Chili : les rencontres se poursuivent en l’absence de Mgr Scicluna
par Régine et Guy Ringwald
Le 21 février à 16 h (heure locale) soit 20 h à Paris, les laïcs d’Osorno devaient rencontrer Mgr Scicluna : la délégation comprend trois personnes : Francisca Solis, Juan Carlos Claret et Mario Vargas. Ils sont porteurs d’un dossier comportant 1500 pages d’éléments (evidencias) : statistiques, témoignages spontanés de personnes qui leur ont demandé de les transmettre personnellement à Mgr Scicluna parce qu’elles ne veulent pas passer par l’intermédiaire du Nonce Scapolo, par manque de confiance. Après la rencontre, ils devaient donner une conférence de presse puis garder le silence jusqu’à ce que le Pape donne des nouvelles.
Dans la matinée, le porte-parole de la conférence épiscopale a fait savoir que Mgr Scicluna avait été hospitalisé dans la nuit pour une opération de la vésicule biliaire. On espère qu’il puisse sortir de la clinique jeudi ou vendredi. Dans l’intervalle, le pape a demandé que le processus de rencontres se poursuive avec le prêtre espagnol Jordi Bertomeu qui jouait le rôle de notaire ecclésiastique. Il sera assisté d’un autre prêtre qui les accompagnait.
Photo de la 1ère Rencontre Nationale des Laïcs et Laïques Chiliens qui s’est tenue à Osorno en 2015
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Communiqué de Reflexion y Liberacion [1] du 21 Fev 2018
LA RÉSISTANCE DES LAÏCS D’OSORNO AUJOURD’HUI, NOUS ACCOMPAGNONS PAR LA PRIÈRE LA DÉLÉGATION DES LAÏCS D’OSORNO LORS DE LA RÉUNION QU’ILS AURONT AVEC MGR. CHARLES SCICLUNA A SANTIAGO.
Répondant à diverses demandes qui nous ont été faites, nous présentons comme éditorial la réflexion du Professeur Jorge Costadoat (théologien jésuite) qui nous représente pleinement. Nous considérons qu’il s’agit d’une contribution sérieuse et objective au discernement sur les événements délicats qu’a vécus la communauté catholique du diocèse d’Osorno.
(Texte publié dans « Reflexion y Liberacion N°107. Santiago Oct 2015)
Je suis un admirateur du Pape François. Ce Pape est en train de réaliser des changements dans la bonne direction. J’admire particulièrement la liberté que fait naître un Pape qui parle sans craindre de se tromper. Par là même il offre la possibilité de le critiquer.
Nous sommes nombreux à considérer comme une erreur que le Pape ait nommé Juan Barros évêque d’Osorno. Les catholiques ne peuvent ignorer qu’il a le dernier mot dans le choix des évêques. Par cette prérogative, le successeur de Pierre peut garantir l’unité de l’Église. Mais le dernier mot dans les nominations épiscopales ne devrait pas être le seul mot. Les évêques locaux devraient avoir leur mot à dire dans les nominations. Celle-ci, en particulier, a été faite contre la volonté de la Conférence épiscopale du Chili et contre une bonne partie des Osorninois.
Ce qui est en jeu dans ce cas est le respect d’une Église locale. Que le Pape traite “d’imbécile” (tontos) la ville d’Osorno parce qu’elle s’oppose à cette nomination, est un faux-pas malheureux et injustifiable. Mais la résistance d’Osorno à accepter Juan Barros comme évêque indique qu’il y a en jeu quelque chose de plus fort. Les Laïcs d’Osorno sont en avance sur nous. Ils exigent un nouveau mode de gouvernement dans l’Église catholique.
Tout au long de l’histoire, l’Église a plus ou moins adopté les structures du gouvernement de l’époque. Le problème est que la structure actuelle du pouvoir dans l’Église correspond à l’ère des monarchies absolues européennes. Le cardinal Martini a-t-il fait allusion à cela peu avant de mourir quand il a dit que “L’Église a deux cents ans de retard” ? Je crois que oui. Déjà Jean-Paul II avait demandé de l’aide pour repenser la manière dont s’exerce la primauté de Pierre. Le fait est que l’institution ecclésiastique qui, durant ces siècles derniers, a déploré l’effondrement du christianisme, a ignoré le désir de participation et la culture démocratique de ses fidèles, et n’a pas voulu prendre au sérieux l’exercice collégial de l’Épiscopat de l’Église qu’avait défini Vatican II. Les gens veulent aujourd’hui participer, d’une certaine façon, à la nomination de leurs autorités. Mais dans l’Église, les laïcs participent peu. Pire encore est la situation des femmes. Elles ne sont prises en considération dans aucune décision prise à un niveau élevé. Un exemple : au Synode de la Famille, aucune mère n’a voté.
Ce mode de gouvernement de l’Église est lié à l’histoire. Il n’en a pas toujours été ainsi. Il peut et doit changer pour être dans l’air du temps. Son langage et ses structures sont devenus incompréhensibles à nos contemporains. Le pape François n’a reçu du conclave qu’une seule mission : réformer la Curie Romaine qui, jusqu’à maintenant, a traité les églises locales comme des enfants. Ce qui manque aujourd’hui dans l’Église est une plus grande autonomie, le choix de ses propres autorités et le respect des églises régionales et locales, et plus encore, l’intégration des laïcs et des femmes à tous les niveaux.
Il est utile de rappeler à quel point il est regrettable que les documents de la dernière conférence latino-américaine tenue à Aparecida (2007) soient revenus de Rome modifiés. Encore pire, l’intervention de la Curie Romaine à la Conférence de Santo Domingo (1992) : à cette occasion, l’épiscopat régional a été écrasé.
Nous savons que le Pape avance dans la réforme de la Curie. Diagnostiquer les maladies dont elle souffre ne sert pas à grand-chose. Parmi les maladies, il a dit aux dignitaires qui l’écoutaient qu’ils souffraient d’un “Alzheimer spirituel” (22/12/14). Le langage direct ne suffit pas. Il faut des changements structurels qui vont essentiellement porter atteinte aux prélats qui n’ont nullement envie de devoir rendre des comptes sur leur mode de gouvernement ni de s’exposer à la vue de tous. Dans sa longue histoire, l’Église s’est gouvernée de diverses manières. Aujourd’hui, alors qu’elle s’est mondialisée, qu’elle est présente dans des continents culturellement très divers, elle doit se structurer beaucoup plus démocratiquement.
Le Pape Saint Célestin demandait : « Personne ne sera donné comme évêque à des gens qui n’en veulent pas. Recherchez le désir et le consentement du clergé, du peuple et des hommes publics. On élira un évêque provenant d’une autre église seulement lorsque, dans la ville pour laquelle on cherche un évêque, on n’aura trouvé personne digne d’être consacré (aux Évêques de Vienne, PL 434)
Nullus invitis detur episcopus, demandait Célestin « pas d’évêque imposé ». Beaucoup à Osorno pensent la même chose. Mais Osorno est plus qu’Osorno. Les Osorninois représentent tous les catholiques qui veulent plus de participation dans l’Église.
Jorge Costadoat
Note :
[1] http://www.reflexionyliberacion.cl/ryl/2018/02/21/la-resistencia-del-laicado-de-osorno/