Chili : Le Pape François mis en cause dans l’affaire Barros
Par Guy et Régine Ringvald
Le pape François a quitté le Chili, jeudi 18 janvier, en laissant derrière lui une tempête. On n’en est plus au problème d’Osorno, au cas de Juan Barros, évêque de ce qui était un simple diocèse du sud du Chili, on sort même du Chili pour atteindre personnellement le Pape François.
Il n’avait pas la tâche facile [1]. Ayant très bien préparé ses visites et ses interventions ses discours et ses homélies ont été d’une haute tenue et d’un grand talent, et puis, il a mis le feu et s’en est allé. En Araucanie, au pays des Mapuches, il a fait une belle prestation, avec participation des quelques autochtones choisis, pendant que les groupes radicaux étaient tancés pour leur violence. Rencontrant des jeunes, le pape avait trouvé le langage “branché”. A Iquique, il a encore une fois trouvé des accents très forts pour parler des migrants. Tout cela ne laissera pas beaucoup de traces, car on ne parle plus aujourd’hui que du soutien apporté par François à l’évêque Barros, et de la pédophilie.
Barros s’est arrangé, mais cela ne pouvait pas être à l’insu du Pape, pour être de toutes les célébrations, et pour concélébrer dans toutes les occasions solennelles. Déjà cela avait été remarqué et critiqué, car cela venait en contradiction avec ses paroles fortes, tenues devant les autorités au palais présidentiel. Barros paradait, traitant les journalistes avec un certain mépris. Et puis, il y a eu la question, posée tout crument par des journalistes, qui a provoqué la réponse que l’on sait : “le jour où on m’apporter une preuve, là, je parlerai. Il n’y a aucune preuve contre lui, ce sont des calomnies”. Pour les victimes de Karadima, c’est une provocation et une insulte. Pour tous ceux qui soutiennent les victimes et les laïcs d’Osorno, les politiques qui veulent depuis longtemps en être débarrassés, c’en est trop. Les protestations, sans excessive précaution, passent dans la presse internationale, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et jusqu’en Inde.
Samedi (20 janvier), le Cardinal O’Malley s’exprimait sur un ton tout à fait inhabituel, pour réagir aux propos du pape. L’Archevêque de Boston sait de quoi il parle : il a succédé au Cardinal Law qui avait couvert les pédophiles au point de mettre le diocèse en faillite (c’est le sujet du film Spotlights). Le Cardinal O’Malley est aussi président de la commission pontificale pour la protection des mineurs. Lire un article qui relate sa prise de position.
Ce texte de Mariano Puga est éclairant. Prêtre des bidonvilles très connu (il est aujourd’hui âgé de 87 ans), il s’était illustré durant la période de dictature, dans le combat pour le respect des droits humains. Lors de la messe au parc O’Higgins, à Santiago, il se trouvait à l’écart, au côté des pauvres, des victimes et des laïcs d’Osorno. Quelques jours avant l’arrivée du pape, Mariano Puga, , avait exprimé une critique de fond sur la préparation du voyage : le peuple n’a pas été impliqué. On en a les résultats. Le Père Berrios, jésuite qui vit lui aussi dans un bidonville, mais à Antofagasta (à 1300 km au nord de Santiago) partage ce point de vue. Dans une interview télévisée, il a dit, à propos de Barros: “Karadima représente l’Église du clacissisme, de l’arrogance, de l’abus de pouvoir et des abus sexuels. Barros a été son secrétaire pendant de nombreuses années. Il met le pape et les évêques dans une situation très inconfortable, et nous, il nous laisse dans une situation qui me gêne, cela me gêne d’avoir à parler de lui”.
La foule le long des parcours n’avait rien à voir avec celle qui avait accueilli Jean-Paul II, dans les derniers temps de la dictature. Partout, sauf peut-être au parc de Santiago, le nombre de fidèles était loin de ce qui avait été anticipé.
Le Pape espérait redonner du souffle à l’Église, et l’aider à refaire son unité. Elle est plus divisée que jamais : le fossé s’approfondit entre une hiérarchie qui fonctionne sur des méthodes et des critères d’un autre temps (très satisfaite de la visite du pape) et le peuple… qui s’en va.
Mgr Alejandro Goic, évêque de Rancagua, et président de la commission pour la prévention des abus, s’est désolidarisé de Barros, se demandant s’il “va assumer son manque de prudence au cours de ces jours”.
L’ambiance n’était pas à la joie, samedi, à Osorno. De retour de Santiago, les laïcs étaient bien déprimés, certains dépités au point de vouloir quitter l’Église. Ils ont repris la manifestation de refus, avec affiches et pancartes. Ils ne lâchent pas.
Les laïcs devant la cathédrale d’Osorno
Une ONG : à l’initiative des victimes de Karadima, des représentants de nombreux pays se sont réunis avant l’arrivée du Pape. Il y avait là, outre les trois victimes et leur avocat, un représentant du Mexique (les Légionnaires du Christ) du Pérou (Sodalicio), de France (La Parole libérée), Peter Saunders (anglais, démissionnaire de la Commission Pontificale), et d’autres. Ils ont décidé d’unir leurs efforts en fondant une ONG internationale dénommée ECA pour Ending Clerical Abuse. Ainsi, chacun se sentira moins seul et ils pourront s’entraider. Car c’est partout le même problème.
Nous vous proposons aussi ce texte d’une tonalité plus positive de Jorge Costadoat, jésuite, dont nous avons déjà publié des textes. Il exprime longuement sa perplexité, mais veut voir dans la situation ainsi créée, la chance de reconstruire une Église à partir des laïcs. Pas sûr que cela ne concerne que le Chili !
Notes :
[1] voir Golias hebdo n°511 Cet accès vous est donné librement pendant une semaine, grâce à l’aimable autorisation de Golias. Au-delà vous pourrez vous le procurer (1€50) à l’adresse : http://www.golias-editions.fr/thelia/?fond=produit&id_produit=1493&id_rubrique=80
Quelle chance d’avoir Guy et Régine pour nous informer et nous proposer des regards croisés sur l’événement d’Osorno et au-delà…
Annie Grazon