Les suites de la visite du pape au Chili
Par Régine et Guy Ringwald
L’Église du Chili n’était pas dans un bel état et les évêques comptaient sur la visite du Pape François pour pacifier et refaire l’unité. Raté ! Ses positions sur l’affaire Barros et le ton sur lequel il s’est exprimé ont déclenché une réaction très dure. Le temps des précautions de langage est passé. Les laïcs et les victimes se sont sentis insultés dans leur douleur. Eux dont les pancartes disaient: Osorno souffre! Pape François, pourquoi nous as-tu abandonnés ?
Nous signalons, ci-dessous, deux textes publiés dans Golias Hebdo.
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Le premier « François au Chili : un rendez-vous manqué » relate la déconvenue des chrétiens du Chili, mais annonce aussi la formation d’une ONG internationale pour la défense des victimes, organe d’entraide qui pourrait sérieusement renforcer les capacités de résistance. Nous posons aussi quelques questions dont il sera intéressant de voir quelles réponses elles recevront dans les faits.
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Le second « Le Chili : les excuses du pape François en question » démonte le magnifique écran de fumée qu’ont été les soi-disant excuses de François.
(Articles en libre accès pendant une semaine, avec l’aimable autorisation de Golias. Au-delà vous pourrez vous le procurer (1€50) respectivement aux adresses :
http://www.golias-editions.fr/thelia/?fond=produit&id_produit=1495&id_rubrique=80
http://www.golias-editions.fr/thelia/?fond=produit&id_produit=1498&id_rubrique=80)
Vous trouverez aussi ci-dessous un éditorial du National Catholic Reporter. Il traite de la mission confiée à Mgr Scicluna, archevêque de Malte, d’aller écouter “ceux qui disent avoir des preuves”. Une initiative qui est peut-être un pas décisif vers une solution, si l’envoyé a les coudées franches. Mais il conviendra de noter le ton de l’article. NCR, National Catholic Reporter était jusqu’ici très favorable à François. À la lecture, on pourra constater que le temps de la “Franciscomania” est passé. C’est d’ailleurs ce qui ressort des commentaires qu’on lit au Chili, bien sûr, mais aussi en Argentine, aux États-Unis ou dans le Guardian. Le prestige de François est terni, ses capacités d’action pourraient être affaiblies. Pour un temps ?
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Envoyer l’archevêque Scicluna est un geste intelligent
Éditorial du National Catholic Reporter (NCR)
Pancarte sur un immeuble près de la Cathédrale de Lima« Oui, Pape François, ici nous avons des preuves» (allusion au cas” Sodalicio”, affaire de pédophilie au Pérou. (CNS/Paul Haring)
Dans son éditorial du 23 janvier, NCR a pris à partie le pape François à propos de la douleur qu’il a causée aux survivants d’abus sexuels par des membres du clergé. Deux fois et de façon tout à fait publique, François a écarté le témoignage des victimes d’abus et les a accusés de “calomnie” à l’égard d’un évêque qu’il avait installé dans un diocèse du sud du Chili sur les conseils d’autres prélats chiliens et ce en dépit des protestations fortes et véhémentes des laïcs chiliens.
François a rejeté les témoignages que l’évêque chilien d’Orsono, Juan Barros Madrid, avait ignorés, ou dissimulés pendant des années, et qui montraient que son mentor, le père Fernando Karadima abusait de jeunes hommes. Malgré au moins trois récits publics de survivants, François a continué à affirmer – dans un langage sévère et catégorique – qu’il n’avait vu aucune preuve contre Barros.
Nous reconnaissions là un scénario trop familier : discréditer le témoignage des survivants, soutenir le clerc en question et attendre que l’attention du public passe à autre chose. Nous avons dit dans cet éditorial : “Les remarques de François sont au minimum indignes, au pire, elles suggèrent que François pourrait être complice de la dissimulation.” Nous avons poursuivi :
L’histoire a montré que la grande majorité des survivants disaient la vérité. Toute réforme qui s’est produite dans l’Église est due à leur détermination courageuse. La hiérarchie a été prise dans ses mensonges et humiliée, mais pas avant qu’un nombre inconnu de croyants aient été conduits à quitter l’Église catholique. Le scandale a coûté à l’Église son autorité morale, sa crédibilité et des milliards de dollars.
Au cours des dernières années, nous avions pensé que les dirigeants de l’Église châtiés avaient commencé à corriger les erreurs du passé. Nous avions tort. Le souverain pontife n’a apparemment pas appris cette leçon.
C’était un éditorial sévère, difficile à écrire, mais nous étions et sommes toujours convaincus qu’il était juste.
Ce qui précède met en contexte notre approbation de la décision de François d’envoyer au Chili l’archevêque de Malte, Mgr Charles Scicluna, pour témoigner dans l’affaire Barros. Envoyer Scicluna est un geste intelligent, et qui aura des conséquences. De bonnes conséquences, nous l’espérons, mais cela reste en question.
François n’aurait pas pu choisir un meilleur délégué à envoyer que Scicluna. De toute évidence, Scicluna ne recule pas devant les questions difficiles et n’est pas intimidé par le rang ou le prestige. Il est cette personne rare qui a de la crédibilité à la fois au sein du Vatican et auprès de la communauté de défense des victimes.
En 2001, le cardinal Joseph Ratzinger, alors puissant préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a pris la décision déterminante d’aborder le scandale de l’abus des mineurs par des membres du clergé et de la dissimulation de ces abus par la hiérarchie. Scicluna était l’homme indiqué. Le travail de Scicluna en 2005 a contraint le Père Marcial Maciel Degollado, le célèbre fondateur des Légionnaires du Christ, à quitter le ministère public et a apporté de la justice, même imparfaite, à cette affaire.
En 2014, Scicluna a aidé l’archidiocèse de St. Andrews et Édimbourg, en Écosse, à trouver la paix et tourner la page après le scandale de trois décennies d’inconduite sexuelle par le cardinal Keith O’Brien.
Au Chili, le succès n’est pas garanti et les actions récentes de François au Chili ne faciliteront pas le travail déjà difficile de Scicluna. Les catholiques du Chili ont dit clairement, à la suite de l’annonce du Vatican, le 30 janvier, que Scicluna doit gagner la confiance de l’Église locale. Il devra prouver qu’il est « indépendant vis-à-vis de son supérieur, qui est le pape», et il devra mener une enquête transparente avec un résultat manifestement équitable.
Ce qui est en jeu est bien plus que l’honneur d’un évêque dans un petit diocèse chilien. Malheureusement, la défense de Barros par François n’est que le dernier d’un certain nombre de faux pas qu’il a effectués, dans son pontificat de près de cinq ans, sur la question des abus sexuels du clergé. Cela a conduit certains à se demander s’il comprend vraiment combien le scandale des abus a détérioré l’Église de manière fondamentale.
François a résisté à l’opposition de la Curie romaine et de certaines branches de la hiérarchie parce qu’il est si incroyablement populaire parmi les catholiques de base. Une partie de cette popularité s’est érodée au cours du dernier mois.
François a un programme de réforme ambitieux pour l’Église, un programme dont il pense avoir été choisi pour le mettre en œuvre. Son comportement au Chili en janvier a affaibli ses efforts de réforme. S’il ne parvient pas à régler cela, son projet plus large sera en danger.
Source : https://www.ncronline.org/news/accountability/editorial-sending-archbishop-scicluna-smart-move
Traduction : Lucienne Gouguenheim