que vient d’adresser Ă Juan Barros un de ses anciens professeurs, Antonio BentuĂ©.
Devant le refus persistant de la hiĂ©rarchie d’entendre les reprĂ©sentants de « l’Église peuple de Dieu », des manifestations sont organisĂ©es. Mercredi 3 janvier, le ComitĂ© Oscar Romero avait conviĂ© les journalistes Ă un point de presse auquel Ă©taient invitĂ©s Ă©galement les laĂŻcs, prĂŞtres et religieux qui dĂ©noncent la situation. Une position s’est dĂ©gagĂ©e pour prĂ©senter aux Ă©vĂŞques un « Pacte de Conversion Pastorale », fortement inspirĂ© du « Pacte des Catacombes ». Celui-ci avait constituĂ©, en marge du Concile Vatican II, un manifeste des Ă©vĂŞques latino-amĂ©ricains qui s’engageaient Ă mener une vie pauvre et dans une grande proximitĂ© avec le peuple.
Une feuille de route est proposĂ©e aux Ă©vĂŞques pour relancer l’Église chilienne sur le chemin de l’Évangile et laisser derrière elle tant de scandales. L’Église peuple de Dieu affirme l’urgence d’Ă©tablir un accord fraternel comme occasion de reformer la communion, ce qui serait un premier fruit de la visite du Pape. Le Pacte comporterait le cadre d’un dialogue et d’une correction fraternelle.
Par ailleurs, un sĂ©minaire est organisĂ© au moment mĂŞme de l’arrivĂ©e du Pape, le 15 janvier, Ă l’initiative de JosĂ© Andrès Murillo, un des plaignants de l’affaire Karadima. Il s’agit de protester contre la protection accordĂ©e aux auteurs d’abus sexuels, et de la faiblesse (pour ne pas dire plus) des rĂ©actions au Vatican. Les trois victimes qui avaient dĂ©noncĂ© le scandale, Murillo, James Hamilton et Juan Carlos Cruz arriveront Ă Santiago le 12 janvier. Plusieurs invitĂ©s Ă©trangers sont annoncĂ©s : Sara Oviedo, vice-prĂ©sidente du ComitĂ© des Droits de l’enfant des Nations Unies Peter Saunders qui a dĂ©missionnĂ© de la Commission Pontificale, Alberto Athie, un Mexicain qui a aidĂ© Ă faire connaĂ®tre les abus des LĂ©gionnaires du Christ, Pedro Salinas, qui dĂ©nonce les abus dans « la Sodalicio » au PĂ©rou (le Karadima pĂ©ruvien). Nous avons appris que la Parole LibĂ©rĂ©e (Lyon) enverrait des reprĂ©sentants. Les organisateurs comptent se rendre dans les jours suivants au PĂ©rou, au moment oĂą le Pape y sera.
[1] voir Golias Hebdo n° 509, p. 14 Ă 17 et p. 22 Golias Hebdo509Net (reproduit avec l’aimable autorisation de Golias)
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Lettre Ă l’Ă©vĂŞque controversĂ© d’Osorno
ÉvĂŞque Juan : ce serait un geste d’amour pour l’Église que tu renonces
par Antonio Bentué [1], le 2 janvier 2018
Ce qui est dĂ©cisif est ta relation très proche avec Karadima, et les soupçons fondĂ©s qu’elle a objectivement provoquĂ©s et continue Ă provoquer chez beaucoup de gens dans l’Église.
Monseigneur Juan,
C’est la deuxième fois que j’ose t’écrire. La première fois c’était en mars 2015, alors que tu avais Ă©tĂ© nommĂ© Ă©vĂŞque d’Osorno et que tu n’avais pas encore pris tes fonctions. Il y avait dĂ©jĂ un certain temps que la situation liĂ©e Ă Karadima avait Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e au grand jour, et que ses consĂ©quences avaient Ă©claboussĂ© divers ecclĂ©siastiques liĂ©s au Père Karadima, et principalement les trois derniers Ă©vĂŞques qui venaient d’« El Bosque » (Mgr Valenzuela, Koljatic et Barros). Je laisse de cĂ´tĂ© Mgr AndrĂ©s Arteaga qui avait dĂ©jĂ dĂ©missionnĂ© de son poste de Grand Chancelier de l’UniversitĂ© Catholique, et qui est malheureusement tombĂ© malade.
