Jésus Christ Libérateur, alors et maintenant
Par le Révérend Naïm Ateek [1]
Ce texte est extrait de la revue Cornerstone n° 77 (Hiver 2018), dont la traduction française est publiée par les Amis de Sabeel France : CORNERSTONE – N° 77 traduction
Maintenant que nous arrivons à la fin de notre conférence [2], je voudrais prendre un moment pour réfléchir avec vous sur notre thème principal, Jésus Christ Libérateur, alors et maintenant. Je voudrais me concentrer sur ce moment ‘Kairos’ où Jésus Christ a introduit une percée théologique que personne n’avait proposée avant lui. Je suppose que beaucoup d’entre vous pensent que je parlerai de sa mort et de sa résurrection. C’est vrai, nous les considérons comme un acte ultime d’amour, mais ce n’est pas cela que je souhaite développer aujourd’hui. Je voudrais attirer votre attention sur un autre moment ‘Kairos ‘ qui s’est produit durant la vie de Jésus, sur un moment important qui a marqué son ministère et qui a mené à une compréhension nouvelle et revigorante de Dieu et des relations humaines. C’était une vraie révolution théologique.
Pendant cette conférence nous avons réfléchi sur l’état du Moyen-Orient à la lumière d’un extrémisme religieux qui s’est infiltré partout, avec ses menaces et ses défis. Je voudrais reprendre là où j’ai fini mon sermon à l’église de la Nativité à Bethléem. J’ai conclu mon exposé en disant que l’antidote à l’extrémisme religieux se trouvait dans l’amour de son prochain. Mais quelle est l’origine de cette pensée, et qu’est-ce qui est unique dans ce que Jésus Christ a accompli ? Mon objectif est de reprendre ce moment tel qu’il s’est produit ALORS et, par la grâce de Dieu, de lui permettre de nous renouveler et de nous inspirer MAINTENANT. Je vais le raconter comme une histoire.
Bon nombre d’entre vous connaissent cette histoire, mais je vous demande d’être patients avec moi. Son baptême dans le Jourdain par Jean-Baptiste doit avoir été pour Jésus une expérience absolument unique. Il a senti qu’il recevait une bénédiction particulière de Dieu et l’appel pour une mission spéciale. Il est tout à fait probable qu’après son baptême, il ait passé du temps avec Jean-Baptiste. Il a également passé plusieurs semaines dans le désert autour de Jéricho pour réfléchir à la signification du Royaume de Dieu et à la mission que Dieu l’appelait à entreprendre, ainsi qu’aux défis et aux difficultés de cette entreprise. C’est certain, Jésus cherchait le conseil de Dieu pour accomplir Sa volonté.
Le concept de Dieu
Il est important de noter que, à l’époque de Jésus, la compréhension théologique fondamentale de Dieu était déjà bien établie. C’est pendant l’exil à Babylone que les penseurs religieux juifs ont pu formuler leur croyance religieuse fondamentale en l’unicité de Dieu. Avant l’exil, la plupart du temps, la vénération des israélites oscillait entre de nombreuses divinités. Yahweh était leur dieu préféré, mais il n’était pas leur seul dieu. C’est pendant l’exil que Yahweh a été reconnu comme le seul Dieu, et la croyance au Dieu Un est devenue la pierre angulaire du judaïsme. Elle s’est exprimée dans les paroles du Sh’ma : « Écoute, Israël, l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est Un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6.4-5). À juste titre, cette déclaration a rendu les Juifs fiers de cette grande découverte, mais elle a également conduit au mépris et à l’arrogance. Les autres nations étaient considérées par les Juifs comme étant d’un niveau inférieur et parfois même jugées avec dédain.
De quelle manière l’ALORS est-il semblable au MAINTENANT?
