L’Allemagne permet l’interdiction du diesel
Par Violette Bonnebas (Reporterre)
La justice allemande donne raison aux associations environnementales, en ouvrant la voie aux interdictions de circulation des véhicules diesel polluants dans les centres urbains.
C’est l’une des plus grandes victoires du mouvement écologiste allemand de ces dernières années. Le tribunal administratif fédéral a reconnu mardi 27 février la légalité des interdictions de circulation de véhicules diesel prévues par les municipalités allemandes afin d’améliorer la qualité de l’air. La décision résonne comme un coup de tonnerre au pays de l’automobile reine, où pas moins de douze millions d’automobilistes roulent au gazole.
À l’origine de l’affaire, l’association de protection de l’environnement Deutsche Umwelthilfe (DUH) avait porté plainte contre les villes de Düsseldorf et de Stuttgart, siège des constructeurs automobiles Daimler, Mercedes-Benz et Porsche. En cause, les niveaux de dioxyde d’azote dans l’air, qui y dépassent régulièrement les normes européennes. Les tribunaux de première instance ont donné raison aux écologistes, ordonnant aux municipalités de limiter la circulation des véhicules diesel pour respecter les seuils, notamment les jours de forte pollution. Les villes ont obtempéré, mais les Länder — régions, en français — concernés ont fait appel, arguant que seul le gouvernement fédéral, et non les communes, pouvait imposer une telle mesure.
Ils ont donc été déboutés mardi, la Cour de Leipzig jugeant « légales » les interdictions à l’échelle locale. L’arrêt concerne tous les véhicules vieux de plus de trois ans, qui ne disposent pas de la norme Euro 6, soit 70 % du parc automobile diesel allemand, et ce, sans compensation financière pour leurs propriétaires. À Stuttgart, il prévoit toutefois une mise en place progressive d’ici 2019 et des exceptions pour les artisans.
Les juges ont ainsi créé une jurisprudence qui devrait provoquer un effet boule de neige dans toute l’Allemagne. Soixante-dix grandes villes dépassent les normes européennes fixées à 40 microgrammes par m3 de dioxyde d’azote, selon l’agence fédérale de l’Environnement. Plusieurs d’entre elles préparent déjà la restriction de circulation des véhicules diesel, notamment Cologne, Munich ou encore Hambourg dès le mois d’avril sur deux grandes artères très fréquentées.
À l’annonce du jugement, hier, le chef de la DUH, Jürgen Resch, se montrait très satisfait. « C’est un grand jour pour un air pur en Allemagne », a déclaré celui qui mène depuis plusieurs années une bataille contre le diesel. Il s’était fait connaître en 2015 lors du scandale des moteurs diesel truqués de Volkswagen, puis avec ses révélations sur d’éventuelles manipulations chez Renault, que Reporterre avait fait connaître en France [1]. « Nous vivons une débâcle pour la politique du gouvernement, qui s’est toujours tenu exclusivement aux côtés de l’industrie automobile », a-t-il critiqué. « La décision entame un peu plus la crédibilité des constructeurs automobiles et des politiques, enchérit l’expert automobile Stefan Bratzel. Il y a peu, ils affirmaient encore que le diesel est propre. »
De fait, le jugement entérine l’échec de la chancelière Angela Merkel, qui a tout tenté pour empêcher ces interdictions, ménageant les intérêts industriels et les automobilistes. En août dernier, elle s’était entendue avec les constructeurs allemands sur le rappel de cinq millions de voitures diesel, afin d’améliorer les filtres de traitement de leurs gaz d’échappement. À l’automne, elle avait lancé un fonds d’un milliard d’euros pour aider les communes à développer des transports moins polluants. Il y a quelques semaines, son gouvernement assurait même qu’il envisageait la gratuité des transports publics dans les métropoles. Des mesures jugées insuffisantes et peu crédibles par les experts, alors qu’il y a urgence : 13.000 décès par an seraient imputables aux émissions de dioxyde d’azote, et l’Allemagne pourrait être poursuivie en mars par la Commission européenne pour son manque d’action politique dans ce dossier.
Embarrassée, Angela Merkel a minimisé mardi la portée du jugement. « Il ne concerne pas tout le pays ni tous les automobilistes, a affirmé la chancelière en conférence de presse. Seulement quelques villes, dans lesquelles il faut agir encore plus pour la qualité de l’air. » De son côté, la DUH appelle le gouvernement à aider les villes à appliquer le jugement. « Il faut mettre en place une réglementation harmonisée au niveau national et qui permette de simplifier les contrôles, par exemple avec un système de vignette écologique pour circuler dans les zones ou les rues interdites aux diesels d’avant 2015, a expliqué Dorothee Saar, experte en transports de l’association, à Reporterre. Mais aussi obliger les constructeurs à modifier en profondeur les moteurs diesel en circulation, pour qu’ils polluent réellement moins. » Signe que le vent tourne, les ventes de véhicules diesel neufs ont chuté de 17,6 % en un an en Allemagne.
Note :
[1] https://reporterre.net/Renault-et-le-gouvernement-tentent-de-noyer-le-scandale-de-la-pollutionSource : https://reporterre.net/L-Allemagne-permet-l-interdiction-du-diesel
Illustration : manifestation d’opposants au diesel (« les émissions de diesel tuent ») le 14 septembre 2017 à Francfort. © Maximilian Urschl/DUH