Diverses conversations et Ă©changes que j’ai eus avec des communautĂ©s catholiques sur le sujet, y compris des prĂŞtres et des religieux amis, m’ont amenĂ© Ă comprendre que je ne pouvais pas me dĂ©rober Ă ma responsabilitĂ©, et que je devais vous faire savoir ce qui paraissait Ă©vident. C’est ce que j’ai fait en vous adressant ma lettre du 17 mars 2015 qui vous conseillait, pour le bien de l’Église, de renoncer Ă vos charges d’évĂŞques auxiliaires dans vos diocèses respectifs, et Ă toi spĂ©cialement, pour que tu renonces Ă assumer ta charge comme Ă©vĂŞque d’Osorno avant qu’il ne soit trop tard. En mĂŞme temps, j’ai envoyĂ© une copie au Nonce et au Cardinal Ezzati qui m’ont rĂ©pondu par une très gentille lettre, disant que ce que j’avais fait relevait d’une attitude Ă©vangĂ©lique.
Mais la situation n’a absolument pas changé et s’est aggravée, surtout à Osorno dont le diocèse est divisé et connaît des tensions. Je t’écris de nouveau, car il y a un élément nouveau qui rend cette demande d’autant plus urgente.
Le pape vient au Chili en janvier. C’est un pape que le peuple aime particulièrement même si, non seulement les gens d’Osorno, mais de très nombreuses autres personnes dans tout le pays pensent que c’est une souffrance que ce même pape t’aie nommé évêque titulaire d’Osorno, et qu’il ait une idée très déformée de la situation.
Il y a sans doute eu à Osorno des gestes malheureux d’un groupe de fidèles dans la Cathédrale, mais c’était par désespoir, et on ne peut pas les invoquer pour délégitimer leur demande et « mettre le couvercle sur la marmite ». Le problème est que maintenant, avec la visite du Pape, je crains que soit ravivée la blessure camouflée, mais non guérie.
Je sais que tu aimes le Pape, comme tu l’as tant de fois exprimĂ©, et que tu aimes l’Église de JĂ©sus. Pour moi, il est clair que renoncer Ă ta charge Ă©piscopale avant son arrivĂ©e serait un acte d’amour Ă©vident pour le Pape et pour l’Église.
Tu ferais ainsi un immense geste de communion en faveur de notre Église qui est si meurtrie. Dans le cas contraire, tu causerais une grande douleur, en jetant une ombre sur cette visite apostolique, spĂ©cialement pour ce pape si cher Ă tout notre peuple. Car beaucoup ne comprennent pas comment tu peux te maintenir si fermement Ă ton poste sans renoncer, en t’abritant sous l’attitude d’obĂ©issance au Pape, que tu mets dans une situation impossible dont la solution est entre tes mains.
Ce serait un geste de grande sagesse et de grand amour pour l’Église que tu renonces, sans te reconnaître coupable d’avoir protégé Karadima. Cela n’est du ressort que de ta conscience devant Dieu. Je ne vois que ce qui est important aujourd’hui.
Ce qui est dĂ©cisif est ta relation très proche avec Karadima, et les soupçons fondĂ©s qu’elle a objectivement provoquĂ©s et continue Ă provoquer chez beaucoup de gens dans l’Église. C’est ce qui, que tu le veuilles ou non, constitue une blessure dans le cĹ“ur de l’Église qui ne guĂ©rira pas, mĂŞme avec la mort de Karadima, si les gestes qui sont maintenant plus nĂ©cessaires que jamais. Toi, renonce et, en mĂŞme temps, invite toi-mĂŞme le P. Karadima Ă demander publiquement pardon au Pape et Ă l’Eglise, pour le mal terrible qu’il a fait, manifestant ainsi qu’il est de ton devoir de renoncer, dans le but de prendre ta part Ă la guĂ©rison de la blessure.
Ces gestes seront sans doute le meilleur service pastoral que tu puisses offrir à l’Église et au Pape en transformant ainsi le scandale dans lequel, que tu le veuilles ou non, tu es impliqué, en un témoignage évangélique crédible.
C’est ce que te demande ton ancien professeur, en toute humilité et animé d’une grande espérance.
Note :
[1] ThĂ©ologien, professeur Ă l’UniversitĂ© Catholique du Chili
[2] Voir nos articles précédents, et en particulier :
• https://nsae.fr/2017/10/17/osorno-comprendre-lattitude-du-pape/
• https://nsae.fr/2018/01/07/soutien-aux-laics-dorsono-une-action-aupres-du-vatican/
Traduction par Régine et Guy Ringwald