Qu’est-ce que disent le gouvernement israélien de droite et les extrémistes religieux juifs israéliens ? Voilà ce que nous entendons : « L’État d’Israël est notre État. C’est l’État des Juifs, et des Juifs seulement. Jérusalem est notre Jérusalem, et elle est à nous seulement. Toute la terre de ce pays est notre terre, et elle est à nous seulement ». Quand vous entendez sans cesse de telles paroles, quelles sont les chances de paix ? À l’époque de Jésus, Dieu était comme enfermé dans une boîte, tel un dieu ethnique pour une communauté ethnique, et des lois et des règlements compliqués ont commencé à se développer au sujet de Dieu et du peuple de Dieu, mais aussi contre les gens du dehors, les païens. Par exemple, le livre du Lévitique contient un certain nombre d’injonctions : « Tu n’auras pas de sentiments de haine dans ton cœur envers quelqu’un de ta famille ; … Tu ne pourras pas concevoir de vengeance ou de rancune contre aucun de ceux de ta maisonnée, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même : Je suis le Seigneur » (Lv 19.17-18). Les expressions « quelqu’un de ta famille » ou « aucun de ceux de ta maisonnée » sont répétées très souvent, indiquant clairement qu’il y a des injonctions régissant les rapports au sein de la communauté, mais pas en dehors d’elle. Apparemment, bien que Jésus lui-même ait été élevé dans ce genre d’enseignement et dans une mentalité aussi repliée sur elle-même, à un certain moment de sa vie, il a estimé que de telles croyances étaient en conflit avec sa propre compréhension de Dieu. Pour Jésus, cela tenait de la bigoterie et du racisme.
Nazareth et Capharnaum
Après son baptême, Jésus a décidé de retourner à Nazareth et d’y discuter de sa compréhension de la nature et du caractère de Dieu. Le jour du sabbat, il est allé à la synagogue. Il a lu un passage d’Ésaïe (61) au sujet de la libération et de la justice. Mais quand les paroles du prophète ont pris une tournure raciste à l’encontre des païens, il a arrêté sa lecture au milieu d’une phrase et a refusé d’invoquer la colère et la vengeance de Dieu sur les ennemis du peuple juif. Il s’est arrêté à la mention du jubilé, l’année de la faveur de Dieu. C’est l’année où les dettes des pauvres sont annulées, où les esclaves reçoivent leur libération et où la terre est rendue à ses propriétaires d’origine.
En discutant de sa vision des choses, Jésus a mentionné le récit d’une veuve phénicienne du Liban, donc païenne, qui s’était occupée du prophète Élie pendant quelques années durant une grave famine, et celui d’un général syrien, païen lui aussi, qui avait été guéri de la lèpre par Élisée. Les paroles de Jésus étaient claires, il disait que Dieu est Dieu pour tous et prend soin de tous, indépendamment de leur origine ethnique. La communauté fondamentaliste et nationaliste de Nazareth ne pouvait pas supporter cela. Ils l’ont jeté dehors. Pour eux, la conception que Jésus avait de Dieu était fausse. Ils croyaient que Dieu était uniquement leur Dieu et qu’eux seuls étaient le peuple de Dieu. Pour eux, le texte du Lévitique demandant d’aimer son prochain ne s’appliquait pas aux étrangers. Il s’appliquait seulement à l’intérieur de la famille ethnique du peuple juif. Je sus a décidé de l’ouvrir.
Jésus a quitté Nazareth et est allé à Capharnaüm où il a commencé à pratiquer ce qu’il croyait de Dieu : il enseignait tous ceux qui venaient à lui. Il a guéri les malades indépendamment de leur appartenance ethnique. Il a même guéri des gens le jour du sabbat, ce qui lui a valu la colère et la rage des chefs religieux. Plus encore, Jésus n’hésitait pas à entrer dans la maison des païens, ce que les juifs religieux évitaient. Il a passé du temps avec les Samaritains et a loué la foi des païens comme étant supérieure à celle des Juifs. Sa vie était menacée, pourtant il a courageusement continué à faire le bien envers tous, à enseigner et à guérir. Jésus a retourné la foi sens dessus dessous, et est devenu très populaire parmi le peuple. Comme toujours, ce sont les chefs religieux, plus conservateurs, qui empêchent le libre mouvement de l’Esprit de Dieu.
Quel est le plus grand commandement ?
Le vrai moment, ou Kairos théologique, qui a déclenché la révolution est arrivé quand un expert de la loi a demandé à Jésus : « Quel est le plus grand commandement ? » Jésus a commencé par lui donner la réponse religieuse traditionnelle. « Écoute, Israël : l’Éternel est notre Dieu, l’Étemel est Un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » Et, à la surprise générale, il ne s’est pas arrêté là. Il a continué en disant qu’il y a un autre commandement qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Qu’a fait Jésus ? Il est allé dans la tradition religieuse du peuple et en a sorti une injonction de Lévitique 19 qui était censée s’appliquer uniquement à un semblable juif. Jésus a fait disparaître l’implication exclusive, il a passé sous silence l’expression : « n’importe lequel de vos parents, ou de votre peuple », et a ouvert la signification d’exclusivité en cours jusque-là. Pour lui, il n’y a aucune exception, tout le monde est inclus : « Vous aimerez votre prochain indépendamment de son origine ethnique ou raciale autant que vous-même».
Jésus a ôté l’aiguillon du racisme. Plus tard, quand on lui a demandé : « Qui est mon prochain ? », Jésus a raconté l’histoire du bon Samaritain. Le Samaritain était considéré comme un ennemi, mais il a été le seul à s’arrêter et à aider le Juif gravement blessé. En outre, Jésus n’a pas seulement libéré l’amour du prochain de sa prison ethnique, il a donné de l’importance à l’injonction et l’a placée à côté du grand commandement de l’amour de Dieu. La révolution de Jésus comportait deux éléments importants :
C’est Jésus le premier qui a brisé les frontières d’exclusion qui enfermaient l’amour du prochain et le confinaient à l’intérieur d’une communauté ethnique très étroite. Après avoir supprimé la clause d’exclusion, il a ouvert le commandement à tous et lui a donné une application et une implication universelles, y incluant même les ennemis.
Jésus Christ a mis en valeur l’injonction d’aimer son prochain et l’a placée à côté du grand commandement de l’amour de Dieu. Jésus Christ a été le premier à mettre ensemble le commandement d’aimer son prochain et le grand commandement de l’amour de Dieu. Il a conclu en disant que « de ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes » (Mt 22.40).
Voilà quelle était la voix prophétique de Jésus Christ ALORS, et c’est la voix prophétique qui doit se faire entendre MAINTENANT : vos voix, nos voix. Jésus a libéré les deux textes, et en les libérant, il a libéré l’amour. En libérant l’amour, Jésus a libéré la compréhension à la fois de Dieu et du prochain. Dieu et le prochain avaient été comme enfermés dans une boîte au sein d’une petite communauté de croyants. Le reste des habitants du monde avait été laissé en dehors de la grâce et de l’amour de Dieu. Mais Dieu ne peut pas être enfermé dans une boîte. L’Esprit de Dieu a toujours été actif aussi bien à l’intérieur qu’en dehors des religions du monde. Avant que Christ n’ait accompli cette libération, la question : « Comment montrer à Dieu que je L’aime ? » aurait reçu cette réponse : « Vis selon ses commandements ». Après que Jésus eut relié les deux amours, à savoir l’amour de Dieu et l’amour du prochain, le test qui prouve l’authenticité de notre amour pour Dieu est notre amour pour notre prochain. La première communauté chrétienne l’avait bien compris : « Ceux qui disent “J’aime Dieu” et haïssent leurs frères ou leurs sœurs sont des menteurs ; car ceux qui n’aiment pas un frère ou une sœur qu’ils ont vus de leurs yeux ne peuvent pas aimer Dieu qu’ils n’ont pas vu. Le commandement que nous avons reçu de lui [le Christ] est celui-ci : « Ceux qui aiment Dieu doivent également aimer leurs frères et leurs sœurs » (1 Jn 4.20-21).
Parce que nous sommes humains, nous sommes capables de déclarer notre amour pour Dieu et de commettre en même temps toutes sortes d’atrocités contre notre prochain. On peut être très religieux et être en même temps raciste. L’antidote pour tout cela est de prendre conscience que l’amour véritable de Dieu exige d’aimer son prochain.
Mes amis, voilà la révolution que Jésus Christ a accomplie. Il nous faut la réaliser à nouveau. Elle est le meilleur antidote contre le racisme et le meilleur traitement pour les nombreux maux de notre monde aujourd’hui. L’apôtre Paul écrivait : « Christ nous a rendus libres pour que nous connaissions la vraie liberté. C’est pourquoi, tenez bon et ne vous mettez pas à nouveau sous le joug de l’esclavage. » (Ga 5.1). Nous avons un rôle important à jouer. Jésus Christ Libérateur ALORS et MAINTENANT nous met en face d’un grand défi : Vous êtes la lumière du monde, vous êtes le sel de la terre. Puisse votre lumière briller et votre présence, comme le sel, changer le monde d’aujourd’hui ! Amen.
Notes :
[1] Le Rév. Naïm Ateek est cofondateur de Sabeel Jérusalem, et actuel président du Conseil de Sabeel. [2] 10e conférence internationale de Sabeel qui s’est tenue du 7 au 13 mars 2017.Traduction Christiane Monod